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 200 millions d'esclaves

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mihou
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mihou


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15052006
Message200 millions d'esclaves

L'Actualité, no. Vol: 21 No: 3
1 mars 1996, p. 72

200 millions d'esclaves

Arseneault, Michel

Le 19e siècle a peut-être aboli l'esclavage, mais le 20e le pratique impunément. Pas de chaînes aux chevilles: il suffit de confisquer leur passeport aux esclaves d'aujourd'hui. Pour la loi, ils n'existent plus.

Officiellement, l'esclavage n'existe plus. La dernière vente publique d'un être humain - une femme - a eu lieu au marché d'Atar, dans le nord de la Mauritanie, en 1960. Même le futur roi Faysal d'Arabie Saoudite a affranchi ses dizaines de milliers d'esclaves en 1963.

Mais on en trouve encore dans les cales des navires et les ateliers de couture clandestins comme dans les Boeing et les ambassades. Au Bangladesh, les autorités interceptent un navire transportant 74 personnes destinées à être vendues... En Chine, la police libère une trentaine de jeunes filles qui devaient être achetées par de vieux paysans... En France, deux hommes sont incarcérés pour avoir retenu des étrangers sans papiers d'identité et les avoir fait travailler dans des ateliers clandestins... Aux Philippines, plus de 5000 domestiques sont rapatriés à la suite de mauvais traitements, de violence et de viols... Ces faits divers ne datent pas du siècle dernier, mais du début des années 90. Car, deux siècles après l'adoption de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, on se livre encore au trafic des êtres humains.

L'ONU estime à plus de 200 millions le nombre d'esclaves dans le monde et considère que "les pratiques esclavagistes demeurent partout un problème grave et persistant à la fin du 20e siècle"! C'est aussi ce que démontre la journaliste et cinéaste française Dominique Torrès dans un livre récent intitulé simplement Esclaves (Phébus).

Après deux années de recherches dans de nombreux pays, du Maroc à la Mauritanie, en passant par le Koweït et... la Suisse (où on trouve un syndicat antiesclavagiste!), Dominique Torrès en est arrivée à une affligeante conclusion: loin de régresser, l'esclavage gagne du terrain! La servitude touche de plus en plus d'hommes, de femmes et, surtout, d'enfants.

L'asservissement est parfois total. Mais, contrairement aux esclaves d'autrefois, ceux d'aujourd'hui ne bénéficient plus du bienveillant paternalisme dont était souvent empreinte la relation avec le maître.

"Je crois que c'était moins épouvantable à d'autres époques, dit Dominique Torrès. Bien sûr, je ne parle pas des cas extrêmes - et Dieu sait qu'il devait y en avoir! Mais traditionnellement, l'esclave avait une fonction dans la maison et une valeur sociale. Aujourd'hui, on s'en débarrasse aussi vite qu'on le prend."

Dans son petit bureau de France 2, la principale télévision publique française, Dominique Torrès a accumulé des rayons entiers de livres, de documents et de dossiers sur les esclaves des temps modernes. Pour le livre et les deux films qu'elle a réalisés sur eux, elles les a rencontrés.

Ils n'ont plus de chaînes aux chevilles; pour les empêcher de s'enfuir, il suffit aujourd'hui de leur confisquer leur passeport. "Vous allez vous plaindre à qui? vous enfuir où, sans papiers? demande Dominique Torrès. Nulle part. Pour la loi, vous n'existez plus."

Son livre coup-depoing montre que la servitude subsiste sous des formes multiples: l'esclavage pour dettes gangrène l'Asie et l'Amérique latine; l'esclavage de caste survit en Afrique - il toucherait 50 000 personnes en Mauritanie seulement ; les prises de guerre se poursuivent au Soudan, où 30 000 habitants du Sud, chrétien et animiste, auraient été réduits à la servitude par le gouvernement islamiste du Nord.

L'esclavage prend souvent des formes moins criantes qu'autrefois. Dans les riches émirats du Golfe, on peut se procurer des domestiques philippines ou sri-lankaises qu'on paie quelques dizaines de dollars par mois - quand on les paie. Au Koweït, on les surnomme d'ailleurs des "esclaves blanches". Car elles ne sont pas de "condition libre": la plupart du temps, ces femmes ne peuvent changer d'emploi sans l'autorisation de leur premier employeur.

Il leur faut un courage extraordinaire pour porter plainte quand elles sont victimes de sévices, comme ce fut le cas de Sarah Balabagan, condamnée à mort puis graciée après le meurtre de son patron violeur. Quand Dominique Torrès s'est rendue dans un commissariat de Koweït pour y rencontrer des dizaines d'étrangères disant être victimes de violence, elle s'est fait répondre par un policier: "Si elles ont pris des claques, madame, c'est bien qu'elles ont dû les mériter!"

Des centaines de jeunes Philippines croupissent actuellement dans des locaux de l'ambassade de leur pays au Koweït dans l'espoir d'être rapatriées, comme a pu le constater la journaliste: "Certaines des "prisonnières" sont retenues ici depuis des mois, parfois depuis plus d'une année, écrit-elle. La même histoire m'est racontée des dizaines de fois par des dizaines de femmes, jeunes ou vieilles: mauvais traitements, travail harassant, coups, insultes et pas de salaire. Toutes veulent rentrer aux Philippines. Mais elles n'ont pas l'argent du voyage. Ni le fameux passeport."

Pour payer l'aller Manille-Koweït et l'agence qui leur a permis de trouver un "emploi", les jeunes femmes se sont déjà terriblement endettées. La loi philippine leur interdit d'aller travailler à l'étranger comme domestique avant l'âge de 25 ans, mais les agences se chargent également de leur fournir de faux papiers...

Le gouvernement des Philippines devrait-il être plus sévère? "Si les pays dont les ressortissants se font exploiter ne dénoncent pas cette pratique, c'est parce que ça rapporte!" dit Dominique Torrès. Environ 30% du produit national brut provient des maigres revenus que les trois millions de Philippins qui "travaillent" à l'extérieur du pays envoient chez eux.

Mais comment expliquer le silence des organisations internationales? Les Africains reconnaissent volontiers qu'ils ont déjà été impliqués dans ce trafic. Jusqu'à la fin du 19e siècle, par exemple, le roi des Bagandas, un peuple du sud de l'Ouganda, disposait d'une armée de 6000 hommes pour capturer des esclaves. "En revanche, constate Dominique Torrès, dénoncer l'esclavage dans des pays qui sont aujourd'hui membres de l'ONU, c'est impensable."

Dans les pays industrialisés, une pudeur mal placée, une étrange conception du respect des différences poussent parfois au silence. Comme c'est le cas également devant l'excision. "On met sur le même plan monstruosité et folklore, dit Dominique Torrès. Mais un esclave, ce n'est pas une danse folklorique!"

Ne lui dites surtout pas que l'esclavage se fait dans la clandestinité.

"Ce n'est pas caché! De nos jours, à peu près chaque famille de la bourgeoisie marocaine a une petite fille à tout faire. Au Liban, une cliente que j'ai rencontrée dans une agence de placement m'a expliqué, dans un français parfait, qu'elle allait s'empresser de cacher le passeport de sa bonne pour l'empêcher de partir. L'idée derrière ces mots est claire: "Cette fille-là, elle est à moi!"

- Si cette pratique se fait au grand jour, pourquoi ne la remarque-t-on pas davantage?

- Parce qu'on ne regarde pas! On voit ce qu'on veut voir. Je suis allée 10 fois au Maroc avant de me rendre compte que ce problème existait. Les petites employées de maison, on ne peut pas ne pas les apercevoir. Elles sont habillées d'une certaine manière, elles portent toutes un petit foulard blanc. Mais si vous n'êtes pas au courant de l'existence de cette pratique, il n'y a aucune raison que vous vous demandiez, chaque fois que vous croisez une fillette avec un foulard blanc: "Tiens, est-ce une domestique de neuf ans?" Vous ne vous posez même pas la question."

Au Maroc, la presse d'opposition commence à se la poser: huit procès impliquant les employeurs de petites bonnes ont été intentés en 1994, dont celui de la patronne d'une fillette brûlée avec une fourchette chauffée à blanc parce qu'elle s'obstinait à jouer avec les enfants des voisins...

C'est aussi au Maroc que Dominique Torrès a fait une rencontre qui l'a bouleversée, celle de Rabbha elKhila, une domestique d'une vingtaine d'années qui a vécu d'atroces souffrances aux mains de sa patronne. "Ce qu'elle m'a raconté était au-delà de l'imaginable, dit-elle. C'était le fond du puits: elle avait été laissée pour morte, tous les membres cassés. Quant à la maîtresse de maison, elle n'a jamais été arrêtée."

On fait ce qu'on veut des esclaves. Ils présentent souvent un comportement passif, conséquence de nombreuses années de servitude. "Si, depuis votre naissance, on vous répète que vous n'êtes rien du tout, que vous n'avez pas le droit de lever les yeux, de regarder une personne en face, vous deviendrez une loque, dit Dominique Torrès. Il vous faudra une force de caractère incroyable pour résister."

Dans les pays musulmans, on croit souvent, à tort, que le Coran justifie l'asservissement. Le livre sacré ne l'autorise qu'à l'égard des "prises de guerre", ces prisonniers capturés à l'issue d'un djihad contre des impies. Et ils doivent être libérés dès leur conversion à l'islam.

Faut-il s'étonner qu'en Mauritanie, d'ex-captifs aient proposé leurs services à Dominique Torrès? Elle leur avait demandé s'ils étaient contents d'être libérés: "Contents? Mais on crève de faim!" lui avait-on répondu.

Il ne suffit pas d'annoncer à des esclaves qu'ils ont été affranchis. "Vous êtes libres, mais vous faites quoi? demande la journaliste. Vous ne savez même pas lire ni écrire! Il ne faut pas penser que tout sera réglé d'un coup de baguette magique!"

Le plus difficile, pour la journaliste, a été de convaincre des femmes, à Paris, de parler devant sa caméra. "Une cinquantaine de Philippines nous avaient raconté des histoires sordides, mais aucune n'a accepté de les répéter, même si on leur garantissait l'anonymat. N'ayant plus de passeport, elles sont dans l'illégalité la plus totale, et sont terrorisées."

Elles ont de bonnes raisons d'avoir peur. Le Bangladais Anwouar Hossain, qui touchait un salaire de misère comme cuisinier de l'ambassadeur du Bangladesh en Suisse, s'était fait confisquer son passeport par son patron. Lors d'une petite conférence de presse filmée par Dominique Torrès, Hossain a lu des extraits de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen: "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits..." Quelques jours plus tard, il disparaissait, et les organisateurs de la conférence de presse recevaient un appel téléphonique anonyme: prisonnier à l'ambassade, il allait être renvoyé dans son pays...

À l'ambassade de Sri Lanka à Koweït, Dominique Torrès a rencontré le diplomate qui s'occupe des 160 femmes qui s'y sont réfugiées dans l'espoir d'être rapatriées. "À quoi cela sert-il de vous raconter tout cela? lui a-t-il demandé. J'ai déjà parlé aux journalistes du monde entier et regardez ce que ça change!" Dominique Torrès, elle, essayait de se persuader qu'il avait tort.


Illustration(s) :

Elbaz, Sophie;
Publiphoto
Jeunes Philippines réfugiées à l'ambassade de leur pays au Koweït.
Bambins au travail en Colombie. La servitude touche de plus en plus d'enfants.
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https://vuesdumonde.forumactif.com/
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