Lilian Thuram, Citoyen Neg Marron, fustige la «Sarkoïsation» des esprits
20/07/2006
Lilian Thuram, qui arbore volontiers un T-shirt Neg Marron de rebelle de la période esclavagiste, a accordé un entretien
exclusif au magazine Les Inrockuptibles -N°555, semaine du 18 au 24 juillet 2006. Tel qu’en lui même, auréolé d’une
prestation de titan ayant contribué à mener l’équipe de France en finale du Mondial 2006, quasi invincible en duel, le Neg
Marron sportif et citoyen a confirmé pour l’essentiel ses prises de positions sur la situation politique marquée par une montée
de l’intolérance et des agressions racistes frappant les Noirs.
Interrogé par la rédaction d’Afrikara le 16 mai dernier alors qu’il jouait méticuleusement son rôle d’ambassadeur pour la
cause de la drépanocytose aux côtés de l’OID, le grand champion avait déjà dit tout le mal qu’il pensait du contexte
d’indexation des banlieues et de toutes les rhétoriques politiciennes qui ne rapprochent pas les gens. Très sensible sur la
question des Sans-papiers, de l’immigration jetable, il est revenu sur un vrai tabou de la classe politique et médiatique
française, moutonnière sur bien des aspects, accrochée aux thèmes, termes et à l’agenda du candidat déclaré, président de
l’UMP parti de la majorité présidentiel [?] et ministre de l’intérieur.
La rumeur attribue l’absence au Mondial de l’omniprésent ministre de l’intérieur, numéro deux du gouvernement et avide
d’écrans de visibilité, entre autres facteurs, aux efficaces tacles à répétition que le plus capé des Bleus n’a pas hésité à lui
envoyer dans les chevilles frêles… Info ou intox ?
Il reste que Thuram reprend et affine sa position sur le ministre de l’intérieur, ses propos sur les banlieues, son traitement
ultra médiatique et inhumain des expulsions :
"J'ai explosé parce que ça fait longtemps que c'est dans ma tête, longtemps je me suis dis que certains politiques sont fous,
que je me demande quand est-ce qu'ils vont arrêter de manipuler les gens, et surtout pourquoi ils le font (...) Pour un intérêt
personnel? Qui serait tellement fort que l'on ne voit pas le mal qui est fait? Que c'est diviser les gens? C'est facile de parler
de certaines personnes à d'autres qui ne les connaissent pas. Ca crée des préjugés. Nettoyer au Karcher? On va nettoyer quoi
au Karcher? Je me disais que peut-être qu'il n'a pas fait exprès, qu'il ne savait pas. Mais après, on a discuté et il sait très
bien ce qu'il fait."
"Ce qui est intéressant, c'est que c'est quelqu'un qui ne connaît pas la vie des banlieues, qui ne connaît pas les gens, ni leurs
aspirations, leurs sentiments ou leurs difficultés. Il s'en moque. Lui, il ne parle que de numéros et de chiffres, mais ce n'est
pas ça la vie. Malheureusement, la majorité des gens ne s'y connaît pas non plus et il y a de la peur : du coup, il passe pour un
sauveur, il rassure. C'est simple comme bonjour. Et le problème, c'est que ça marche, parce que plus c'est simple, plus ça
marche. Donc les gens se laissent avoir, d'autant plus que de l'autre côté, personne n'a de message contradictoire. Et
lorsqu'on parle des jeunes de cités et de banlieues, il faudrait voir de qui l'on parle, parce qu'il y a beaucoup de gens en
France qui habitent dans les banlieues. De qui parle-t-on? Et les médias véhiculent toujours les mêmes messages."
Précisant sa pensée, il n’ pas hésité à lever le tabou d’une Sarkoïsation politique dans une France où le président de l’UMP,
convaincu de l’emporter aux présidentielles de 2007 exerce directement ou non, une véritable terreur sur les moyens
d’information au point que chacun de ses passages n’est qu’une succession de mises en scène de république bananière… sans
bananes. On notera Audrey Pulvar et un journaliste de Libération qui ont porté une contradiction frontale et professionnelle,
principalement, mais pour le reste, l’urgent semble être à ménager un probable futur président dont on redouterait les
méthodes …
Alors même que l’on n’a quasiment jamais eu de propos aussi durs et de stigmatisations aussi violentes, systématiques contre
les Noirs et les banlieues, prenant de haut les cultures africaines -ce qui est une routine pour les peu cultivés-, criminalisant
l’usage des langues non européennes, les couards et stipendiés des médias traditionnels continuent de se réfugier derrière
l’alibi d’une " lepénisation des esprits ". Thuram leur répond à fort bon escient :
"Le problème, c'est qu'on parle de la "lepénisation" des esprits, mais il y a aussi une "sarkoïsation" des esprits. Personne ne
le dit. Un truc de fous: on est en France, un pays dit civilisé et l'on accepte que des gens soient expulsés, j'allais dire
"déportés". On va chercher des enfants à l'école pour les expulser: je ne comprends pas qu'on accepte ça. Dans quel pays
vit-on? Dans quel monde veut-on vivre? J'ai rencontré des parents dont les enfants ont peur lorsqu'ils sont à l'école. C'est
quelque chose qui est en train de s'immiscer dans la société petit à petit et qui voudrait que ceux qui n'ont pas de papiers
aillent mourir ailleurs."
Quel plaisir et quelle chance de voir un grand champion garder toute sa verve au delà des terrains de football pour intervenir
en citoyen et au besoin en Marron sur la scène sociale et politique, donnant un avis éclairant et précieux au milieu du silence
de l’indifférence, des peurs et des corruptions ? Il ne reste plus qu’à espérer que le moment venu le citoyen Marron, celui
que les experts footeux ont appelé Monsieur Thuram, saura donner un coup de pouce électoral à une candidature de
préférence ...
Lire Les Inrockuptibles N°555, du18 au 24 juillet N°555
Afrikara
http://www.afrikara.com/index.php?page=contenu&art=1326[img][/img]