Apartheid légal: Les Palestiniens mariés à des Israéliens ne pourront plus résider en Israël
LE MONDE | 17.05.06 | 13h33 • Mis à jour le 17.05.06 | 13h33
JÉRUSALEM CORRESPONDANTE
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En tant que juriste, Mourad Al-Sana avait confiance en la justice de son pays. Mais, dimanche 14 mai, les espoirs de cet Arabe israélien d'origine bédouine se sont évanouis. La Haute Cour de justice israélienne a rejeté la pétition d'associations de défense des droits de l'homme demandant l'annulation d'une disposition à la loi sur la citoyenneté qui rend extrêmement difficile la possibilité pour le conjoint palestinien d'un citoyen israélien de résider en Israël.
La famille Al-Sana vit dans une ville du Néguev depuis trois ans. Abir, la femme de Mourad, est originaire de Bethléem, en Cisjordanie. A ce titre, elle est considérée comme ressortissante d'un "pays ennemi" et, depuis un amendement d'urgence voté en 2002, n'a quasiment aucune chance d'obtenir un droit de résidence permanente en Israël et, a fortiori, la nationalité israélienne.
Régulièrement, elle demande un permis de "résidente temporaire", et, malgré la nationalité israélienne de son mari et de leurs enfants, elle ne peut espérer une mesure de regroupement familial. Son seul document officiel est une interdiction d'expulsion. Son âge, 30 ans, la met à l'abri d'un renvoi vers les territoires occupés, car le texte prévoit que les femmes palestiniennes de plus de 25 ans et les hommes de plus de 35 ans ne sont pas systématiquement expulsés.
Comme les Al-Sana, quelque 5 000 couples mixtes connaissent les aléas de cette précarité institutionnelle. Faute de papiers, Abir ne bénéficie pas du système de santé israélien et n'a aucune chance d'exercer son métier de professeur. L'option de vivre en Cisjordanie, recommandée par nombre d'hommes politiques israéliens à leurs concitoyens arabes, choque Mourad: "Je suis israélien ; ici, c'est mon pays, pourquoi devrais-je le quitter à cause d'un texte raciste ?" D'autant que cette solution ne peut s'appliquer aux rares couples mixtes juif israélien-palestinien. Pour des "raisons de sécurité", les juifs n'ont pas le droit de vivre dans les villes palestiniennes. C'est ce que la justice a affirmé à Jasmin Avissar, une juive mariée à un homme de Ramallah, Oussama Zatar. Lui ne peut entrer en Israël, et ils sont donc officiellement condamnés à se rencontrer aux check-points. D'autres ont fait le choix de vivre illégalement en Israël.
Les juges de la Cour suprême n'ont pas tenu compte des drames personnels engendrés par ce texte. "Les bienfaits et la sécurité que la loi sur la citoyenneté procure aux habitants d'Israël surpassent les dommages occasionnés aux quelques citoyens israéliens mariés à des Palestiniens", ont-ils estimé. Mais, au-delà des considérations sécuritaires, ce texte, en filigrane, entend aussi préserver un autre principe: "le maintien d'une majorité juive" dans le pays. Car, selon le quotidien Haaretz, parmi les dizaines de milliers d'Arabes qui ont obtenu la nationalité israélienne dans le cadre du regroupement familial depuis 1967, seuls 26 ont été interrogés pour des liens supposés avec le terrorisme. "Si les intentions de ce texte étaient uniquement sécuritaires, ajoute Mourad, il suffirait que les autorités contrôlent la personnalité des candidats à l'entrée en Israël. Or il s'agit avant tout d'une discrimination à l'égard de la communauté arabe du pays."
Les députés arabes israéliens et une partie de la gauche ont déploré la décision de la Haute Cour de cautionner "une loi ancrée dans le racisme", selon les termes d'un député juif du Meretz (gauche). Le ministre de la justice, Haïm Ramon, a annoncé un nouveau "toilettage" des règles d'immigration en Israël, promettant des critères équivalents pour tous. Il a néanmoins précisé qu'"un Etat souverain a le droit d'empêcher les citoyens d'un Etat ennemi d'obtenir un statut sur son territoire".
Mourad espère seulement que, lors du renouvellement annuel de l'amendement de 2002 et lors des discussions sur une hypothétique nouvelle loi, le gouvernement et les députés "retrouvent leur bon sens".
Stéphanie Le Bars
Article paru dans l'édition du 18.05.06
Haaretz Last update - 12:52 18/05/2006