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 Cheikh Anta Diop, restaurateur de la conscience noire

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mihou
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mihou


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29062006
MessageCheikh Anta Diop, restaurateur de la conscience noire

Cheikh Anta Diop, restaurateur de la conscience noire

INTELLECTUEL et humaniste sénégalais disparu en 1986, Cheikh Anta Diop fut l’homme de l’intégrité morale et du refus des compromissions. Dans un contexte de marginalisation accélérée du continent, ses travaux, qui marquèrent le retour de la conscience historique de l’Afrique, appellent à la permanence du combat contre les racismes sous toutes leurs formes.



Par Fabrice Hervieu Wané
Journaliste






Le jeune Cheikh Anta Diop « risque par la mauvaise disposition de son professeur, M. Boyaud, de tripler sa troisième, ce qui motiverait sans aucun doute son renvoi du lycée. M. Boyaud est un singulier professeur, dont j’ai eu l’occasion, dès ses débuts au lycée, de signaler l’attitude hostile à notre race aux autorités. Ses théories sur la race, qui font de lui un disciple de Gobineau, sont des plus pernicieuses et font que le fossé se creuse chaque jour davantage entre le Blanc et le Noir... (1) »

Cette lettre, rédigée en août 1941 par un des responsables administratifs du lycée Van Vollenhoven de Dakar, est adressée à l’inspecteur général de l’enseignement en Afrique occidentale française (AOF). Le Sénégal n’existe pas encore, et le climat qui règne alors dans les milieux de l’enseignement comme dans ceux de la recherche universitaire est fortement teinté de colonialisme et de racisme anti-noir.

Anthropologues et historiens africanistes, égyptologues traditionalistes, pour la plupart français et occidentaux, semblent encore pétris de terribles préjugés : l’infériorité de la race noire, le prélogisme de la mentalité primitive, l’exclusion du monde africain noir de l’histoire universelle... Cheikh Anta Diop va prendre le contre-pied théorique de ce milieu solidement établi dans l’enceinte même de l’université française. D’abord par la présentation de sa thèse, qui sera refusée, ensuite par la publication de Nations nègres et culture en 1954.

Le livre sonne comme un coup de tonnerre dans le ciel tranquille de l’establishment intellectuel : l’auteur y fait la démonstration que la civilisation de l’Egypte ancienne était négro-africaine, justifiant les objectifs de sa recherche en ces termes : « L’explication de l’origine d’une civilisation africaine n’est logique et acceptable, n’est sérieuse, objective et scientifique, que si l’on aboutit, par un biais quelconque, à ce Blanc mythique dont on ne se soucie point de justifier l’arrivée et l’installation dans ces régions. On comprend aisément comment les savants devaient être conduits au bout de leur raisonnement, de leurs déductions logiques et dialectiques, à la notion de »Blancs à peau noire« , très répandue dans les milieux des spécialistes de l’Europe. De tels systèmes sont évidemment sans lendemain, en ce sens qu’ils manquent totalement de base réelle. Ils ne s’expliquent que par la passion qui ronge leurs auteurs, laquelle transparaît sous les apparences d’objectivité et de sérénité (2) ».

Si l’ouvrage dérange les gardiens du temple, c’est non seulement parce que Cheikh Anta Diop propose une « décolonisation » de l’histoire africaine, mais aussi parce que le livre fonde une « Histoire » africaine et se tient aux frontières de l’engagement politique, analysant l’identification des grands courants migratoires et la formation des ethnies ; la délimitation de l’aire culturelle du monde noir, qui s’étend jusqu’en Asie occidentale, dans la vallée de l’Indus ; la démonstration de l’aptitude des langues africaines à supporter la pensée scientifique et philosophique et, partant, la première transcription africaine non ethnographique de ces langues...

Lors de sa parution, le livre semble si révolutionnaire que très peu d’intellectuels africains osent y adhérer. Seul Aimé Césaire s’enthousiasme, dans le Discours sur le colonialisme, évoquant « le livre le plus audacieux qu’un nègre ait jamais écrit (3) ». Aussi faut-il attendre vingt ans pour qu’une grande partie de ses théories se trouve confortée, à la suite du colloque international du Caire de 1974, organisé sous l’égide de l’Unesco et réunissant parmi les plus éminents égyptologues du monde entier (4). Et plus de vingt autres années pour qu’il soit pris acte de son oeuvre après sa disparition. Certaines idées de Cheikh Anta Diop, principalement l’historicité des sociétés africaines, l’antériorité de l’Afrique et l’africanité de l’Egypte, ne sont plus discutées (5).

Mais, à côté de cette « entente cordiale », la controverse porte sur trois points majeurs : on lui reproche son égypto- centrisme, l’importance qu’il accorde à la notion de race et la trop grande influence de son combat politique sur ses théories scientifiques. Bref, son oeuvre resterait trop empreinte d’idéologie. Même s’il est bon de rappeler, comme le fait M. Aboubacry Moussa Lam, professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de l’université de Dakar, que « Cheikh Anta Diop n’a pas choisi son terrain de combat : il n’a fait que répondre aux débats de son époque ».

Bien qu’il ne puisse contester les idées de l’intellectuel sur l’origine africaine de l’humanité, M. Pathé Diagne, linguiste-éditeur, ne « partage plus aujourd’hui son égypto-centrisme. Avec le recul, c’est un peu comme s’il ne s’était pas trompé sur l’Egypte mais n’avait étudié que l’Egypte ». Un point de vue partagé par M. Amady Aly Dieng, enseignant et ancien compagnon de route de Cheikh Anta Diop : « Comme Senghor, et c’est peut-être là leur seul point de rencontre, il demeure méditerranéo-centriste dans son approche de l’histoire africaine. Mettant au centre la Grèce pour le premier, l’Egypte pour le second. Et s’il ne développe pas de vision atlantiste, c’est par souci de toujours valoriser la culture noire. C’est pourquoi il passe la traite négrière sous silence. » Une critique que l’on retrouve chez Ibrahima Thioub, historien moderne : « Même si la traite et la colonisation ne représentent qu’une seconde au regard de l’histoire égyptienne, il est impossible de faire l’impasse sur elles. C’est aussi notre histoire et notre actualité à nous, Sénégalais et Africains. Voilà pourquoi je le soupçonne d’avoir accordé trop de poids à l’Egypte, en toute bonne foi, sans s’en être rendu compte. »

Sur un autre plan, si la division de l’humanité en races et le fondement de la distinction Blanc-Noir sont considérés comme relevant d’une raciologie ancienne réfutée par les développements de la génétique, on peut se demander dans quelle mesure il y a lieu de reprocher à Cheikh Anta Diop d’utiliser la terminologie de son époque. M. Alain Froment, anthropologue à l’Orstom, explique que le physicien « est longtemps demeuré résolument fidèle au découpage racial qui avait cours dans la première moitié du XXe siècle et que la génétique a pratiquement démantelé depuis (6) ». Ne donne-t-il pas lui-même, pour signifier ces découvertes de la génétique, les dates de 1982 et 1984, soit quatre et deux ans avant le décès de Cheikh Anta Diop, donc longtemps après la parution de ses principaux ouvrages ?

Comme l’ont montré MM. Mamadou Diouf et Mohamed Mbodj, deux intellectuels sénégalais : « On aurait pu admettre l’accusation de racisme (...) si les dommages subis au nom de la »race« se retrouvaient de manière égale de part et d’autre, ce qui n’est bien évidemment pas le cas. De plus, ce »racisme noir« n’aurait trouvé sa valeur que s’il avait pu créer un complexe de culpabilité chez les Européens, ce qui n’est pas le but de Cheikh Anta Diop. Pas plus qu’il ne cherche à conforter une croyance populaire ; il écrit pour une élite déjà fortement convaincue de l’égalité de l’espèce humaine (7). » C’est pourquoi, s’il demeure incontestable qu’il a utilisé les mêmes armes que ses « adversaires scientifiques », on peut difficilement accuser Cheikh Anta Diop de racisme. Les témoignages sont unanimes pour le présenter comme une grande figure de l’humanisme : « Le problème, explique-t-il dans son intervention au colloque d’Athènes de l’Unesco, en 1981, est de rééduquer notre perception de l’être humain, pour qu’elle se détache de l’apparence raciale et se polarise sur l’humain débarrassé de toutes coordonnées ethniques. » « Je n’aime pas employer la notion de race (qui n’existe pas) (...). On ne doit pas y attacher une importance obsessionnelle. C’est le hasard de l’évolution (Cool. »

Reste l’influence du militantisme politique sur le discours scientifique (voir l’encadré ci-contre). A une époque où les jeunes intellectuels africains, déçus par le concept de négritude, cherchent une idéologie noire et militante de substitution, pour Cheikh Anta Diop, l’une des conditions d’un fédéralisme continental passe par la conscience. En redonnant une histoire, une conscience historique aux Africains, il souhaite surtout rétablir leur dignité. Qui pourrait lui reprocher une telle démarche, tant les idéologies qu’il combattait semblent tenaces ?

En fait, Cheikh Anta Diop rêvait secrètement d’une synthèse entre ancrage et métissage culturels. « La plénitude culturelle ne peut que rendre un peuple plus apte à contribuer au progrès général de l’humanité et à se rapprocher des autres peuples en connaissance de cause (9). »

Fabrice Hervieu Wané.




(1) Lettre datée du 7 août 1941, Dossier Cheikh Anta Diop, Archives nationales du Sénégal, Dakar.

(2) Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture, t. I, Présence africaine, Paris, 1954.

(3) Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Présence africaine, Paris, 1955.

(4) Histoire générale de l’Afrique. Etudes et documents, volume I, Unesco, Paris, 1978.

(5) Actes du colloque « L’oeuvre de Cheikh Anta Diop : la renaissance de l’Afrique au seuil du troisième millénaire », Dakar-Caytu, 26 février-2 mars 1996, en cours de publication.

(6) Alain Froment, « Origine et évolution de l’homme dans la pensée de Cheikh Anta Diop : une analyse critique », Cahiers d’études africaines, Paris, no 121- 122, 1991.

(7) Mamadou Diouf, Mohamad Mbodj, « The Shadow of Cheikh Anta Diop », in The Surreptitious Speech. Présence africaine and the Politics of Otherness, 1947-1987, The University of Chicago Press, Chicago, 1992.

(Cool Conférence du Centre Georges-Pompidou, 7 juin 1985, Nomade, Paris no 1-2, 1990, Martin Bernal, Black Athena, The Afroasiatic Roots of Classical Civilization, tomes I et II, Rutgers University Press, New Brunswick, 1988-1991. Voir aussi : Théophile Obenga, Cheikh Anta Diop, Volney et le Sphinx, Présence africaine et Khepera, Paris, 1996. Revue Ankh, éditions Khepera, BP 11, 91192 Gif-sur-Yvette Cedex.

(9) Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres : mythe ou vérité historique ? Présence africaine, Paris 1967.

Lire :
- « Redresser la tête, se tenir debout »








LE MONDE DIPLOMATIQUE | janvier 1998 | Pages 24 et 25
http://www.monde-diplomatique.fr/1998/01/HERVIEU_WANE/9787
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https://vuesdumonde.forumactif.com/
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Cheikh Anta Diop, restaurateur de la conscience noire :: Commentaires

Cheikh Anta Diop. L’Homme et l’œuvre

Cet ouvrage, conçu et rédigé par le fils aîné de Cheikh Anta Diop, est un hommage sérieux et documenté, presque ascétique, sur la personnalité et l’œuvre du grand historien sénégalais. Si un tel livre ne peut qu’être limité dans la critique de son sujet, il présente le grand intérêt d’exposer de manière didactique une œuvre scientifique majeure et féconde. Les travaux de Cheikh Anta Diop constituèrent un tournant dans la vision, non seulement de l’histoire africaine, mais de l’Afrique elle-même. L’ouvrage de Cheikh M’Backé Diop fournit des indications biographiques, agrémentées d’anecdotes drôles ou émouvantes (telle la perplexité admirative du jury de la Sorbonne qui accorda à Cheikh Anta Diop son titre de docteur ès lettres en 1960). Acteur des mouvements pour l’indépendance, Cheikh Anta Diop s’opposa à Léopold Sédar Senghor, auquel il reprochait une vision essentialiste, « aliénée », de la négritude. Le livre évoque et met en perspectives les débats qu’a suscités l’œuvre foisonnante de l’historien, notamment sa thèse majeure sur les origines noires de la civilisation égyptienne. Historien humaniste, Cheikh Anta Diop a ouvert une véritable mine d’or pour les chercheurs qui l’ont suivi.
Anne-Cécile Robert.

Présence africaine, Dakar, 2003, 410 pages, 30 euros.


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