http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3218,36-799169,0.html
Soutenir Tsahal ou pas : quand un grand journal de gauche bascule
C'était il y a un peu plus de dix jours : les Israéliens s'énervaient des tâtonnements de leur armée, qui se serait lancée de
façon opportuniste dans une opération au Liban afin de tenter de redorer son blason après l'enlèvement de ses soldats.
L'éditorialiste du quotidien Haaretz Yoel Marcus se faisait alors le porte-voix de ce mécontentement et de ces doutes,
fustigeant une armée "stupide" qui serait tombée "les pieds joints" dans le double piège tendu par le Hamas et le Hezbollah,
soulignant que la milice chiite n'a jamais caché son intention de kidnapper des soldats israéliens pour exercer un chantage
sur Tel-Aviv. "Notre illustre armée, une des mieux équipées au monde avec sa force de dissuasion nucléaire, ses avions de
combat qui peuvent atteindre Téhéran et revenir, ses drones et ses missiles guidés par laser, s'est fait prendre à deux
reprises avec le pantalon baissé", ironisait-il. Avant d'appeler Tsahal à faire preuve de plus d'intelligence et d'imagination
pour combattre le Hezbollah, au grand bonheur des lecteurs de ce journal, réputé pacifiste et proche des travaillistes
israéliens.
A peine deux semaines plus tard, et quelques centaines de victimes de plus, dont une trentaine de soldats israéliens, c'est un
autre de ses éditorialistes que ce grand journal de gauche laisse s'exprimer, son spécialiste des affaires militaires : Zeev
Schiff. Et le ton n'est plus le même. "Malheureusement ces dernières semaines, un nouveau sport national a vu le jour :
critiquer l'armée jusqu'à son humiliation. (...) La guerre à peine commencée, déjà on se met à parler d'une commission
d'enquête sur ses actions, s'insurge-t-il. Si cela était arrivé pendant la guerre d'indépendance, on n'aurait même pas pu
prendre Jaffa."
UNE DES MEILLEURES ARMÉES AU MONDE
Pour le spécialiste militaire du Haaretz, les enjeux de cette guerre son clairs : Israël n'a pas d'autre choix que de "détruire
à tout prix" le Hezbollah, soulignant qu'il ne peut exister de "parité stratégique" entre les deux ennemis. "Si Israël ne gagne
pas contre le Hezbollah, c'en est fini de la capacité de dissuasion" de l'Etat hébreu, juge-t-il, et au-delà, son existence
même dans la région pourrait être remise en cause. "Ce qui est important pour l'opinion israélienne, c'est qu'il faut désormais
réaliser qu'il ne s'agit pas de savoir ce qui va advenir de Bint Jbeil ou Maroun Al-Ras, mais qu'il est question de la sécurité
et du futur de l'Etat d'Israël", écrit-il au lendemain de lourds combats dans ces deux localités du Liban sud où neuf soldats
de Tsahal ont été tués.
Citant les articles de son confrère Yoel Marcus, Zeev Schiff affiche son désaccord avec lui : "Je ne suis pas d'accord
quand on dit que l'armée israélienne est une armée stupide. Il s'agit d'une des armées les plus sophistiquées du monde et ses
capacités sont énormes." Pour lui, Tsahal a démontré encore en 1982, lors de la première guerre du Liban, qu'elle était "plus
intelligente que les leaders de ce pays, qui ont entraîné Israël dans cette guerre".
Reste à savoir si ce basculement d'un média réputé pour ses opinions modérées est représentatif de l'état général de
l'opinion publique israélienne. Pour beaucoup, les Israéliens, très critiques au début de l'offensive, ont acquis au fil des
jours, des chutes de roquettes du Hezbollah et des victimes israéliennes, la certitude qu'il est temps d'en finir avec le
Hezbollah, et donc de la nécessité de se serrer les coudes derrière Tsahal. "L'offensive militaire et diplomatique n'a pas
encore atteint son pic", prophétise le commentateur militaire du Haaretz. Pour d'autres, il s'agirait plutôt d'une spécificité
de la presse israélienne – considérée comme une des plus démocratiques au monde –, qui laisse librement s'exprimer des voix
et des opinions opposées, y compris au sein d'un même média.
Alexandre Lévy