Fils, n’oublie pas…
Voici le texte d'un ami bouleversé par les événements de la nuit passée.
Cana, mère de toutes les douleurs.
Par Nicolas.
Ni les larmes, ni la douleur, ni quelconque sentiment humain n’a de sens face à l’ampleur du désastre que Cana et ses mères
viennent de subir. Rien n’a de sens d’ailleurs. Le monde vient de se couvrir de l’épais voile de la douleur, du désespoir.
Fils n’oublie pas ce triste dimanche de l’été 2006 où tes frères libanais n’ont plus que leur sanglot pour exprimer la colère
qui les dévore. Des enfants comme toi, ont revêtu leur linceul de poussière, des pères comme moi ont perdu ce qu’ils avaient
de plus cher. Quoi de plus atroce que de ne pouvoir reconnaître son enfant décomposé par le souffle d’une traître explosion,
de pas avoir pu lui dire une dernière fois au revoir, ou l’entouré de nos bras pour lui faire sentir notre amour éternel.
Fils, entends les cris des mères de Cana, les bras levés au ciel pour demander à Dieu de les préserver de la folie. Les entends
tu ces femmes ? Leurs voix résonnent dans le temps, capturées par la mémoire universelle, transportée par les vents ; même le
Cèdre du Liban contient dans sa sève une partie de leurs larmes. Voilà votre punition glorieux soldats de l’éphémère : chacun
des éléments de cette terre vous a maudit, vous, vos armes et vos prétextes fallacieux. Chaque grain de sable deviendra pour
vous un ennemi à combattre, chaque tressaillement de branches vous affligera de peur, chaque goutte de pluie vous inondera
de la tristesse de mères de Cana.
Fils, n’oublie pas… n’oublie pas que les enfants de Cana sont près de nous. Leur innocence témoigne contre ces assassins. Leur
souvenir restera comme un cailloux dans la botte du soldat de la lâche armée. Le bourdonnement de leurs cœurs toujours
vivants s’installera dans la tête de l’ennemi pour ne plus jamais en sortir. Le reflet de leurs doux visages, blanchis par le
sable des décombres, sera, dans le miroir, le seul que verront les Puissants aux commandes de cette guerre. Rien de plus, nul
besoin d’armes ou de cris de guerre.
Fils, en ce jour de juillet 2006, la douleur du peuple libanais est devenu notre héritage. Ce souvenir est le mien, le tien, celui
de tes enfants et des enfants de tes enfants. Tant qu’il y aura un homme ou une femme dans ce monde, pour se rappeler et
gouter les larmes amères des mères de Cana, l’ennemi ne saura jamais quelles armes ont été utilisées pour résister et vaincre.