Des blindés israéliens sont garés en file indienne sur le bas-côté de la route de crête qui suit la frontière entre la haute
Galilée et le Liban sud. Assis en rond à l'écart des tanks, un groupe de soldats assiste au concert improvisé d'un chanteur de
variétés venu encourager la troupe, guitare à la main.
Un peu plus haut, la fourgonnette de Faraj, un restaurateur chrétien de Haïfa, sert gratuitement des assiettes de houmous
aux jeunes appelés qui ont le ventre vide. Dans la file d'attente, Ze'ev, un sergent-major de 22 ans, accepte de raconter "sa"
guerre. Son récit, très détaillé, est confirmé point par point par un autre soldat.
C'était dimanche 23 juillet. L'unité de tanks de Ze'ev avait reçu l'ordre de s'emparer de Maroun Al-Ras. Dans les jours
précédents, six soldats avaient été tués dans ce fief du Hezbollah, à cinq kilomètres de la frontière libano-israélienne, alors
qu'ils recherchaient des caches d'armes.
"Nous sommes partis de nuit avec une dizaine de chars, dit Ze'ev. Notre mission était de capturer une colline en lisière du
village qui était utilisée par le Hezbollah pour tirer sur le kibboutz Avivim, situé de l'autre côté de la frontière." L'endroit a
été fortifié par le Hezbollah. Pas avec des sacs de sable "comme du temps du Vietcong", explique Ze'ev, mais avec plusieurs
mètres d'épaisseur de béton.
Une dizaine d'hommes sont postés dans le fortin. Ils sont équipés de jumelles infrarouges, de fusils à visée laser et de
missiles antitanks de type Milan et Fagot, des armes de conception française et soviétique. "Bien que nos services secrets
nous aient briefés sur le sujet, nous avons été surpris de voir combien leur équipement est proche du nôtre et combien ils
s'étaient préparés pour ce combat", raconte le sergent-major.
JEU DU CHAT ET DE LA SOURIS
La progression de la colonne est ralentie par les mines. Trois d'entre elles explosent au passage des tanks. Les engins,
légèrement endommagés, sont remorqués à l'arrière, le temps d'être réparés. Après plusieurs heures de combat, les soldats
s'emparent finalement de la colline.
"A ce moment-là, nous avons été pris sous les tirs d'un commando qui était embusqué à l'extérieur du fortin, explique Ze'ev.
Des missiles ont touché trois de nos tanks sans faire de victimes. Nous avons été obligés d'abandonner la position. Pendant
toute la nuit, nous avons joué au chat et à la souris avec les hommes du Hezbollah. Aujourd'hui encore, la situation dans cette
zone n'est pas complètement sous contrôle."
Entre-temps, un second détachement blindé est rentré dans Maroun Al-Ras, une localité étalée sur une demi-dizaine de
kilomètres. La plupart des 7 000 habitants, avertis par un largage de tracts, ont quitté l'endroit. Durant l'avancée, le
commandant est blessé au bras par un sniper libanais. Ze'ev vient le remplacer.
Dans une ruelle étroite, un tank est percuté par un missile. "Sous l'impact, une partie du blindage a fondu et a été projetée à
l'intérieur du tank", explique le sergent-major. Les blessés sont d'abord déplacés dans un tank-ambulance au milieu des tirs
des miliciens du Hezbollah postés sur les toits environnants. "Si je n'avais pas connu des situations similaires dans la bande
de Gaza, nous aurions eu d'autres victimes", dit-il.
Puis un hélicoptère parvient à se poser et les deux soldats sont évacués sur l'hôpital Rambam de Haïfa. Au petit matin, la
relève parvient à Maroun Al-Ras, ce qui permet à Ze'ev et à ses hommes de rejoindre l'arrière. "Les miliciens du Hezbollah
sont plutôt de bons combattants, conclut-il. Mais une fois surmonté l'effet de surprise, nous devrions prendre le dessus."
Benjamin Barthe
Article paru dans l'édition du 29.07.06
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-734511,36-799346@51-796602,0.html