mihou Rang: Administrateur
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| | Critiquer Israël/Écœurement/Tradition ancienne | |
Critiquer Israël/Écœurement/Tradition ancienne
Bernard Langlois[email]@[/email] On vous l’avait bien dit que le livre de Pascal Boniface allait faire du bruit (bloc-notes n° 748)... Non, il n’est pas permis, en France, de critiquer Israël. Du moins, pas impunément. Un écrivain, un journaliste, un expert en relations internationales qui s’y risque (hors quelques remontrances de pure forme) doit s’attendre à de sérieux ennuis, dont l’inévitable accusation d’antisémitisme.On vous avait raconté comment le directeur de l’Iris (Institut des relations internationales) avait dû faire front à une campagne virulente visant à le virer de son poste, suite à une note interne adressée à la direction du PS (parti dont il est membre depuis 1980, après avoir milité au PSU), en avril 2001. Dans cette analyse, qui n’avait pas vocation à être rendue publique, il la mettait en garde, en sa double qualité de militant et d’expert, contre sa complaisance envers l’État juif et son gouvernement et soulignait les risques électoraux que cette attitude faisait courir au parti. Simple remarque de bon sens, quand on sait le poids croissant du vote musulman et la solidarité que ressentent notamment de jeunes Français d’origine maghrébine - et pas seulement eux ! - avec le peuple palestinien opprimé.Pascal Boniface ne se situait pas sur le plan de la seule efficacité électorale, mais sur celui de la morale politique : est-il bien conforme aux valeurs dont nous nous réclamons, disait-il en substance, de continuer, dans le contexte actuel, de renvoyer dos-à-dos Israël et les Palestiniens, comme si les responsabilités étaient également partagées, entre un État militarisé, surpuissant régionalement et soutenu inconditionnellement par les États-Unis d’Amérique, et un peuple sans armée ni réelle administration, ne disposant que de lambeaux de territoire, soumis à d’incessantes brimades de la puissance occupante, asphyxié économiquement et bombardé à la moindre incartade ? Est-ce moral, est-ce juste, quand ce peuple, par la voix de son représentant incontestable, a fait la concession majeure de renoncer aux terres qui étaient siennes avant la création d’Israël et accepte de reconnaître cet État, dès lors qu’on lui permet de créer le sien sur la portion de Palestine que lui octroyait le plan de partage initial, c’est-à-dire la Cisjordanie, autrement dit : les Territoires occupés ; autrement dit encore (par les Israéliens partisans du Grand Israël, ce qui dit assez qu’ils entendent y rester...) : la Judée et la Samarie ? Est-ce juste, est-ce équitable, de soutenir un État qui, depuis des décennies, s’assoie sur les résolutions de l’ONU, discrimine ses populations arabes, pratique la torture et l’assassinat politique, laisse pourrir de l’intérieur la démocratie dont il se targue par une influence de plus en plus prégnante d’une minorité religieuse intégriste ?Un État qui, même au plus fort du défunt processus de paix initié à Oslo et Madrid, n’a jamais cessé d’implanter des colonies juives dans ces territoires qu’il disait être disposé à restituer ?Israël, ou le double jeu, en permanence. Pas besoin d’être expert pour s’en rendre compte. Pas besoin d’être socialiste pour s’en indigner.ÉcœurementDonc Boniface pond sa note. Il fait face immédiatement à une campagne de déstabilisation, comme le lobby sioniste en France sait les mener, en profitant de ses positions de pouvoir dans l’appareil d’État et dans les médias.Pour l’avoir rencontré à cette époque (lors d’une réunion du HCCI - Haut Conseil à la Coopération internationale - dont nous étions membres tous les deux), je peux témoigner du profond écoeurement où cette campagne l’avait plongé. Mais comme c’est un battant, il s’est battu (sait-on assez que certains journalistes très connus ont renoncé à traiter d’Israël après de semblables attaques de ceux qui prétendent parler au nom de la communauté juive ?). Il publie donc son bouquin (1), où il raconte l’histoire et réaffirme ses positions. Accueil gêné de la confrérie, attaques redoublées du lobby, pour qui dire du mal de Sharon équivaut à insulter la mémoire des gazés d’Auschwitz (`, la sempiternelle instrumentalisation de la Shoah !) : la revue juive L’Arche lui consacre quatre pages finement intitulées « Est-il permis d’être antisémite ? ». Pascal a aussi, heureusement, des défenseurs. Parmi eux, Alfred Grosser, autorité morale incontestable et membre du conseil de surveillance de L’Express, qui publie un article dans cet hebdomadaire pour le soutenir : à la grande surprise (et indignation) de l’éminent professeur Grosser, la direction de L’Express croit bon de publier une pleine page de courrier des lecteurs insultante pour l’auteur. Grosser n’a plus qu’à démissionner.On en était là jusqu’au 18 juin dernier.Tradition ancienneSe faire traiter d’antisémite, voire de négationniste, et devoir protester de sa bonne foi, n’est pas agréable (2). Quand ces accusations émanent des habituels porte-parole autoproclamés du philosionisme inconditionnel, on s’y fait. Quand l’accusation vient de certains de vos amis politiques, c’est insupportable.C’est ce que Boniface a le moins supporté : que la campagne contre lui soit alimentée par des militants socialistes, et pas des moindres. Il devait pourtant s’y attendre : le PS est le parti le plus complaisant à l’égard d’Israël de la scène politique française. C’est une très ancienne tradition qui remonte à la création de l’État hébreu, quand on pouvait encore se faire des illusions sur sa nature progressiste (Ben Gourion, les kibboutz, etc.). La SFIO de Guy Mollet poussa très loin la coopération franco-israélienne, jusqu’à la pitoyable expédition de Suez. Le retour de De Gaulle mit le holà (un « peuple dominateur et sûr de lui ») et la politique française fut alors plus équilibrée, sous Mitterrand y compris. Mais nombre de dirigeants socialistes sont toujours restés des inconditionnels, tel un Strauss-Kahn avouant ingénument à Tribune juive « se lever chaque matin en se demandant comment il pourra être utile à Israël », ce qui est, on en conviendra, pour le moins incongru dans la bouche d’un responsable politique français de haut rang, qui ne cache pas ses ambitions... C’est du reste encore lui, élu de Sarcelles (rassurez-vous, il n’y habite pas), qui faisait récemment huer le nom de Boniface lors des « Douze heures pour l’amitié France-Israël » organisées par les institutions juives. Mais l’époux d’Anne Sinclair (elle-même militante sioniste acharnée) est loin d’être le seul sioniste socialiste. Fabius est plus prudent dans ses propos publics : il a tout de même cru bon de démissionner du conseil d’administration de l’Iris. Et c’est Moscovici, depuis Dijon secrétaire national aux relations internationales, qui a « débarqué » Boniface de son poste de délégué. Hollande a laissé faire. C’était donc il y a juste un mois.Depuis, Pascal Boniface a rendu sa carte du parti socialiste. Si tous les militants socialistes que révoltent la politique de Sharon (le boucher de Sabra et Chatila : imagine-t-on Bigeard ou Aussaresses présider la République française ?) et presque autant la mollesse chafouine de Pérès et des travaillistes, si ces militants avaient des couilles, ils en feraient autant.Ce n’est pas là l’affaire du siècle, et elle ne fait pas les gros titres. Mais elle est tellement significative d’une évolution malsaine, d’une montée des communautarismes (3), d’une importation dans la vie de la société française du conflit israélo-palestinien (que je ne crois pas du tout en voie de règlement, malgré les récents développements autour de la « feuille de route »), que j’ai voulu en entretenir mes lecteurs : le procès fait à Pascal Boniface est inacceptable. Le meilleur moyen de lui témoigner notre solidarité est encore de lire son livre.Bonnes vacances à tous.
pol-bl-bn-@wanadoo.fr
(1) Est-il permis de critiquer Israël ?, Robert Laffont.
(2) « Cette note - écrit Boniface - allait concentrer contre moi colère et même haine. J’allais devenir l’objet d’une campagne organisée. C’est une véritable fatwa qui fut lancée. Comment expliquer que le rappel de principes élémentaires ait pu susciter de telles réactions ? » (p. 196).
(3) Le Mrap dénonce ces jours-ci la floraison sur Internet de sites violemment anti-arabes, orduriers et alimentés par la fraction la plus extrémiste du lobby sioniste.. http://www.politis.fr/article661.html
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