Venezuela : En défense d’Hugo Chávez, Une révolution inoffensive, par B. Alvarez Herrera.
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19 juillet 2006
[« (...) Lors du lancement des réformes structurelles en 1989, le pourcentage de Vénézuéliens vivant dans l’extrême pauvreté
a bondi de 43,90 % à 66,50 % en un an. Par voie de conséquence, le pourcentage de Vénézuéliens demandant des
changements radicaux a augmenté de 51 % en 1995 à 63 % en 1998 (...) »]
Samedi 8 juillet 2006.
Bernardo Alvarez Herrera
Ambassadeur du Venezuela aux Etats-Unis
Dans son dernier livre « Friendly fire : Losing Friends and Making Enemies in the Anti-American Century » l’universitaire
Julia Sweig écrit : « Lorsque les élites états-uniennes -le gouvernement, les médias, et le patronat- sont informées par leurs
homologues d’autres pays, les Etats-Unis se retrouvent déconnectés de la situation, des sentiments et des préférences de
ceux qui ne vivent pas le progrès politique, social et économique, progrès considéré à tort comme universel par les élites de
Washington. »
En tant qu’ambassadeur du Venezuela aux Etats-Unis j’ai passé une bonne part de mon temps à encourager les politiques de
Washington et l’establishment gouvernemental à aller chercher plus loin que l’information qu’ils reçoivent de l’élite
vénézuélienne à propos du Venezuela. Vue l’hostilité générale envers le Venezuela et son Président aujourd’hui, il semble qu’il
y ait encore beaucoup de travail.
Ces derniers mois il y a eu beaucoup de discussions sur le Venezuela dans la revue Foreign Affairs. Peter Hakim (« Est-ce
que Washington est en train de perdre l’Amérique latine ? », janvier-février 2006), dans un article concernant les relations
entre les Etats-Unis et l’Amérique latine, critiquait sévèrement le président Chávez ; l’ancien ministre des affaires étrangères
du Mexique Jorge Castañeda attaquait son « populisme » (« Le virage à gauche de l’Amérique latine », mai-juin 2006).
Malheureusement, leurs analyses se méprennent sur le processus de changement en cours au Venezuela. Au mieux leurs
opinions reflètent une droitisation de la perception de l’Amérique latine par Washington, une région qui est train de se
libérer d’un modèle social et économique imposé par les Etats-Unis et les institutions financières internationales dans les
années 1980 et 1990. Les peuples d’Amérique latine élisent des dirigeants qui proposent de conduire les pays vers davantage
d’indépendance, ce qui augmente les possibilités de participation démocratique, tout en comblant le large fossé qui sépare les
plus riches des plus pauvres dans la région. Cela n’est pas une menace pour les Etats-Unis, et cela ne devrait pas être perçu
ainsi.
Le président Chávez est accusé d’un tas de choses : affaiblir la démocratie, mal gérer l’économie du pays et promouvoir
l’instabilité régionale, voilà quelques unes des affirmations que j’ai entendues récemment, parfois prononcées par des
officiels du gouvernement Bush. D’autres répètent ces accusations. Hakim l’appelle « un adversaire gênant [« vexing »] et
potentiellement dangereux », tandis que Castañeda affirme, parlant du Président Chávez et des chefs d’Etat qui lui
ressemblent, que « pour tous ces dirigeants, les performances économiques, les valeurs démocratiques, les réussites
programmatiques, et les bonnes relations avec les Etats-Unis ne sont pas des impératifs mais des contraintes un peu
ennuyeuses ». De la même façon Shifter qualifie le régime du Président Chávez d’« illibéral » [l’original, tout aussi
pittoresque en anglais, est entre guillemets] et ses idées politiques comme « essentiellement hétérodoxes [dubious] ». Ces
opinions exprimées sont le reflet d’une incompréhension de ce qui est un processus inévitable de changement au Venezuela -
un changement qui a pour objectif de corriger de très anciens déséquilibres sociaux et de permettre aux Vénézuéliens de
diriger le futur de leur pays.
Un récent sondage concernant la démocratie en Amérique latine apporte quelque lumière sur le Venezuela d’aujourd’hui. Le
sondage de Latinobarómetro, un institut de sondage chilien tout à fait respecté, a montré dans les 18 pays d’Amérique latine
observés que les Vénézuéliens étaient les plus nombreux à décrire leur gouvernement comme « totalement démocratique ».
Par ailleurs le Venezuela se trouve en deuxième position pour la question de la satisfaction des citoyens quant à leur système
démocratique, l’Uruguay se trouvant en première position. De fait, au Venezuela la satisfaction par rapport au gouvernement,
durant le mandat du Président Chávez, est plus élevée que jamais auparavant ; et c’était également le cas durant l’année
2003, lorsqu’un sabotage de l’industrie pétrolière organisé par l’opposition avait donné l’impression d’une crise politique. Rien
de tout cela ne devrait surprendre : la Constitution de 1999 amplifie la définition des droits et des responsabilités, amplifie
la participation politique et encourage les Vénézuéliens à s’impliquer dans le développement politique, économique et social du
pays. Les Vénézuéliens ont participé à de nombreux scrutins électoraux depuis l’entrée en fonction du Président Chávez, y
compris un scrutin spécifiquement destiné à révoquer un élu - en l’occurrence le Président lui-même.
Le Président, bon gestionnaire de l’économie vénézuélienne, promeut des projets qui soutiennent la croissance tout en faisant
baisser l’inflation et le chômage. Sa gestion responsable de l’économie était évidente dès les premières années de son mandat
; pour contrôler l’inflation il a assaini le budget à deux reprises. En dehors de l’impact négatif du coup organisé par
l’opposition en 2002 (tacitement validé par les Etats-Unis) et du sabotage pétrolier de 2003, l’économie est en bonne santé
depuis que Chávez est aux commandes. L’économie a connu une croissance de 17,90% en 2004 et de 9,30% en 2005, et tout
semble indiquer que cette année encore la croissance sera forte. Et le plus important c’est d’observer que le secteur non
pétrolier a connu une croissance supérieure au secteur pétrolier -de l’ordre de 10,60% en 2005-, ce qui indique une
importante diversification de l’économie du pays. L’inflation, les taux d’intérêt et le chômage ont baissé ; les micro-crédits, la
construction, les achats de véhicules, et la confiance des consommateurs sont en augmentation. La collecte des impôts s’est
fortement améliorée, et les revenus provenant des impôts au Venezuela sont aujourd’hui proches de 25% du PIB, chiffre plus
élevé que celui de tous les pays de la région et s’approchant de celui des Etats-Unis. Le Venezuela a également payé
récemment, en avance, 4,7 milliards de sa dette internationale, ce qui a impliqué une baisse de 15,2% pour le paiement de sa
dette. Le Venezuela est resté le deuxième partenaire commercial des Etats-Unis dans la région, le premier étant le Mexique,
et le 13ème partenaire commercial des Etats-Unis à l’échelle mondiale, avec un chiffre supérieur à 39 milliards de dollars en
2005. Il n’est donc pas étonnant que le risque-pays du Venezuela n’ait cessé de baisser depuis 2003, lorsque le Président
Chávez a accentué l’effort pour la récupération de l’économie.
Plus important que la simple promotion de la croissance économique, cependant, le Président Chávez paie la dette sociale
accumulée pendant quatre décennies de négligence. Le Président Chávez mène un programme ambitieux de Missions sociales
destinées à corriger les inégalités les plus grossières dans l’éducation, le logement, la santé, la sécurité alimentaire et la
formation professionnelle.
Les dépenses du gouvernement pour les plans sociaux ont fortement augmenté depuis l’arrivée du Président Chávez et elles
s’élèvent aujourd’hui à environ 15% du PIB. 15 millions de Vénézuéliens -à peu près la moitié de la population- ont bénéficié
de soins de santé gratuits dispensés par 20 000 médecins, se trouvant dans les zones les plus pauvres, dans le cadre de la
Mission Barrio Adentro ; et 9 millions de personnes ont bénéficié de produits alimentaires subventionnés dans le cadre de la
Mission Mercal. Les différentes Missions ayant à voir avec l’éducation -l’éducation de base, l’éducation secondaire et
l’université - ont également touché des millions de personnes, permettant au passage au pays de se déclarer libre
d’analphabétisme l’an passé.
En fait les programmes sociaux du Venezuela permettront au pays de parvenir aux Objectifs de Développement du Millénaire
des Nations Unies en 2012, trois ans avant les dates prévues ; et le classement du Venezuela dans l’Indice de développement
humain des Nations Unies (une mesure générale du bien-être économique et social) s’améliore continûment. Bien que certains
détracteurs aient qualifié ces programmes de clientélistes, ils répondent simplement à des besoins longtemps ignorés et ils
construisent un capital humain hautement nécessaire au Venezuela. Les Vénézuéliens disposent des instruments pour devenir
productifs et compétitifs, si bien que même des membres de l’opposition ont reconnu la valeur intrinsèque des Missions
sociales.
Ce n’est pas un secret que les relations entre le Venezuela et les Etats-Unis demeurent tendues. Mais le Venezuela n’est tout
simplement pas une menace pour les Etats-Unis, encore moins un ennemi. Beaucoup dans le gouvernement Bush -imaginant que
la Guerre froide n’est pas finie en Amérique latine- le perçoivent comme tel, jusqu’au point de placer le Venezuela dans une
liste de pays qui sponsorisent le terrorisme, malgré l’absence de preuve pour soutenir une telle affirmation, tout en refusant
cyniquement d’extrader vers le Venezuela le fameux terroriste cubain Luis Posada Carriles qui doit faire face à la justice
pour l’assassinat de 73 civils innocents en 1976.
Sur le plan interne le Venezuela tente de prendre les mesures nécessaires pour aider à la croissance et garantir le
développement social ; sur le plan extérieur le Venezuela recherche l’intégration politique régionale qui permette de soutenir
le développement des marchés internes et de négocier plus facilement avec les autres grands pouvoirs, y compris les
Etats-Unis. Le gouvernement Bush continue de percevoir les changements au Venezuela comme une menace, il a utilisé tous les
moyens politiques disponibles pour tenter d’isoler le Président Chávez. Les peuples du Venezuela et de la région le savent très
bien.
Les changements qui se produisent dans le pays sont le reflet du véritable sentiment populaire ; et s’ils ne se produisaient pas
maintenant, ces changements finiraient de toute façon par se produire. Le surgissement du Président Chávez n’est pas un
accident et ne devrait pas être considéré comme une surprise. Le modèle de développement économique et de gouvernance
démocratique imposé par les Etats-Unis pendant des décennies n’a pas apporté le progrès social, et les résultats étaient
évidents : pauvreté croissante, instabilité et désillusion par rapport aux gouvernements démocratiques. Lors du lancement des
réformes structurelles en 1989, le pourcentage de Vénézuéliens vivant dans l’extrême pauvreté a bondi de 43,9% à 66,5% en
un an. Par voie de conséquence, le pourcentage de Vénézuéliens demandant des changements radicaux a augmenté de 51% en
1995 à 63% en 1998 selon l’institut de sondage indépendant Consultores 21. Les deux grands partis politiques d’alors étant
devenus des extensions des intérêts du business, avec de très mauvais résultats en matière de croissance et de justice
sociale, ils ont été démocratiquement et pacifiquement écartés.
Par chance les changements au Venezuela se produisent avec l’approbation du peuple et ils sont perceptibles dans la vie
quotidienne. Je souhaiterais que quelques penseurs et que quelques décideurs politiques, à Washington, se rendissent enfin
compte de tout cela.
Bernardo Alvarez Herrera
Ambassadeur du Venezuela aux Etats-Unis
- Titre original : « In Defense of Hugo Chávez, A Benign Revolution »
- Sources :
- www.rethinkvenezuela.com/news/06-06fa.html
- http://embavenez-us.org/news.php ?nid=2840
-www.venezuelanalysis.com/articles.php ?artno=1772
- Traduction : Numancia Martínez Poggi
traduction non officielle
http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=3886