« L’attaque des Hezbollah ? C’est le seul acte de solidarité avec Gaza », par Tanya Reinhart - il manifesto.
18 juillet 2006
il manifesto, dimanche 16 juillet 2006.
C’est l’offensive israélienne contre Gaza qui a déclenché la nouvelle guerre au Liban. Depuis qu’Israël, en 2000, s’était retiré
du Liban, les Hezbollah avaient soigneusement évité de s’affronter à l’armée israélienne en territoire d’Israël (se limitant à
des affrontements dans la zone de Shebaa au Liban, que l’Etat hébreu continue à occuper). Le moment choisi par les
guérilléros chiites pour la première attaque, et la rhétorique qui s’ensuit, indique que leur intention était de réduire la
pression sur les palestiniens en ouvrant un nouveau front. Leur action peut donc être vue comme le premier acte militaire de
solidarité avec les palestiniens dans le monde arabe. Quoiqu’on pense de ce qu’ont fait les Hezbollah, il est important de
comprendre la nature de la guerre d’Israël contre les palestiniens à Gaza.
L’offensive des forces armées israéliennes dans la Bande de Gaza ne concerne pas le soldat prisonnier. L’armée préparait
une attaque depuis des mois et faisait pression pour passer à l’action, avec l’objectif de détruire l’infrastructure du Hamas
et de son gouvernement. C’est pour ça qu’elle a déclanché l’escalade du 8 juin, quand ils ont assassiné Abu Samhadana,
membre du gouvernement du Hamas, et qu’elle a intensifié les bombardements sur les civils dans la Bande de Gaza. Dès le 12
juin déjà, le gouvernement avait autorisé une action plus ample, renvoyée cependant à cause des réactions internationales
suscitées par l’assassinat de civils palestiniens dans les bombardements aériens du jour suivant. L’enlèvement du soldat a
servi à « ôter la sécurité » : l’opération a commencé le 28 juin avec la destruction d’infrastructures à Gaza et la détention en
masse de dirigeants du Hamas en Cisjordanie, une autre action qui avait été planifiée avec plusieurs semaines d’anticipation.
Dans le discours public israélien, Israël a mis fin à l’occupation de Gaza quand il a évacué ses colons de la Bande, et le
comportement des palestiniens serait donc celui « d’ingrats ». Mais rien n’est plus loin de la réalité que cette description.
Dans les faits, comme il était prévu par le Plan de Désengagement, Gaza est restée sous le contrôle militaire total d’Israël,
depuis l’extérieur. Israël a empêché l’indépendance économique de la Bande, et n’a jamais appliqué une seule même des
clauses des accords sur les passages aux frontières de novembre 2005. Il a simplement substitué l’occupation coûteuse de
Gaza par une occupation plus économique, qui, de son point de vue, l’exempte de la responsabilité de l’occupant de garantir la
survie du million et demi de résidents dans la Bande de Gaza, ainsi qu’il est prévu par la charte de la Convention de Genève.
Israël n’a pas besoin de ce morceau de terre, l’un des plus densément peuplé au monde et dépourvu de ressources naturelles.
Le problème est qu’il ne peut pas laisser aller Gaza s’il veut garder la Cisjordanie. Un tiers des palestiniens sous occupation
vit dans la Bande de Gaza. S’ils sont libres, ils deviendront le centre de la lutte de libération palestinienne, avec un libre
accès au monde arabe et à l’occident. Pour contrôler la Cisjordanie, Israël a besoin du plein contrôle de Gaza. Et la nouvelle
forme de soumission qu’il a imaginé est de transformer toute la Bande en un camp de détention isolé du monde. Des gens
occupés et assiégés, sans rien à espérer, et aucun moyen alternatif de lutte politique, chercheront toujours à combattre leur
oppresseur. Les palestiniens prisonniers à Gaza ont trouvé un moyen pour troubler la vie des israéliens dans les environs de la
Bande en lançant des missiles artisanaux Qassam sur les villes israéliennes qui entourent la Bande. Ces missiles rudimentaires
n’ont pas la précision nécessaire pour atteindre un objectif, et ont rarement fait des victimes israéliennes ; ils provoquent
cependant des dégâts physiques et psychologiques, et dérangent la vie des quartiers israéliens sur lesquels ils s’abattent. Aux
yeux de nombreux palestiniens, les Qassam sont une réponse à la guerre qu’Israël leur a déclarée. Comme l’a dit un étudiant
de Gaza au New York Times, « Pourquoi devrions-nous être les seuls à vivre dans la peur ? Avec ces missiles, Israël aussi a
peur. Nous devons vivre en paix ensemble, ou vivre ensemble dans la peur ». (Nyt, 9 juillet 2006).
L’armée la plus puissante du Moyen Orient n’a pas de réponses militaires à ces missiles faits à la maison. Une réponse possible
est celle que le Hamas a toujours proposé et que son premier ministre Haniyeh a répété cette semaine : un cessez le feu
général. Pendant les 17 mois qui se sont déroulés depuis qu’il a annoncé sa décision d’abandonner la lutte armée en faveur de
la lutte politique, et déclaré un cessez-le-feu unilatéral (tadhiya, calme), Hamas n’a plus participé au lancement des Qassam,
sauf sous grave provocation israélienne comme l’escalade de juin. Hamas par contre continue à lutter contre l’occupation de
Gaza et de la Cisjordanie. Du point de vue d’Israël, le résultat des élections palestiniennes est un désastre, parce que, pour
la première fois, ils ont des dirigeants qui veulent représenter les intérêts palestiniens au lieu de se borner à collaborer avec
les demandes israéliennes. Comme arrêter l’occupation est une chose qu’Israël ne veut pas considérer, l’option suivie par
l’armée est de mettre en pièces les palestiniens avec une force dévastatrice. Ils doivent être affamés, bombardés, terrorisés
par des engins assourdissants pendant des mois, jusqu’à ce qu’ils comprennent que se rebeller est futile et qu’accepter la
prison à vie est leur unique espérance de vie. Leur système politique élu, leurs institutions et leur police doivent être détruits.
Pour Israël, Gaza devrait être gouvernée par des gangs qui collaborent avec les geôliers de la prison.
L’armée israélienne a soif de la guerre. Elle ne se laissera pas arrêter par des préoccupations concernant les soldats enlevés.
Depuis 2002, les militaires soutiennent qu’une opération du type « Bouclier défensif », comme à Jenin, est nécessaire aussi à
Gaza. Il y a exactement un an, le 15 juillet (avant le Désengagement de Gaza), l’armée avait concentré ses forces sur la
frontière de la Bande pour procéder à une offensive de ce type à Gaza. Mais les Etats-Unis y opposèrent leur veto. La
secrétaire d’état Rice arriva en visite d’urgence décrite comme acrimonieuse et tempétueuse, et l’armée fut obligée de se
retirer. Maintenant, son heure est enfin arrivée. Avec une islamophobie qui en est à son point culminant dans l’administration
Bush, il semble que les Usa soient prêts à autoriser l’opération, à condition que ça ne provoque pas l’opinion internationale
par des attaques trop médiatisées contre les civils (sur la position actuelle de l’administration Us, voir Odi Nir, « Us Seen
Backing Israeli Moves to Topple Hamas », The Forward, 7 juillet 2006, www.forward.com/articles/8063 ). Une fois reçue
l’autorisation pour son offensive, la seule préoccupation de l’armée est son image publique ; Fishman a rappelé mardi dernier
que pour l’armée « ce qui risque de faire dérailler cet imposant effort militaire et diplomatique » ce sont les informations de
crises humanitaires à Gaza. Il est nécessaire de nourrir les palestiniens pour qu’il soit possible de continuer
imperturbablement à les tuer.
Tanya Reinhart
Tanya Reinhart est enseignante de linguistique aux universités de Tel Aviv et Utrecht, elle a publié chez Marco Tropea «
Distruggere la Palestina ». (En France, « Détruire la Palestine » et, en avril 2006, « L’héritage de Sharon », Editions de la
Fabrique).
- Source : il manifesto www.ilmanifesto.it
- Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=3884