Le Monténégro veut une séparation rapide de la Serbie
LE MONDE | 23.05.06 | 15h58 • Mis à jour le 23.05.06 | 15h58
PODGORICA, BELGRADE ENVOYÉS SPÉCIAUX
S'il n'en reste qu'une, ce sera la Serbie. Toutes les anciennes républiques de l'ex-Yougoslavie (Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine) ont en effet salué, lundi, le déroulement et le résultat du référendum organisé, dimanche 21 mai, au Monténégro, et qui a abouti à la dislocation de la Communauté des Etats de Serbie et du Monténégro. Toutes, sauf la Serbie, qui entretenait toujours le silence vingt- quatre heures après la clôture du scrutin.
Chronologie
1991. En juin, la Slovénie puis la Croatie proclament leur indépendance. L'armée fédérale intervient en Slovénie, mais elle se retire en juillet (accord de Brioni). En juillet, la guerre commence en Croatie.
1992. En avril, les Européens reconnaissent l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine, proclamée en octobre 1991. La guerre s'étend à la Bosnie avec le siège de Sarajevo par l'armée serbe.
1993. En avril, la Macédoine indépendante est admise aux Nations unies ; la Grèce lui refuse de porter ce nom.
1995. Les présidents serbe, croate et bosniaque signent, le 21 novembre les accords de Dayton, qui entérinent le partage de la Bosnie en deux entités : la République serbe et la Fédération croato-musulmane.
1999. En mai et juin, l'OTAN intervient dans la guerre du Kosovo. Le statut du Kosovo doit être fixé avant la fin 2006, sous l'égide de l'ONU.
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Silence diplomatique et résignation de la rue, où "aucune manifestation radicale" n'a accompagné l'annonce du résultat du référendum monténégrin, a indiqué le ministère de l'intérieur serbe. Devant le quartier général du Parti socialiste de Serbie (SPS) de l'ex-président Slobodan Milosevic, Bisera, une militante, ne s'étonnait pas de ce "manque de réaction". "Les gens, disait-elle, sont d'avantage préoccupés par leur porte-monnaie que par leur pays." "Maintenant que nous sommes séparés, les choses sont plus claires", ajoutait-elle.
Lors d'une conférence de presse à Podgorica, le premier ministre monténégrin, Milo Djukanovic, a dit ne pas s'attendre non plus à "une radicalisation des relations de la Serbie envers les citoyens du Monténégro".
Non sans ironie, M. Djukanovic a "félicité les Serbes pour leur nouvelle indépendance", résultat involontaire pour Belgrade du vote organisé la veille au Monténégro. Car, dans une posture légaliste qu'il aime à défendre, son homologue serbe, le nationaliste Vojislav Kostunica, a fait savoir qu'il attendrait la proclamation définitive et officielle des résultats avant de se prononcer. Seul le ministre des affaires étrangères de Serbie-Monténégro, Vuk Draskovic, peu habitué à la langue de bois, a "félicité", "à titre personnel", le Monténégro de son "choix démocratique". D'autres membres du gouvernement de Belgrade, comme le ministre des finances, Mladen Dinkic, et le ministre des droits de l'homme, Rasim Ljajic, connus pour leurs positions progressistes, ont estimé que la Serbie devait accepter l'indépendance du Monténégro.
Selon les chiffres définitifs de la commission électorale publiés mardi, 55,5 % des Monténégrins se sont prononcés, dimanche, en faveur de l'indépendance. L'Union européenne avait fixé un seuil de 55 % pour valider le référendum. Les partisans de l'union avec la Serbie ont indiqué vouloir demander un nouveau décompte des voix, mais ils n'avaient entamé, mardi matin, aucune démarche en ce sens.
A Podgorica, le premier ministre indépendantiste Milo Djukanovic a dit espérer que Belgrade sera "le premier pays à féliciter le Monténégro" lorsque son indépendance sera officiellement proclamée.
"Nous allons attendre que la Serbie soit disposée à ouvrir le dialogue sur la dissolution de la Serbie-Monténégro et sur nos relations bilatérales. J'espère que ce dialogue sera court et concret", a déclaré M. Djukanovic, ajoutant que Podgorica n'allait "pas prendre de mesures unilatérales". "Il n'y a pas de difficultés insurmontables, il y a seulement eu des problèmes causés par de mauvaises institutions", a-t-il ajouté.
En coulisse, un diplomate monténégrin regrettait qu'aucune discussion n'ait été possible avec Belgrade avant le référendum. Les deux Etats devront, notamment, régler les questions liées aux représentations diplomatiques et aux casernes de l'armée.
Belgrade était opposée à l'indépendance de cette république de 650 000 habitants dont le destin et l'histoire sont si étroitement liés à ceux de la Serbie, et qui la prive dorénavant d'accès à la mer.
Signe du climat tendu à Belgrade face à ce succès sécessionniste, M. Kostunica s'est déclaré, lundi, "totalement insatisfait" de la façon dont se déroulent les négociations sur le Kosovo, à la veille d'une nouvelle réunion à Vienne. Le Kosovo, sous administration internationale depuis 1999, est peuplé à 95 % d'Albanais qui négocient cette année avec Belgrade, sous les auspices de l'ONU, leur détachement de la Serbie. Le gouvernement serbe refuse cette option et craint que l'exemple monténégrin ne le place dans une position intenable face aux indépendantistes kosovars albanais.
Christophe Châtelot et Jacques Follorou
Article paru dans l'édition du 24.05.06
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