Voilà un texte bref qui fait un véritable morceau de choix, digne d'une anthologie des exemples remarquables de maniement de la langue de bois.
Il s'agit d'un article paru dans
Libération de ce jour (14 juillet, ça ne s'invente pas), sous le titre «
Timide réchauffement diplomatique entre Lomé et Paris», signé de Thomas Hoffnung — http://www.liberation.fr/actualite/monde/193368.FR.php.
Gageons qu'avant la chute du mur de Berlin, cette brève composition de Thomas Hoffnung eût été donnée comme matière d'exercices dans les écoles de journalisme préparant les serviteurs de l'État à travailler à
La Pravda.
Déjà le titre : «Timide réchauffement diplomatique entre Lomé et Paris». Où l'on se pince dès l'abord ! Ai-je bien lu ? L'inénarrable Hoffnung continue-t-il de peaufiner une carrière de comique ? — comme lorsqu'il nous expliquait (en déc. 2004) que les tirs des chars français sur le palais de Gbagbo, puis l'encerclement de l'hôtel Ivoire à Abidjan étaient la conséquence d'une erreur d'orientation : les chars français s'étaient trompés de route et l'État major français ne savait pas que l'Hôtel Ivoire était un des centres névralgiques du pouvoir ivoirien — il était donc étonné que les Français d'Abidjan menacés ne soient pas là ! Non, la foule des manifestants non armés sur lesquels on avait tiré n'étaient pas là pour protéger le pouvoir élu d'un coup d'État, mais pour menacer les Français — et tant pis s'ils n'étaient pas ici !
Hoffnung préparerait donc une retraite comme comique au Music Hall ? Eh non, apparemment ! — : si on lit la suite de l'article, on s'aperçoit que le titre ne doit pas être lu dans le registre de l'humour.
Hoffnung soutient vraiment que si Faure n'a toujours pas bénéficié comme papa d'une réception officielle bien comme il faut à Paris, c'est qu'il y a vraiment un «froid». Oh, certes, prudent, il use des guillemets, mais n'en dit pas moins ce qu'il annonce !
Apparemment si Hoffnung s'inspire du cinéma burlesque, il connaît moins ce genre de films policiers où le commanditaire d'un forfait évite de recevoir de façon trop ostensible l'exécutant qu'il en a chargé — jusqu'à ce que les vagues judiciaires soient passées.
C'est que manifestement pour Hoffnung, l' «élection» de Faure, au prix de centaines de morts, et l'entérinement de cette «élection», ne doivent rien à Paris, qui a simplement «reconnu sa victoire, à l'instar de la communauté internationale». (Tiens, Hoffnung a perdu à nouveau l'usage des guillemets de «communauté internationale», qu'il semblait avoir découverts dans un article récent concernant la Côte d'Ivoire, où il tentait à grand coup d'esbroufe de sauver ce qui reste de crédit à Paris dans les démêlés judiciaires consécutifs aux événements de Bouaké de nov. 2004 : il s'agissait alors de nous vendre que, pour cette fois, Paris et la communauté internationale étaient d'accord pour laisser faire Gbagbo —
sic).
La «communauté internationale» reste ce concept commode qui permet de dédouaner de toute façon toute action françafricaine. On est au cœur du maniement de la langue de bois. Et l'usage habile, tant du concept que de la concession ponctuelle des guillemets, montre qu'en la matière, Hoffnung est un expert.
Bref, «à l'instar de la communauté internationale», la France n'a fait que reconnaître, presque à contre-cœur, faut-il entendre, la victoire de Faure.
Cela dit, faut-il toujours entendre, notre diplomatie n'en était pas moins fâchée, de cette victoire ! Effectivement la langue de bois, et Hoffnung, ne peuvent que concéder qu'il y eut «fraude massive» ! Et donc, forcément, on est fâché ! — en «froid».
Et Hoffnung de nous resservir, en le plaçant naturellement dans la bouche du directeur de cabinet de Faure (bien utiles citations), le sempiternel poncif selon lequel les arrière-boutiques de la Françafrique, «c'est une autre époque».
Et donc, toute cette fâcherie était sérieuse, faut-il comprendre : «En réalité, la France attendait des gestes d'apaisement de la part des autorités de Lomé. Elle plaidait notamment pour l'ouverture d'un dialogue national qui serait parachevé par l'organisation de législatives "propres"», assure Hoffnung. Et poursuit-il, sans émettre le moindre doute quant à cette volonté parisienne d'élections «propres» (on aura noté ses guillemets), ça y est presque : «Une première étape a été franchie, lundi, avec la signature, par la majorité de l'opposition togolaise d'un accord politique "de base" portant, notamment, sur la mise en place d'une commission électorale indépendante. Toutefois, le principal adversaire du régime, l'Union des forces de changement de Gilchrist Olympio, a refusé de le parapher, parlant d' "escroquerie"». Aucun commentaire sur ce refus d'Olympio — bref, il pourrait y mettre un peu de bonne volonté !
Et pour conclure : «Reste le cas Charles Debbasch», écrit Hoffnung. Cela pour nous dire quoi ? Que «Lomé n'a pas l'intention de l'expulser. Et Paris de le lui demander. Récemment, Debbasch, un ex-conseiller du président Giscard d'Estaing, a séjourné en France sans être inquiété.»
Bref, Paris voudrait bien, sans doute, «l'inquiéter», mais même s'il vient sur le territoire national, c'est tout de même embarrassant pour nos bonnes relations avec le Togo : c'est eux, qui ne veulent pas le livrer !
Ce faisant, en nous donnant l'impression de nous apprendre, sur un ton détaché mais désapprobateur, ce que tout le monde sait, Hoffnung obtient un triple bénéfice : passer pour un vertueux dénonciateur d'un régime honni, regretter que Paris soit si «timide» à son égard, et du même coup, disculper totalement Paris, qui serait, hélas, si impuissant face à tout cela !
Si
La Pravda avait pu prendre la leçon, le mur de Berlin serait peut-être encore en place…
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