CE N EST PAS LA PALME D OR
Sélection officielle. Rachid Bouchareb rend justice aux soldats africains
morts pour libérer la France des nazis, dans un film étouffé sous les bons
sentiments.
«Indigènes», pour le geste (liberation.fr) par Olivier SEGURET
QUOTIDIEN : vendredi 26 mai 2006
Indigènes de Rachid Bouchareb (France), avec Jamel Debbouze, Samy Nacéri,
Roschdy Zem, Sami Bouajila, Bernard Blancan. 2 h 08. Sortie le 27 septembre.
Si l'on s'en tenait strictement à la qualité du film, de sa mise en scène et
de son scénario, il n'est pas sûr qu'Indigènes ferait autant parler de lui. Ce
qui justifie l'attention médiatique qui lui a été portée depuis son tournage et
explique aussi sa présence en Sélection officielle cannoise, c'est son sujet et,
partant, son casting.
Cimetière. Nul ne devrait plus ignorer que le film de Rachid Bouchareb
raconte le destin de quatre jeunes Algériens, engagés volontaires dans l'armée
française (d'Afrique) en 1943 pour délivrer la «mère patrie» du joug nazi. Ils
vont découvrir tout à la fois un pays (la France) un peuple (notamment les
femmes) et la guerre, au cours de laquelle ils démontreront la bravoure et le
courage, aussi admirables que convenus, que le registre héroïque suppose. Des
montagnes algériennes à celles des Vosges, de l'Italie à l'Alsace en passant par
la Provence et en finissant au cimetière, le bataillon d'infanterie où les
quatre personnages nouent une indéfectible amitié va traverser d'un même
mouvement et la grande histoire et les apparences.
Oui, c'est vrai, il y a quelque chose de symboliquement fort et émouvant dans
la construction d'un casting et d'une affiche dont quatre noms arabes se
partagent, enfin, la tête. Et le quatuor imaginé par Bouchareb, qui attelle Sami
Bouajila, Roschdy Zem, Jamel Debbouze et Sami Nacéri, constitue sans doute le
principal intérêt d'Indigènes : ils y jouent chacun une honnête partition tout
en laissant ensemble entrevoir la qualité de leur accord collectif (n'omettons
pas pour autant le francaouète du lot, Bernard Blancan, dans le rôle du
lieutenant Martinez). Mais, au-delà de la justice rendue aux quelque 130 000
soldats africains que l'histoire officielle a si longtemps oubliés, au-delà du
légitime travail de mémoire auquel Bouchareb nous convoque, au-delà du noble
geste qui consiste à restaurer l'honneur piétiné de ceux qui prirent leur part à
la libération de ce pays, il est franchement difficile de trouver dans Indigènes
de quoi nourrir sa faim cinéphile.
Etouffé. Le «sujet», voilà l'ennemi. Non pas le thème lui-même, ni bien sûr le
morceau d'histoire qu'il réintroduit utilement, mais la contamination complète
du film par son sujet ; la geste démonstrative dans laquelle Bouchareb s'englue
; ce sentiment que l'on coche l'une après l'autre toutes les cases consensuelles
d'un film étouffé sous les bons sentiments. Il y avait pourtant du risque à
creuser, du venin à lâcher, du trouble à reconstituer, comme le démontre une
seule et trop rapide scène de chambrée violente. Dans Indigènes, les gouffres et
les falaises sont aplanis, jusqu'à la dévitalisation. A quoi bon une idée aussi
révolutionnaire pour pratiquer un cinéma aussi conservateur ?