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 Evo Morales, un Indien président de Bolivie

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mihou
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mihou


Nombre de messages : 8092
Localisation : Washington D.C.
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Evo Morales, un Indien président de Bolivie Empty
29062006
MessageEvo Morales, un Indien président de Bolivie

Evo Morales, un Indien président de Bolivie : Sortir du cycle colonial ?
23/01/2006

Le 22 janvier 2006 la Bolivie se dotait d’un nouveau président, nouveau et atypique celui là. Evo Morales, un amérindien, autochtone donc, clamant son identité, est le premier indigène à occuper la fonction de président de la république dans son pays. De plus, son ascension par le syndicalisme s’est faite dans une opposition frontale avec les Etats-Unis qui ont toujours considéré l’Amérique latine comme leur arrière-pays... Il serait présomptueux de tirer trop hâtivement des enseignements de cette avènement certainement peu commun, mais il y a comme un signe dans cette élection à 54% d’un descendant des exterminés de la couronne d’Espagne.



Evo Morales n’a vraiment pas «la tête de l’emploi» et il s’y est employé durant sa carrière. Issu de la communauté indienne Aymara, d’ascendance sociale pauvre, il a fait ses classes au sein du syndicat des planteurs de coca, plante traditionnelle pour les amérindiens, utilisée par ailleurs pour la fabrication de cocaïne, contre laquelle les Etats-Unis financent une politique d’éradication totale...

Il ne s’est jamais caché de ses amitiés cubaine ou vénézuélienne, qu’il prend pour modèle [Hugo Chavez notamment], alors que, fait rare, pendant sa tournée de prise de contact, avant même son investiture officielle, il rendait une visite au «grand frère sud-africain» tel qu’il le dit lui-même. Considérant ce qui s’est passé en 1994 en Afrique du Sud comme le grand frère de ce qui se passe en Bolivie, il a rapproché les situations de discriminations vécues par les Indiens à celles des Noirs sud-africains sur leurs territoires ancestraux pendant l’apartheid.

Si l’on rajoute à cela le fait rapporté qu’il se soit félicité en son temps des attentats anti-américains du 11 septembre 2001, la boucle peut-être provisoirement refermée sur le profil très particulier du président du pays probablement le plus pauvre d’Amérique latine, avec 9 millions d’habitants en majorité indiens.



Evo Morales incarnerait une véritable volonté de sortie du cycle colonial long de cinq siècles au minimum. Ses propos à cet égard sont sans ambiguïté même si demeure la question de savoir s’il en aura les moyens ou s’il saura s’en donner les moyens.



Symboliquement, cet indien Aymara a rendu grâce à la déesse Pachamama, déesse terre, prodigalité et protectrice, après son élection, dans une cérémonie dirigée rituellement par les chamans de sa tribu. Pachamama fut vénérée dans tout le territoire des Andes de la Bolivie au Pérou durant la période pré-Inca, son culte s’est mué par endroits, en de nombreux syncrétismes, certains l’associant à la vierge Marie... Cette position à la fois d’affirmation identitaire et politique, l’a vu se faire remettre le bâton de commandement des 36 nations indiennes de Bolivie par les prêtres de Tiwanaku, sur les ruines Pré-Incas.



Le symbole semble ici ne pas tenir à des simulacres identitaires, et le nouveau président bolivien l’a prouvé au moins par son combat contre la politique américaine de « zéro coca » contre laquelle il s’est élevé au nom de la tradition.

Le discours d’Evo Morales s’ancre dans l’histoire coloniale qu’il relie aux pillages contemporains des ressources naturelles de Bolivie par les multinationales. Il rappelle les cinq siècles de colonisation espagnole sanglante, la captation de l’or, de l’argent, de l’étain caractéristiques de la période coloniale. Dans la foulée il n’oublie pas de rendre hommage aux Anticolonialistes Bolivar, Che Guevara, et les résistants indiens.

De cet ancrage dans l’histoire, Morales, leader du Mouvement vers le socialisme [MAS] tire une orientation nettement anticolonialiste, affirmant qu’une nouvelle ère est arrivée, celle où les natifs ont repris le pouvoir, ce qui le conduit à une attention particulière au sort des indigènes, des autochtones.

En cela, il se rapproche de l’Afrique du Sud dont il estime que l’expérience de lutte contre les discriminations subies par les autochtones lui sera bénéfique. En effet 65% de la population bolivienne est indienne et ce n’est que le premier indien arrivé au pouvoir, dans un pays instable politiquement mais indépendant depuis 1825 !

L’anticolonialisme de Morales, en toute cohérence oriente son action contre les dominations et hégémonies contemporaines héritées du passé ou entreposées entre temps. La part des multinationales espagnole, française [Total] et brésilienne lui apparaît léonine, et le nouveau président souhaite, à défaut de renationalisation, revoir les contrats d’exploitation des ressources naturelles qui ne profitent pas aux plus pauvres.

La base électorale de Morales est effectivement constituée principalement d’une population pauvre qui est souvent descendue dans la rue pour réclamer une meilleure répartition des rentes gazières... ce qui n’est pas dans les habitudes des multinationales. Ce chapitre promet des tensions sérieuses impliquant les Etats d’origines des dites firmes...

Le rejet du néolibéralisme que le nouvel élu de Bolivie partage avec un nombre croissant de dirigeants d’Amérique latine est un trait marquant d’une possible géopolitique sud-américaine naissante. Par ces problématiques issues de la colonisation, racisme, exclusion des autochtones non-blancs, poursuite du néocolonialisme par les firmes prédatrices et les oligarchies aux ordres, la Bolivie, ainsi que le Brésil, le Venezuela, et Cuba se trouvent objectivement assez proches de l’Afrique dont ils tentent de se rapprocher par la tête de pont sud-africaine. Des recompositions stratégiques seraient envisageables, un axe réunissant les anciens colonisés, éventuellement jouant de concert ou en complémentarité avec les pays émergents d’Asie pourraient poindre à l’horizon.

Les programmes économiques de renationalisation ou de meilleur répartition des rentes sur les matières premières occuperaient une place de choix dans ces axes stratégiques, alors que l’atténuation des disparités internes, provenant du pompage corruptif des richesses naturelles, devrait entrer dans l’urgence, afin d’apaiser les sociétés, favorisant la constitution stable d’une classe moyenne. C’est dans ce cadre que serait également envisagé l’épineux problème bolivien des conflits autour de l’autonomie des régions, qui ont contribué à l’instabilité du pays.



Un président sud-américain qui parle d’anticolonialisme, de partage des fruits de l’exploitation des richesses naturelles entre les grands groupes et les populations, résolument contre les privatisations appauvrissantes [pour une quasi renationalisation de l’eau] et qui de surcroît fait référence à son passé, son histoire, sa culture précolombienne, mérite qu’on lui souhaite bonne route à la suite de Pachamama. Réussira t-il à incarner la sortie du cycle colonial ? L’Afrique des élites saura t-elle lire ces changements qualitativement énormes dans la gouvernance mondiale et les rapports entre les civilisations ?

François Pety
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