La version habituelle des sionistes est qu’ils se sont manifestés en Palestine à la fin du 19ème siècle pour reconquérir leur patrie ancestrale ; que des Juifs achetèrent des terres et commencèrent à y établir la communauté juive ; qu’ils rencontrèrent une opposition violente et grandissante de la part des Arabes palestiniens, opposition provenant sans doute de leur antisémitisme inhérent ; que les sionistes furent alors obligés de se défendre et que, d’une manière ou d’une autre, cette situation a perduré jusqu’à aujourd’hui.
Le problème avec cette explication, c’est qu’elle est tout simplement fausse. Nous allons le découvrir dans cet exposé grâce à des preuves écrites noir sur blanc. La vérité, c’est que dès le début le mouvement sioniste était pressé de déposséder la population arabe native de la quasi-totalité de sa terre, afin qu’Israël devienne un Etat hébreu d’un seul tenant. Les terres, que le Fonds National Juif achetaient, étaient détenues au nom du peuple juif et ne pourraient plus jamais être revendues ou même louées à des Arabes (cette situation est toujours d’actualité.)
Au fur et à mesure que la communauté arabe prenait conscience des intentions sionistes, et parce que cela constituait un danger réel et immédiat qui menaçait l’existence même de la société arabe en Palestine, elle s’opposa vigoureusement à la poursuite de l’immigration juive ainsi qu’à l’achat de terres. A cause de cette opposition, l’ensemble du projet sioniste n’aurait jamais pu aboutir sans le soutien militaire des Britanniques. Soit dit en passant, la grande majorité de la population de Palestine était arabe depuis le 7ème siècle (soit depuis plus de 1.200 ans.)
En résumé, le sionisme s’est appuyé sur une vision erronée et colonialiste du monde, ne faisant aucun cas des autochtones. En fait, l’opposition des Arabes au sionisme trouvait son origine dans la peur tout à fait légitime de voir leur peuple dépossédé de sa terre, plutôt que dans des considérations purement antisémites.
Etant juifs nous-mêmes, nous tenons à préciser que la position que nous défendons ici, qui est une critique du sionisme, n’est en aucune manière antisémite. En fait, nous ne pensons pas que les Juifs ont agi d’une façon pire que n’importe quel autre groupe l’aurait fait dans la même situation. Après la sinistre oppression subie par les Juifs, les sionistes (qui, jusqu’au lendemain de la 2ème guerre mondiale, constituaient une nette minorité à l’intérieur du peuple juif) avaient le désir compréhensible de s’installer quelque part où les Juifs pourraient se rendre maîtres de leur propre destin. Les agissements des sionistes étaient motivés par un profond désespoir, d’autant plus que les menaces sur la communauté juive se cristallisèrent à la fin des années 1930 et suivantes.
Tout comme le désespoir des Arabes motivait leurs actes : la mythique "terre sans peuple pour un peuple sans terre"[1] était déjà la patrie de 700.000 Palestiniens en 1919 ! Ainsi que nous allons le voir, c’est là que se trouve la racine du problème.
L’histoire originelle de la région
Avant la première immigration des Hébreux, vers 1800 av. J.C., le pays de Canaan était occupé par les Cananéens.
Entre -3000 et -1100, la civilisation cananéenne couvrait tout le territoire constitué aujourd’hui d’Israël, de la Cisjordanie, du Liban ainsi que d’une bonne partie de la Syrie et de la Jordanie... Ceux qui restèrent sur les collines de Jérusalem après l’expulsion des Juifs par les Romains (au 2ème siècle) formaient un melting-pot de fermiers et de vignerons, de païens et de chrétiens fraîchement convertis, de descendants des Arabes, de Perses, de Samaritains, de Grecs ainsi que d’anciennes tribus cananéennes. Marcia Kunstel et Joseph Albright, "Their Promised Land."
Le véritable héritage ancestral des Palestiniens
Mais tous ces [différents peuples qui étaient venus à Canaan] constituaient des rajouts, des petites branches greffées sur l’arbre originel... et cet arbre étalon était cananéen... [Les envahisseurs arabes du 7ème siècle] convertirent les autochtones à l’islam, s’installèrent de façon permanente, et pratiquèrent l’exogamie avec eux, dont le résultat fut que tous devinrent si complètement arabisés que l’on ne peut pas dire où finissent les Cananéens et où commencent les Arabes. Illene Beatty, "Arab and Jew in the Land of Canaan."
Le règne des Juifs ne représente pas plus qu’une simple période de toute l’histoire de la Palestine ancienne
Les longs règnes de David et de Salomon, sur lesquels les sionistes basent leurs exigences territoriales, ne durèrent en tout qu’environ 73 ans... Puis ils se désagrégèrent... [Même] en admettant que l’ensemble des règnes juifs anciens furent autonomes, de la conquête de Canaan par David en 1000 av. J.C. jusqu’à la liquidation de Juda en 586 av. J.C., cela nous donne [seulement] une domination juive de 414 ans. Illene Beatty, "Arab and Jew in the Land of Canaan."
Plus sur la civilisation cananéenne
Des fouilles archéologiques récentes ont fourni la preuve que Jérusalem était déjà une ville importante et fortifiée en 1800 av. J.C.... Des découvertes montrent que le système sophistiqué d’approvisionnement en eau, attribué jusqu’ici à la maîtrise des Israélites, leur était en réalité antérieur de huit siècles et était même encore plus sophistiqué qu’on ne l’imaginait... Le Dr Ronny Reich, qui dirigea les travaux d’excavation avec Elie Shuikrun, a affirmé que l’ensemble de ce système fut construit comme un seul complexe, au milieu de l’âge de bronze - vers 1800 av. J.C. par les Cananéens. The Jewish Bulletin, 31 juillet 1998
Pendant quelle durée la Palestine a-t-elle été spécifiquement un pays arabe ?
La Palestine est devenue un pays essentiellement arabe et islamique à partir de la fin du septième siècle. Presque immédiatement après, ses frontières et ses caractéristiques - y compris son nom arabe, Filastin - furent connues dans tout le monde islamique, tant pour sa fertilité et sa beauté que pour son importance religieuse... En 1516, la Palestine devint une province de l’empire ottoman, ce qui ne la rendit pas moins fertile, moins arabe ou moins islamique... L’agriculture occupait soixante pour cent de la population ; les quarante pour cent restants étaient répartis entre les citadins et un groupe relativement peu important de nomades. Tous ces gens étaient convaincus de leur appartenance à un pays qui s’appelait la Palestine, bien qu’ils se sentissent appartenir à une nation arabe plus large... Malgré l’arrivée constante de colons juifs en Palestine après 1882, force est de constater que jusqu’aux dernières semaines précédant l’instauration d’Israël au printemps 1948 il n’y avait jamais rien eu d’autre qu’une écrasante majorité d’Arabes. A titre d’exemple, la population juive en 1931 se chiffrait à 174.606 sur une population totale de 1.033.314. Edward Saïd, "The Question of Palestine."
Comment la propriété terrienne en Palestine était-elle organisée et quand cela a-t-il changé ?
[Le code de propriété ottoman de 1858] exigea l’enregistrement nominatif de tous les propriétaires individuels de terres agricoles. La plupart d’entre eux, qui relevaient de systèmes traditionnels du droit à la jouissance des terrains - généralement masha’a ou usufruit collectif - dans les zones montagneuses de Palestine, ne se firent jamais recenser. Ainsi, la nouvelle loi signifia que pour la première fois un paysan pouvait être privé, non pas du titre de propriété de son terrain qu’il avait rarement détenu auparavant, mais du droit d’y vivre, de le cultiver et de le transmettre à ses héritiers. Droit qui était demeuré inaliénable jusque là...
Avec les dispositions de la loi de 1858, les droits collectifs à la jouissance des terrains furent souvent ignorés... A la place, des membres de la haute société, experts en manipulation et en contournement du processus juridique, firent enregistrer de vastes régions comme leur appartenant... Les fellahin [les paysans] considéraient tout naturellement que la terre était à eux et c’est, le plus souvent, lorsque la terre fut vendue aux colons juifs par des propriétaires absents qu’ils découvrirent qu’ils avaient cessé d’en être les propriétaires légaux... Non seulement la terre avait été achetée, mais les Arabes qui la cultivaient furent expropriés et remplacés par des étrangers qui avaient des objectifs manifestes sur la Palestine. Rashid Khalidi, "Blaming The Victims," éd. Saïd Hitchens.
L’opposition arabe à l’arrivée des sionistes provenait-elle de leur soi-disant antisémitisme inhérent ou plutôt du véritable sentiment de péril qu’ils éprouvèrent quant à l’avenir de leur communauté ?
L’objectif du Fonds [National Juif] était de ‘convertir la terre de Palestine, en possession inaliénable du peuple juif.’... Dès 1891, le leader sioniste Ahad Ha’am[2] écrivit que les Arabes ‘avaient très bien compris ce que nous étions en train de faire et quel était notre but’... [Théodore Herzl, le fondateur du sionisme, a exposé] ‘Nous essaierons de faire disparaître la population [arabe] sans ressources de l’autre côté de la frontière en lui procurant du travail dans les pays de transit, tandis que nous lui refuserons tout travail dans notre propre pays... Le processus d’expropriation et l’expulsion des pauvres devront se dérouler discrètement et avec circonspection’... Dans plusieurs endroits du Nord de la Palestine, des fermiers arabes refusèrent de quitter leur terre qui avait été achetée par le Fonds à des propriétaires absents, et les autorités turques, à la demande du Fonds, les en chassa... Les Juifs natifs de Palestine, eux aussi, réagirent négativement au sionisme. Ils ne voyaient pas l’intérêt d’un Etat hébreu en Palestine et ne voulaient pas exacerber les relations avec les Arabes. John Quigley, “Palestine and Israel : A Challenge to Justice.”
Vous avez dit un antisémitisme inhérent ?
Avant le 20ème siècle, la plupart des Juifs de Palestine faisaient partie de l’ancienne communauté Yishuv qui s’y était installée, d’ailleurs plus pour des raisons religieuses que pour des motifs politiques. Il n’y avait pratiquement aucun conflit entre eux et la population arabe. C’est lors de l’arrivée des colons sionistes dans les années 1880 que les tensions surgirent... lorsqu’ils achetèrent des terrains à des propriétaires absents, ce qui conduisit à l’expropriation des paysans qui les avaient cultivés. Don Peretz, "The Arab-Israeli Dispute."
[Pendant le moyen-âge,] l’Afrique du Nord et le Proche-Orient arabe devinrent des lieux de refuge et des havres pour les Juifs persécutés, d’Espagne ou d’ailleurs... En Terre Sainte... tous vivaient ensemble en [relative] harmonie, harmonie qui ne fut bouleversée que lorsque les sionistes commencèrent à revendiquer que la Palestine était la possession ‘légitime’ du ‘peuple juif’ à l’exclusion de ses habitants musulmans et chrétiens. Sami Hadawi, "Bitter Harvest."
Sam 19 Aoû - 8:33 par mihou