L’Histoire oubliée du Bataillon noir du Canada
01/02/2006
http://www.afrikara.com/index.php?page=contenu&art=1040
La contribution des Noirs dans les Amériques, ces descendants d’esclavisés africains dans le Nouveau Monde décrété par la chrétienté s’est souvent faite par leur intégration, toujours difficile et ambiguë aux forces armées où leur patriotisme était davantage une teinte naissante dans un combat plus global d’émancipation raciale et sociale. Le paradoxe, connu pour les Africains qui libérèrent la France en 1939-45 par exemple est la persistance, la reproduction des logiques de ségrégation et de racisme au sein des troupes qui, combattant un ennemi commun, devaient nécessairement se serrer les coudes, s’entraider, faire chose commune en fabricant des identités nationales occidentales...
Le moins honorable aura surtout été l’action publique des Etats pour, consciemment ou non, amoindrir sinon blanchir totalement les hauts faits de guerre revenant à des Noirs, ou tout simplement passer sous silence des périodes historiques critiques dans la formation des charpentes des nations contemporaines.
L’histoire du bataillon noir du Canada, unité non combattante de la guerre de 1914-18, bien que certains de ses éléments aient été dans les tranchées témoigne de cette part d’héroïsme, d’histoire martiale, combattante et ségréguée de Noirs en lutte de liberté dans les Amériques. Opportunité d’émancipation, instrumentalisations factionnelles et manifestation de leurs convictions, la guerre a été un lieu de refonte de leurs identités et de leurs ancrages sociaux aussi retrouve t-on la trace de participations des Noirs dès la Révolution américaine lors de la décolonisation [1775-17783].
Probablement un pays comme le Canada sort-il partiellement de l’enfermement idéologique et suprématiste de la Vieille Europe symbolisée par la France en investissant dans une dimension mémorielle du travail historique par l’édification de lieux, l’encouragement de productions culturelles sur ces Oubliés de l’histoire, anciens combattants noirs, américains ou antillais. Dès 1850 des soldats noirs commencèrent à recevoir des honneurs militaires pour leur bravoure, et c’est le héros de guerre William Edward Hall, marin de la Nouvelle Ecosse qui reçut le premier la plus haute décoration militaire de l’Empire, la Croix de la Victoria.
Calvin W. Ruck, auteur Canada's Black Battalion a également contribué à la création d'un site historique en l'honneur du Bataillon, à Pictou, en Nouvelle-Écosse.
Le bataillon noir du Canada*
Les Canadiens de race noire ont connu une histoire militaire longue et glorieuse. Au cours de la Révolution américaine, des Noirs ont combattu aux côtés des Britanniques. D'anciens esclaves ont formé leur propre corps d'armée, les Black Pioneers, qui s'est mérité des éloges pour sa bravoure et sa conduite. Des Noirs ont épaulé les Britanniques pendant la guerre de 1812 et ont participé aux batailles des hauteurs de Queenston et de Lundy's Lane. Le premier officier noir commissionné des Forces armées des États-Unis a été le major Martin Robinson Delany, de Chatham en Ontario. Il a joint les rangs des forces de l'Union lorsque la guerre de Sécession (1861-1865) a éclaté.
C'est pendant la guerre des Boers, dans les années 1890, que le concept de " guerre des Blancs " est devenu populaire. Aucun des deux camps n'a enrôlé de soldats noirs. Lorsque la Première Guerre mondiale a été déclarée, les Noirs canadiens ont afflué dans les bureaux de recrutement, tout comme les Blancs, mais ils en ont été évincés. Même si la politique militaire officielle stipulait que quiconque en âge et en état de combattre pouvait se joindre à l'armée, il appartenait à l'officier local du régiment ou du bataillon d'accepter ou de rejeter les candidats. Les officiers locaux adhéraient encore à la notion de " guerre des Blancs ". Ils écartaient les candidats noirs en prétextant, par exemple, qu'ils ne voulaient pas d'une armée en damier. Le colonel Ogilvie, commandant du 11e District militaire à Victoria, C.-B., a exprimé son avis dans une lettre adressée au quartier général du Conseil militaire et datée du 9 décembre 1915 : " […] Les commandants d'unité ont fait état de plusieurs demandes d'enrôlement par des gens de couleur, mais l'opinion générale est que leur présence causerait de grands torts car les Blancs ici refuseraient de servir aux côtés de Nègres [sic] ou de gens de couleur. "
Il est arrivé que des Noirs, acceptés dans des bureaux de recrutement, quittent leur emploi, se joignent à leur bataillon, y soient insultés et en soient renvoyés parce qu'on n'y acceptait pas de gens de couleur. C'eut été faire insulte aux soldats blancs! Il leur fallait donc rentrer chez eux et tenter de remettre de l'ordre dans leur vie. Cependant, des Blancs ont essayé de remédier à cette situation, en particulier le capitaine J. F. Tupper de Westville, en Nouvelle-Écosse, et J.R.B. Whitney, éditeur du Canadian Observer. Whitney a constitué un peloton de Noirs après avoir appris du lieutenant-général l'hon. sir Sam Hughes, ministre de la Milice et de la Défense, qu'il serait rattaché à un bataillon canadien existant. Whitney a organisé le régiment, mais s'est heurté à un obstacle que Hughes avait omis de mentionner : l'incorporation du régiment de Whitney était laissée à la discrétion des officiers des bataillons. Or, aucun bataillon n'était disposé à accepter dans ses rangs le régiment de Noirs. Whitney a donc été forcé de dissoudre son régiment. Les autorités ont alors décidé que la meilleure façon de procéder consistait à créer un bataillon de Noirs non combattant. Le 11 mai 1916, le ministère de la Guerre britannique à Londres communiquait au gouverneur général par télégraphe son intention d'accepter la constitution d'une telle unité. C'est ainsi qu'était officiellement créé, le 5 juillet 1916, le 2e Bataillon de construction du Corps expéditionnaire canadien. Il s'agissait là du premier et seul bataillon ségrégué au Canada. Son quartier général se trouvait à Pictou, en Nouvelle-Écosse. Il regroupait 1 049 militaires de tous grades. Il a été difficile de recruter suffisamment de Noirs pour former le bataillon car une certaine rancœur subsistait après ces deux années d'isolement. Et le fait que ce bataillon n'était pas combattant ajoutait au ressentiment.
Pour compléter l'effectif de ce bataillon, on a accepté des Noirs américains et des Noirs de partout au Canada. John Ware (le fameux cowboy) et ses deux fils ont quitté l'Alberta pour s'y joindre. Le révérend William White en est devenu l'aumônier. Détenant le grade de capitaine, il était ainsi le seul sous-officier noir de l'Armée britannique. Au cours de la même période, l'Armée américaine comptait plus de 600 officiers noirs.
Le 17 mars 1917, le Bataillon noir recevait l'ordre de se rendre outre-mer. Il a travaillé en France à la construction de voies ferrées.
Certains membres du bataillon ont été transférés dans d'autres unités, et quelques Noirs canadiens ont abouti au front, dans les tranchées. À la fin de la guerre, la contribution du 2e Bataillon de construction n'avait toujours pas été reconnue officiellement. Les annales officielles de la participation du Canada à la Grande Guerre ne font pas mention de ce bataillon. Il est quelque peu ironique de constater qu'en 1917, lorsque la conscription a été décidée parce que les volontaires ne suffisaient plus à la tâche, on a mobilisé les mêmes Noirs canadiens qui avaient été rejetés plus tôt. On les arrêtait dans la rue, et s'ils ne pouvaient produire les documents nécessaires, ils étaient enrôlés de force et envoyés outre-mer.
Il n'y a pas eu d'unités ségréguées pendant la Deuxième Guerre mondiale. La Marine et l'Armée ont d'abord refusé d'intégrer les Noirs parce qu'ils étaient jugés inaptes à servir, mais vers la fin de la guerre, on dénombrait des lieutenants d'aviation noirs. Le traitement réservé aux Noirs canadiens durant la Première Guerre mondiale est un autre exemple des obstacles auxquels la communauté noire s'est heurtée. La contribution du Bataillon noir ne doit pas tomber dans l'oubli [*Source http://www.whitepinepictures.com/seeds/iii/32-f/sidebar-f.htm]
Pasteur William A. White : seul officier noir du bataillon commissionné des forces armées britanniques
[Photo]
Fils d'anciens esclaves du Sud des États-Unis, William Andrew White s'est tourné vers le Canada afin d'y trouver la liberté.
§ Il a été le deuxième homme de race noire à être admis à l'Université Acadia et, par la suite, le premier à recevoir un doctorat honorifique en théologie.
§ M. White a obtenu son baccalauréat ès arts en théologie de l'Université Acadia en 1903 et a été ordonné ministre du culte. Il a ensuite voyagé pendant deux ans à titre de missionnaire pour les African Baptist Churches de la Nouvelle-Écosse.
M. White a épousé Izie Dora White avec qui il a eu 13 enfants.
§ En 1914, M. White s'est enrôlé dans le deuxième Bataillon de construction, une unité ségréguée regroupant uniquement des hommes de race noire. Il était le seul officier et aumônier noir de l'armée britannique. De retour chez lui, M. White, qui était considéré comme un héros dans sa communauté, s'est joint à l'église baptiste de la rue Cornwallis, où il est resté pendant 17 ans. Il a été le premier homme de race noire à diffuser mensuellement ses sermons à la radio pour le public du Canada et du Nord des États-Unis.
§ M. White a succombé à un cancer à l'âge de 62 ans. Sa fille, Portia White, est devenue une contralto canadienne bien connue.
Honour Before Glory d'Anthony Sherwood, documentaire sur l’histoire du Bataillon noir du Canada
07 novembre 2001, la première du film Honour Before Glory fut présentée à l'auditorium des Archives nationales, à Ottawa. Ce documentaire raconte l'histoire du seul et unique bataillon canadien composé de Noirs lors de la Première Guerre mondiale, le 2e Bataillon de construction. Le film a été réalisé à partir du journal du révérend William White – grand-oncle d'Anthony Sherwood – qui fut l'aumônier du bataillon et le seul officier commissionné noir des Forces armées britanniques.
Anthony Sherwood est un acteur et un producteur canadien. Il est un fervent défenseur de l'égalité raciale aux niveaux local, national et international, et il a reçu de nombreux prix, dont le Dr. Martin Luther King Lifetime Achievement Award.
Autres sources d’informations :
Veterans Affairs Canada
http://www.vac-acc.gc.ca/general_f/sub.cfm?source=feature/week2001/natnews/nov701
Afrikara