Musée du Quai Branly : « Ainsi nos oeuvres d’ art ont droit de cité là où nous sommes, dans l’ ensemble, interdits de séjour »,
par Aminata Traoré.
30 juin 2006
Africulture, 26 juin 2006.
Talents et compétences président donc au tri des candidats africains à l’immigration en France selon la loi Sarkozy dite de «
l’immigration choisie » qui a été votée en mai 2006 par l’Assemblée nationale française.
Le ministre français de l’Intérieur s’est offert le luxe de venir nous le signifier, en Afrique, en invitant nos gouvernants à
jouer le rôle de geôliers de la « racaille » dont la France ne veut plus sur son sol. Au même moment, du fait du verrouillage
de l’axe Maroc/Espagne, après les événements sanglants de Ceuta et Melilla, des candidats africains à l’émigration
clandestine, en majorité jeunes, qui tentent de passer par les îles Canaries meurent par centaines, dans l’indifférence
générale, au large des côtes mauritaniennes et sénégalaises. L’Europe forteresse, dont la France est l’une des chevilles
ouvrières, déploie, en ce moment, une véritable armada contre ces quêteurs de passerelles en vue de les éloigner le plus loin
possible de ses frontières.
Les œuvres d’art, qui sont aujourd’hui à l’honneur au Musée du Quai Branly, appartiennent d’abord et avant tout aux peuples
déshérités du Mali, du Bénin, de la Guinée, du Niger, du Burkina-Faso, du Cameroun, du Congo...Elles constituent une part
substantielle du patrimoine culturel et artistique de ces « sans visa » dont certains sont morts par balles à Ceuta et Melilla et
des « sans papiers » qui sont quotidiennement traqués au cœur de l’Europe et, quand ils sont arrêtés, rendus, menottes aux
poings à leurs pays d’origine.
Musée du Quai Branly : « Ainsi nos œuvres d’art ont droit de cité là où nous sommes, dans l’ensemble, interdits de séjour »
par Aminata Traoré
publié le 26/06/2006
Talents et compétences président donc au tri des candidats africains à l’immigration en France selon la loi Sarkozy dite de «
l’immigration choisie » qui a été votée en mai 2006 par l’Assemblée nationale française. Le ministre français de l’Intérieur
s’est offert le luxe de venir nous le signifier, en Afrique, en invitant nos gouvernants à jouer le rôle de geôliers de la «
racaille » dont la France ne veut plus sur son sol.
Au même moment, du fait du verrouillage de l’axe Maroc/Espagne, après les événements sanglants de Ceuta et Melilla, des
candidats africains à l’émigration clandestine, en majorité jeunes, qui tentent de passer par les îles Canaries meurent par
centaines, dans l’indifférence générale, au large des côtes mauritaniennes et sénégalaises. L’Europe forteresse, dont la
France est l’une des chevilles ouvrières, déploie, en ce moment, une véritable armada contre ces quêteurs de passerelles en
vue de les éloigner le plus loin possible de ses frontières.
Les œuvres d’art, qui sont aujourd’hui à l’honneur au Musée du Quai Branly, appartiennent d’abord et avant tout aux peuples
déshérités du Mali, du Bénin, de la Guinée, du Niger, du Burkina-Faso, du Cameroun, du Congo…Elles constituent une part
substantielle du patrimoine culturel et artistique de ces « sans visa » dont certains sont morts par balles à Ceuta et Melilla et
des « sans papiers » qui sont quotidiennement traqués au cœur de l’Europe et, quand ils sont arrêtés, rendus, menottes aux
poings à leurs pays d’origine.
Dans ma « Lettre au Président des Français à propos de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique en général », je retiens le Musée du
Quai Branly comme l’une des expressions parfaites de ces contradictions, incohérences et paradoxes de la France dans ses
rapports à l’Afrique. A l’heure où celui-ci ouvre ses portes au public, je continue de me demander jusqu’où iront les puissants
de ce monde dans l’arrogance et le viol de notre imaginaire. Nous sommes invités, aujourd’hui, à célébrer avec l’ancienne
puissance coloniale une œuvre architecturale, incontestablement belle, ainsi que notre propre déchéance et la complaisance
de ceux qui, acteurs politiques et institutionnels africains, estiment que nos biens culturels sont mieux dans les beaux
édifices du Nord que sous nos propres cieux.
Je conteste le fait que l’idée de créer un musée de cette importance puisse naître, non pas d’un examen rigoureux, critique et
partagé des rapports entre l’Europe et l’Afrique, l’Asie, l’Amérique et l’Océanie dont les pièces sont originaires, mais de
l’amitié d’un Chef d’Etat avec un collectionneur d’œuvre d’art qu’il a rencontré un jour sur une plage de l’île Maurice.
Les trois cent mille pièces que le Musée du Quai Branly abrite constituent un véritable trésor de guerre en raison du mode
d’acquisition de certaines d’entre elles et le trafic d’influence auquel celui-ci donne parfois lieu entre la France et les pays
dont elles sont originaires. Je ne sais pas comment les transactions se sont opérées du temps de François 1er, de Louis XIV et
au XIXième siècle pour les pièces les plus anciennes. Je sais, par contre, qu’en son temps, Catherine Trautman, à l’époque
ministre de la culture de la France dont j’étais l’homologue malienne, m’avait demandé d’autoriser l’achat pour le Musée du
Quai Branly d’une statuette de Tial appartenant à un collectionneur belge. De peur de participer au blanchiment d’une œuvre
d’art qui serait sortie frauduleusement de notre pays, j’ai proposé que la France l’achète (pour la coquette somme de deux
cents millions de francs CFA), pour nous la restituer afin que nous puissions ensuite la lui prêter. Je me suis entendue dire,
au niveau du Comité d’orientation dont j’étais l’un des membres que l’argent du contribuable français ne pouvait pas être
utilisé dans l’acquisition d’une pièce qui reviendrait au Mali. Exclue à partir de ce moment de la négociation, j’ai appris par la
suite que l’Etat malien, qui n’a pas de compte à rendre à ses contribuables, a acheté la pièce en question en vue de la prêter
au Musée.
Alors, que célèbre-t-on aujourd’hui ? S’agit-il de la sanctuarisation de la passion que le Président des Français a en partage
avec son ami disparu ainsi que le talent de l’architecte du Musée ou les droits culturels, économiques, politiques et sociaux
des peuples d’Afrique, d’Asie, d’Amérique et d’Océanie ?
Le Musée du Quai Branly est bâti, de mon point de vue, sur un profond et douloureux paradoxe à partir du moment où la
quasi totalité des Africains, des Amérindiens, des Aborigènes d’Australie, dont le talent et la créativité sont célébrés, n’en
franchiront jamais le seuil compte tenu de la loi sur l’immigration choisie. Il est vrai que des dispositions sont prises pour que
nous puissions consulter les archives via l’Internet. Nos œuvres ont droit de cité là où nous sommes, dans l’ensemble, interdits
de séjour.
A l’intention de ceux qui voudraient voir le message politique derrière l’esthétique, le dialogue des cultures derrière la
beauté des œuvres, je crains que l’on soit loin du compte. Un masque africain sur la place de la République n’est d’aucune
utilité face à la honte et à l’humiliation subies par les Africains et les autres peuples pillés dans le cadre d’une certaine
coopération au développement.
Bienvenue donc au Musée de l’interpellation qui contribuera - je l’espère - à édifier les opinions publiques française,
africaine et mondiale sur l’une des manières dont l’Europe continue de se servir et d’asservir d’autres peuples du monde tout
en prétendant le contraire.
Pour terminer je voudrais m’adresser, encore une fois, à ces œuvres de l’esprit qui sauront intercéder auprès des opinions
publiques pour nous.
« Vous nous manquez terriblement. Notre pays, le Mali et l’Afrique tout entière continuent de subir bien des bouleversements.
Aux Dieux des Chrétiens et des Musulmans qui vous ont contesté votre place dans nos cœurs et vos fonctions dans nos
sociétés s’est ajouté le Dieu argent. Vous devez en savoir quelque chose au regard des transactions dont certaines nouvelles
acquisitions de ce musée ont été l’objet. Il est le moteur du marché dit ‘’libre’’ et ‘’concurrentiel’’ qui est supposé être le
paradis sur Terre alors qu’il n’est que gouffre pour l’Afrique.
Appauvris, désemparés et manipulés par des dirigeants convertis au dogme du marché, vos peuples s’en prennent les uns aux
autres, s’entretuent ou fuient. Parfois, ils viennent buter contre le long mur de l’indifférence, dont Schengen.
N’entendez-vous pas, de plus en plus, les lamentations de ceux et celles qui empruntent la voie terrestre, se perdre dans le
Sahara ou se noyer dans les eaux de la Méditerranée ? N’entendez-vous point les cris de ces centaines de naufragés dont
des femmes enceintes et des enfants en bas âge ?
Si oui, ne restez pas muettes, ne vous sentez pas impuissantes. Soyez la voix de vos peuples et témoignez pour eux. Rappelez à
ceux qui vous veulent tant ici dans leurs musées et aux citoyens français et européens qui les visitent que l’annulation totale
et immédiate de la dette extérieure de l’Afrique est primordiale. Dites-leur surtout que libéré de ce fardeau, du dogme du
tout marché qui justifie la tutelle du FMI et de la Banque mondiale, le continent noir redressera la tête et l’échine (1). »
Aminata Traoré est essayiste et ancienne Ministre, de la culture et du Tourisme du Mali
1. Aminata TRAORE : Lettre au Président des Français à propos de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique en général, Fayard, 2005.
http://www.africultures.com/index.asp?menu=affiche_article&no=4458