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 Kinshasa la déglinguée, la débrouillarde, la verte

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Tite Prout
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Tite Prout


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Kinshasa la déglinguée, la débrouillarde, la verte Empty
12082006
MessageKinshasa la déglinguée, la débrouillarde, la verte

Le Devoir
PERSPECTIVES, samedi 12 août 2006, p. b2

Le processus de ruralisation des villes africaines
Kinshasa la déglinguée, la débrouillarde, la verte

Lévesque, Claude

Capitale de la débrouille, marché à ciel ouvert, Kinshasa s'étend sur des centaines de kilomètres carrés, que ses habitants parcourent entassés à l'intérieur des taxis-bus, quand ils ne sont pas obligés de s'agripper aux vieilles carrosseries, au péril de leur vie.

On trouve de tout sur les trottoirs: aliments frais, conserves, produits d'origine, de contrefaçon ou de seconde main, téléphones portables et cartes d'appels. Les petits commerces prolifèrent en marge des magasins et des marchés établis où des fonctionnaires sous-payés prélèvent des taxes réelles ou fictives.

Deux phénomènes sautent aux yeux quand on sillonne cette métropole de huit millions d'habitants. Côté sombre, les détritus de toutes sortes jonchent la voie publique et s'entassent dans tous les caniveaux des quartiers populaires, signe que la plupart des services essentiels y font défaut. Côté ensoleillé, les abords des grandes artères qui traversent ces mêmes communes défavorisées verdissent çà et là sous forme de jardins communautaires, auxquels s'ajoutent les potagers que des particuliers de plus en plus nombreux aménagent sur leurs modestes parcelles de terre.

Plusieurs adeptes de cette agriculture urbaine en plein essor enrichissent la terre en brûlant des amoncellements de détritus, en attendant qu'une solution plus systématique et à plus grande échelle ne soit apportée à ce grave problème de santé publique.

Un coup d'oeil sur le registre du petit centre de santé de la commune de Ngaba, dans le sud de Kinshasa, montre d'ailleurs qu'on y a traité des milliers de cas de paludisme et de typhoïde au cours d'un seul trimestre.

Raoul Kamanda est le coordonnateur d'une organisation locale appelée Fondev (Foyer nouveau pour le développement familial), qu'il a créée en 1985. À l'origine, le FONDEV intervenait dans divers secteurs touchant à la santé communautaire, l'entrepreneuriat féminin et la promotion des droits des femmes et des enfants. Puis il a fait porter son action sur la sécurité alimentaire et la gestion de l'environnement urbain. Constatant que la malnutrition sévissait dans les quartiers populaires, le FONDEV a lancé il y a quelques années, avec l'appui de l'ONG belge Caritas et du diocèse de Kinshasa, une initiative visant à encourager les ménages à exploiter des «jardins parcellaires».

À l'époque, l'organisation fournissait des semences aux familles intéressées. Faute de financement, elle se contente aujourd'hui de prodiguer des conseils à ses clients, qui semblent vouloir poursuivre l'expérience.

«Nous avons récemment fait une jonction avec la question de la gestion des déchets», signale M. Kamanda. Depuis avril, avec l'aide financière d'Oxfam-Québec, le FONDEV a organisé dans la commune de Ngaba un service de collecte de déchets qui rejoint actuellement 400 ménages. Ceux-ci paient un tarif mensuel de 500 francs congolais (un dollar) pour qu'on vienne enlever les ordures ménagères avec des charrettes à bras. Elles sont déversées dans des conteneurs avant d'être transportées par camions vers des décharges situées en milieu semi-rural.

Le FONDEV est présentement à la recherche du financement nécessaire à la mise en place d'un centre de récupération et de compostage qui desservirait une clientèle élargie. Cela permettrait également de réaliser l'arrimage souhaité entre ses deux projets.

Les végétaux poussent facilement dans le climat béni de l'équateur: amarante, épinards, choux chinois, maïs, bananes. «On a déjà fait quatre récoltes depuis mai», se félicite un résidante de la commune de Ngaba, qui vend ses surplus au coin de la rue. Une voisine vend le gros de sa production au marché.

Les habitants de Ngaba sont des travailleurs indépendants ou des petits fonctionnaires dont les salaires sont versés de façon très irrégulière. Le jardinage constitue donc pour eux un revenu d'appoint intéressant.

Comme l'État est presque inexistant en République démocratique du Congo, on compte à Kinshasa des dizaines d'organisations non gouvernementales qui oeuvrent ainsi dans la gestion des déchets et la promotion des jardins urbains.

La production maraîchère aurait doublé dans la capitale congolaise depuis 20 ans. Elle accuse cependant du retard par rapport à d'autres villes africaines, par exemple celles du Kenya et de Tanzanie, où, selon le Programme des Nations unies pour l'environnement, deux familles sur trois ont une activité agricole et où presque tous les espaces libres ont été mis en culture.

Dans le monde, on estime que 15 % de la nourriture consommée dans les villes est produite par des agriculteurs urbains et que ce pourcentage va doubler en 20 ans. Quelque 800 millions de personnes exerceraient aujourd'hui une activité agricole en milieu urbain, selon les Nations unies. Pour 200 millions d'entre elles, il s'agit de l'activité principale.

Le processus de ruralisation des villes africaines n'est pas l'effet d'un exode rural massif, mais plutôt une réponse aux difficultés économiques: chômage, bas salaires et cherté des aliments. L'agriculture urbaine n'est pas pratiquée exclusivement par des migrants récents. Au contraire, la plupart des maraîchers et des éleveurs de volaille font partie des ménages pauvres qui sont intégrés dans l'économie urbaine.

Deuxième ville francophone

Construite à partir de la fin du XIXe siècle à l'endroit où le fleuve Congo devient navigable vers l'amont, la ville de Kinshasa (appelée Léopoldville sous la colonisation belge) a d'abord connu une croissance assez lente. Lorsqu'elle est devenue la capitale de la colonie en 1941, elle ne comptait encore que 53 000 habitants. Le chiffre est passé à 400 000 à l'indépendance en 1960. À partir de cette date, sa population n'a cessé de croître, à tel point qu'elle est aujourd'hui la deuxième ville d'Afrique subsaharienne après Lagos, au Nigeria, et, n'en déplaise à Montréal, la deuxième ville francophone après Paris.

On aura probablement deviné que les beaux quartiers et les abords des grands hôtels reluisent de propreté. À l'instar des autres capitales de pays «émergents» ou restées immergés, «Kin» est donc une ville de contrastes où les cercles semi-privés hérités de l'époque coloniale ou créés après l'«indépendance» constituent des oasis de luxe et de fraîcheur quelque peu indécents dans le milieu où ils sont plantés.

Kinshasa n'est épargnée par aucun des problèmes qui affligent les grandes villes du Sud. Ajoutons à cela les pillages qui ont marqué les pires années d'anarchie et dont on voit encore quelques traces, et on a une idée de la déglingue qui y règne.

Avec son secteur informel, ses bars et ses dancings où retentit la rumba-soukouss, son vigoureux secteur associatif, ses palabres politiques et ses mouvements sociaux, la capitale de la RDC a la réputation d'être indisciplinée et frondeuse.

Elle a aussi le don de résoudre les problèmes les plus urgents par un recours massif au «système D». En produisant sa propre nourriture ou en la pêchant dans le fleuve, en rétablissant rapidement les circuits commerciaux détruits par les hostilités, la capitale n'a pas connu de pénuries alimentaires graves pendant les longues années de guerre civile, alors que des centaines de milliers de Congolais ont souffert de la faim ou en sont morts dans d'autres parties du pays.

***

Ce reportage a été rendu possible grâce à l'appui financier de la Table de concertation sur la région des Grands Lacs, une coaliton d'ONG canadiennes oeuvrant au Congo.

Catégorie : Actualités
Sujet(s) uniforme(s) : Recyclage et récupération
Type(s) d'article : Article
Taille : Long, 882 mots

© 2006 Le Devoir. Tous droits réservés.

Doc. : news·20060812·LE·115728
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