Dakar sous les ordures
La chose est devenue une habitude pour les Sénégalais. Mais cette fois, l'affaire est grave. Les ordures sont partout dans
Dakar et ses environs. En plein hivernage, Dakar est étouffé par des dépôts d'ordures à presque tous les coins, montrant un
visage somme toute dangereux, du fait des dangers de maladies comme le Choléra et autres. Dans la banlieue, les services de
la collecte se font de plus en plus rares ; certaines zones étant tout simplement « ignorées », alors que d'autres souffrent du
caractère irrégulier du service des agents de la société Ama et de ses partenaires. Les populations souffrent de ce danger et
s'inquiètent.
Pour expliquer les raisons des échecs des différentes entreprises du nettoiement, Papa Soulèye Sow, consultant en gestion
des déchets, suggère « qu'il faut remonter la pente de l'histoire pour comprendre pourquoi la Soadip, la Sias, la première et
la seconde tentative de la Communauté Urbaine ont périclité ; pourquoi la transition Aprodak n'a pas été suivie, et pourquoi
Ama se trouve sur la pente raide ». Selon lui, « c'est tout justement parce que tout au fond de cette situation, on n'a pas
appréhendé les problèmes comme il le fallait, car aujourd'hui, dit-il, les gens veulent gérer les déchets comme on l'a toujours
géré à l'époque post-colonial, c'est-à-dire, un embryon des services techniques municipaux. Ce n'est pas possible que le poste
le plus cher de la nomenclature budgétaire puisse être géré dans presque de l'informel », s'est indigné le rudologue
consultant.
Papa Soulèye Sow a souligné que tous ces éléments n'ont pas été neutralisés au moment où on mettait en œuvre la Sias. « On
les a laissés naître avec ce qui faisait déjà des maladies congénitales qui ont fait grandir la Sias dans des conditions atroces
», a noté le consultant en gestion des déchets. À en croire Papa Soulèye Sow, « la Sias de sa naissance à sa mort était sur le
lit d'hôpital, elle recevait des perfusions financières tous les matins ». En outre, le spécialiste a noté les problèmes auxquels
s'était confronté la Communauté Urbaine. « Là aussi, explique-t-il, on se heurte au nom de certains principes devant la
compétence qui n'a pas les moyens. C'était une communauté urbaine qui était là avec toutes les compétences, mais qui n'avait
pas les moyens, puisque c'est l'État qui payait. Et au nom du principe, qui paye commande, on avait transféré les centres de
décision, les plus petites décisions de gestion se prenaient sur le boulevard de la République, entre le bureau du 9e étage du
Pca et la Présidence de la République », déclare Papa Soulèye Sow. Avant de regretter le fait « qu'on n'avait pas une
administration de gestion qui était là pour gérer, prendre les décisions en interne par rapport à la Sias. C'était, dit-il, des
décisions qui faisaient toujours référence aux avis des hautes autorités de l'État ».
Des fautes de gestion impardonnables
Entre autres problèmes relevés par Papa Soulèye Sow pour expliquer les raisons qui ont fait échouer les différents services
du nettoiement dans notre pays figure le nombre pléthorique d'agents. « Au moment de la création de la Sias, le comité de
suivi avait demandé que les Hlm et la Sicap qui avaient leur service autonome viennent recouper les 800 et quelques agents de
la Soadip pour faire 1200 et quelques agents. Il y avait un trop plein d'agents », explique le consultant spécialiste en gestion
des déchets.
Selon lui, le comité avait signalé cette situation en proposant des mesures conservatoires à prendre, dont la première
consistait à procéder au dégraissage théorique du personnel. « Le chiffre optimal de personnel pour faire le nettoiement
était 800 agents », révèle Papa Soulèye Sow. Mais, par humanisme et par respect des valeurs éthiques et sociales cette
solution était écartée. « On va prendre les 1200 agents et les faire travailler. Ensuite, progressivement, ceux qui partent à la
retraite, ceux qui démissionnent, ceux qui décèdent, ou pour une raison ou une autre, décrochent du service ne seraient pas
remplacés. Dans la planification qui avait été faite, au bout de trois ans, on devait se retrouver avec 800 agents, le chiffre
optimal. Or, au bout de quatre ans d'existence à la Sias, on s'est retrouvée avec 1400 agents », déclare le spécialiste de la
gestion des ordures, qui a ensuite regretté que « les effets politiques étaient passés par là ».
Sur équipée et mal équipée
Papa Soulèye Sow a aussi relevé que la Sias était sur équipée et mal équipée à la fois. « Cela peut paraître contradictoire,
explique-t-il, mais il ne l'est pas en terme de nettoiement, puisque dans l'espace d'un an et demi, la Sias avait reçu 13
milliards Fcfa de matériels, d'immobilisation venant d'acquisitions sur fonds propres par crédit cofassé, du don du Royaume
d'Arabie Saoudite, du don de l'Empire du Japon, pour une enveloppe qui n'a jamais varié, et qui nécessitait une mise à
exploitation ».
Le spécialiste de gestion des ordures qui estime qu'« on ne pouvait pas avec 200 et quelques millions Fcfa par mois, mettre en
exploitation toute cette armada de matériels ». Toutefois, en dehors de ces fautes structurelles, le spécialiste en gestion des
ordures a relevé « des fautes de gestion, des erreurs énormes qui ont fait qu'on ait jamais pu diriger cette société par
rapport à la liberté et à l'orthodoxie de gestion ». En exemple, Papa Soulèye Sow a expliqué qu'en deux ans, la Sias a
bouffé les 2/3 de son capital social ; ce qui le préposait à la liquidation.
A l'en croire, « La communauté urbaine de Dakar, appuyée cette fois-ci par le consortium Sénégalo-canadien et l'Agetip a
été une expérience plus malheureuse, parce que tout simplement, on n'avait pas les repères qu'il fallait par rapport à la Sias.
D'un côté il y avait un lobby d'affairistes qui voulait coûte que coûte gagner de l'argent en un temps très court, qui a amené
du matériel inadapté dont les pièces de rechange ne se trouvaient pas sur le marché. Et on n'a pas encore fait l'économie de
la leçon tirée de la Sias où nous avions des équipements venant essentiellement du Japon et des États Unis par le biais de
l'Arabie Saoudite. » Le spécialiste d'ajouter qu' « avec le consortium sénégalais, les concessionnaires qui étaient dans le
système se sont retrouvés à acheter des pneus à 800.000 Fcfa, des démarreurs à 950.000 Fcfa, nous l'avons vu. Il y a eu ce
gâchis qui a fait qu'à un moment donné l'État avait décidé de remettre tout à plat en proposant la création d'une autre
structure. Pendant cette période de transition, il y a eu des moments de gestion informelle. »
Pape Soulèye Sow qui enfonce le clou en affirmant, « Vous savez c'est un peu de l'esclavagisme quand on pense payer
30.000 Fcfa à quelqu'un qui s'escrime dans des ordures pendant 30 jours sans protection sociale apparente ni rien. Ce qu'on
appelait la protection sociale, c'était un embryon de vaccination qui se faisait une fois tous les ans, ce qui ne réglait pas la
question. » Après, l'Aprodak n'a jamais pu atteindre ses objectifs. Programmée pour gérer l'ensemble du pays, son action
s'était limitée à Dakar. Et son échec le plus bizarre, est qu'elle n'a pas pu intégrer les personnels qui touchaient 30.000 Fcfa
dans le système.
L'échec d'Ama Sénégal
Dans un document qu'il a bien voulu mettre à notre disposition, l'on perçoit l'exemple du tableau des résultats de collecte
entre 2001 et 2004 qui fait ressurgir plusieurs défaillances qui ont conduit à la délicatesse de la situation du moment. « La
baisse de production entre 2001 (457.013 tonnes) et 2002 (389.666 tonnes) soit une chute de 15,73%, indique dès la
deuxième année, celle de l'entrée de Ama en exploitation directe, que celle-ci ne disposait pas des équipements requis pour
faire face à ses prétentions de productivité.
La production de 2001 (457.013 tonnes) n'a été dépassée qu'une seule fois, c'est-à-dire en 2003 avec 467.107 tonnes).
Cependant, ceci traduit en réalité un net déficit. Et le simple rattrapage de l'écart entre 2001 et 2002, soit 15% de chut
aurait du pointer la production aux environs de 525.000 tonnes. Il y a lieu aussi de se poser des questions puisque la plus
forte productivité est atteinte quand Ama fait 29,33%, c'est-à-dire 137.000 tonnes sur les 467.107 tonnes de l'année 2003
et quant à sa productivité totale qui baisse drastiquement en 2004 et n'atteint que 433.000 tonnes.
Cette situation est révélatrice du malaise de 2003, qui a été mise en relief par les contradictions de 2004 et c'est ce qui a
installé l'opérateur Ama dans un cycle de déficits prévisibles et incontournable en 2005, et que nous venons de vivre. Il y
avait dès la deuxième année d'analyse qui devait être l'occasion d'un nouveau départ. « Parce que l'alerte était là. Pour
quelqu'un qui sait lire dans les déchets, qui comprend les mécanismes qui s'y passent, il est aisé de comprendre selon le
spécialiste, que dès la troisième année de Ama, l'État devait tirer sur la sonnette d'alarme en leur disant que nous avons
observé des choses extraordinaires », a expliqué Papa Soulèye Sow.
Selon lui, « ces cascades de crises vont continuer si rien n'est fait, car dit-il, jusqu'à maintenant on n'a pas pris les mesures
idoines, on a pris des mesures pour passer des crises qui vont revenir. La prochaine crise pourra se signaler dans moins de
dix mois. Si le système reste tel qu'il est, on ne pourra jamais gérer la situation des ordures ».
« Enfin, précise le document, quelque soit la formule si on considère la densité couramment admise de 0,3 pour les déchets
de Dakar, il faut une moyenne de 95 à 105 camions/jour d'au moins 16m3 sur deux rotations pour résorber correctement la
production hors collecte groupée. »
http://rewmi.com/index.php?action=article&id_article=287641
Mer 13 Sep - 13:03 par mihou