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 Haïti (1804-2004)

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mihou
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mihou


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12052006
MessageHaïti (1804-2004)

La Presse
Arts et spectacles, dimanche 4 janvier 2004, p. ARTS SPECTACLES1

Chronique

Haïti (1804-2004)

Laferrière, Dany

Je sais, je sais, je parle beaucoup d'Haïti ces derniers temps, et je sais aussi qu'il y a des gens qui tournent la page dès qu'ils tombent sur le mot Haïti dans un journal. Non pas qu'ils le détestent, cela leur fait simplement trop mal de voir ce pays, qui pourrait être si charmant par ailleurs (une moitié d'île flottant dans la mer chaude et turquoise des Caraïbes), s'enfoncer ainsi, depuis une cinquantaine d'années, dans un tel marécage de pauvreté, de corruption et de dictature.

Hier soir encore, je suis tombé sur quelqu'un qui m'a chuchoté, sur ce ton lugubre qui me fend toujours le coeur, qu'il ne parvenait pas à comprendre pourquoi les Haïtiens, qui sont des gens si généreux, pris individuellement, n'arrivaient pas à se mettre ensemble pour construire un pays décent. C'est vrai que ce pays donne parfois l'impression d'être atteint d'une sorte de folie aussi subite que passagère. On n'en entend rien pendant des mois, et puis brusquement, c'est l'explosion. Et de nouveau, la situation semble se calmer, sans que les conflits aient été réglés pour autant. Mais que se passe-t-il encore? se demande-t-on avec une certaine exaspération, tout en invoquant alors pêle-mêle le vaudou, l'esclavage, ou un aspect spécifique du caractère de l'être haïtien. Et les Haïtiens eux-mêmes semblent tirer fierté de vous faire sentir combien c'est difficile de démêler un tel écheveau si on n'est pas né dans ce pays.

La terre

En fait, c'est toujours la même lutte, qui n'a presque pas varié en 200 ans (oublions pour une fois les empoignades en surface de la classe politique pour regarder la situation plus en profondeur), cette éternelle lutte entre une minorité qui entend garder intacts ses privilèges, et une majorité agressive qui refuse, de plus en plus, de se laisser museler. Quant à l'élite politique, composée pour une large part d'individus de la classe moyenne, elle reste, qu'elle le veuille ou non, au service de ces puissants groupes économiques, auxquels il faut ajouter de nos jours quelques barons de la drogue- ces nouveaux riches plutôt intempestifs, qui attirent trop sur eux l'attention des organismes internationaux des droits de la personne. La bourgeoisie traditionnelle, aidée de ces dictateurs d'opérette, et cela, jusqu'à l'arrivée de François Duvalier, agissait tout en douceur. Pas besoin de trop s'énerver quand le partage des richesses nationales a été fait à votre avantage depuis l'époque coloniale. Il faut circuler un peu à la campagne si on veut savoir à qui appartiennent les terres de ce pays.

Et cette lutte a commencé tout de suite après l'indépendance d'Haïti, entre ce petit groupe de grands propriétaires terriens et ces paysans, qui se retrouvaient avec des parcelles de terre qui suffisaient à peine à les nourrir. Et les différents gouvernements, souvent à la solde de cette bourgeoisie, n'ont jamais voulu vraiment revenir à cette vieille règle révolutionnaire qui affirme que la terre appartient à tous ceux qui se sont battus pour faire de cette colonie un pays, et non pas uniquement aux descendants des esclavagistes. Ce n'est pas le sang qui légitime, mais plutôt la nécessité : la terre appartient donc à ceux qui la cultivent. Mais le groupe qui contrôle l'économie finit toujours par imposer ses vues en plaçant dans les sphères du pouvoir des hommes prêts à défendre ses intérêts.

La paix du cimetière

On se demande ce qui se passe quand on perd tout d'un coup Haïti sur le radar, après qu'il eut scintillé un moment de tous ses feux de violence et de terreur. Les gens viennent toujours aux nouvelles avec cet accent d'inquiétude, mêlée d'espoir.

-Comment ça va en Haïti ?

-Très mal.

-Ah bon... Comme je n'en entendais plus parler, je pensais que...

Le vieil adage (pas de nouvelles, bonnes nouvelles) est peut-être bon pour les individus, mais néfaste quand il s'agit des pays du tiers-monde. Quand on n'entend plus un cri, c'est qu'il a été étouffé quelque part, et qu'on tue maintenant en silence. Je me souviens de cette époque, sous François Duvalier, dans les années 60, où les nouvelles d'Haïti parvenaient rarement à l'étranger. Le calme plat à Port-au-Prince. L'époque où, selon le poète Anthony Phelps, les gens ne communiquaient plus que par signes, de peur de se faire repérer par les tontons-macoutes. Ils n'aspiraient qu'à devenir invisibles, ignorant qu'ils étaient déjà des zombis.

Cette paix du cimetière était bien le signe que Papa Doc avait gagné sa bataille contre ceux qui contestaient son pouvoir absolu, en les ayant joyeusement envoyés en exil, en prison ou à la morgue. Quelques-uns avaient choisi de se museler eux-mêmes pour rester en vie. Ceux-là ont sacrifié leur dignité afin de sauver la génération suivante. De ces actes héroïques silencieux, justement, on n'en parle presque jamais.

Des années plus tard, j'ai reçu, à Miami, une lettre du jeune frère de ma mère, mon oncle Yves. Il m'expliquait pourquoi il s'était tu en acceptant un poste d'inspecteur au ministère du Commerce et de l'Industrie. C'était d'abord pour protéger la famille, tout en conservant, dans la maison où je vivais, une figure de père. Il voulait aussi me donner l'exemple qu'on pouvait rester honnête quand, autour de soi, il n'y avait que des voleurs et des tueurs. Évidemment, il n'était pas le seul à garder la tête froide au coeur de la tempête. Cela supposait un modeste salaire quand d'autres, à des postes bien inférieurs, se faisaient construire des châteaux ou roulaient dans ces luxueuses voitures que le gouvernement mettait à la disposition de " ceux qui savaient mettre leurs mains dans le sang jusqu'au coude pour lui ". Il conclut, sur ce ton modeste caractéristique, que ce ne fut pas toujours un choix facile.

La presse internationale

De temps en temps, sans qu'on comprenne trop bien la logique d'un tel comportement, les journalistes de la presse internationale se ruent vers Port-au-Prince. Alors, on a des nouvelles d'Haïti presque chaque jour dans les journaux de New York, Berlin, Montréal, Paris, Rome ou Madrid. Tout cela finit par avoir une certaine répercussion sur les esprits en Haïti même, où il arrive que l'arrivée massive des journalistes étrangers soit une nouvelle en soi. Cela fait un moment que les Haïtiens tentent d'attirer l'attention de l'Occident sur une situation qu'ils jugent intenable, et voilà, brusquement, que les hôtels de Port-au-Prince se remplissent de journalistes.

Il arrive que les choses aillent vraiment mal en Haïti (quand je dis Haïti, il faut lire tous les pays dans la même situation économique et politique), sans qu'il y ait le moindre écho dans la presse internationale. D'autres fois, ils sont une douzaine de journalistes internationaux à couvrir sans répit les mêmes incidents mineurs, qu'ils sont forcés de monter en épingle puisque la durée de leur séjour dépend de leur capacité à trouver des sujets à la fois exotiques et sanglants. J'aimerais bien savoir ce qui pousse ces journalistes à filer, comme une volée d'oiseaux migrateurs (je remarque qu'ils le font plus volontiers en hiver que durant le brûlant mois d'août) vers le sud. Disposent-ils d'informations privilégiées auxquelles les journalistes locaux n'ont pas accès ? On a l'impression quelquefois que les règles de base du journalisme fondent comme neige au soleil sitôt qu'on se retrouve devant un rhum-punch sous les tropiques (naturellement, je ne parle pas de tout le monde). Comment raconter une situation qu'on ne maîtrise pas trop soi-même à des gens qui en savent si peu ? Tel est pourtant le défi auquel ils doivent faire face.

L'étonnement ne vient pas du fait de quelques erreurs compréhensibles pour quelqu'un qui ne connaît ni la géographie ni l'histoire du pays où il se trouve, mais plutôt de le voir travailler avec si peu de rigueur. On devient tout à coup songeur en pensant au nombre de fois qu'on a avalé, sans esprit critique, des reportages qui se passent dans des pays qui nous sont inconnus. La sacrosainte règle (toute information doit être corroborée par trois sources indépendantes) n'existe que quand la partie adverse, si elle se sent lésée, peut se référer à un tribunal. Dès qu'on sort de la zone légalement protégée, l'être le plus démocrate n'a plus aucun scrupule pour se comporter comme le barbare qu'il est venu civiliser.

Je connais beaucoup de journalistes internationaux qui ont une bonne analyse de la situation en Haïti et qui aimeraient bien l'expliquer à leurs lecteurs, mais qui ne peuvent le faire parce qu'ils doivent s'en tenir à l'actualité. Seuls les pays puissants (ou ceux qui ont un sous-sol riche) ont droit à des commentaires substantiels et approfondis. Pour les autres, il faudrait se contenter d'analyses superficielles et hâtives ou d'informations saucissonnées. Et les journalistes resteront sur place tant qu'il n'y aura pas une autre histoire plus médiatique sur la scène internationale.

Une seule médecine

Je me souviens que, vers la fin du régime de Jean-Claude Duvalier, il était pratiquement impossible de faire la différence entre la vérité et le mensonge, les deux semblant interchangeables pour les principaux acteurs de la scène politique d'alors. Les faits étaient constamment manipulés, autant par le pouvoir que par l'opposition. La seule vérité qui surnageait, c'est que la longue dictature des Duvalier avait été terrible. Pourtant, la presse nationale et internationale ne se gênait pas pour publier des informations non vérifiées à propos des Duvalier. Qui va prendre la défense, même au nom de la vérité, d'un dictateur en fin de règne ? Sauf que ce genre de choses peut avoir des répercussions graves sur la psychologie d'un peuple. Beaucoup de gens en Haïti croient sincèrement qu'une information qui accuse un pouvoir en place n'a pas besoin d'être vérifiée.

Je me souviens de ces jeunes gens galvanisés par les idées de ce jeune prêtre qui symbolisait la résistance à l'époque. Ces militants n'avaient aucun scrupule à inventer des informations visant Jean-Claude Duvalier ou, plus tard, le gouvernement de facto des militaires. Beaucoup d'eau a coulé depuis sous les ponts. Aujourd'hui, Aristide se retrouve dans la situation de Jean-Claude Duvalier, et ceux qui l'avaient soutenu aveuglément veulent le chasser du pouvoir avec les moyens utilisés auparavant pour combattre Jean-Claude Duvalier ou le général Cédras. D'où une certaine difficulté à distinguer le faux du vrai dans cette histoire. Et c'est ainsi Haïti est passé, comme la petite Alice dans le conte de Lewis Carroll, de l'autre côté du miroir.

Le dictionnaire historique

Pour comprendre un peu les fondements de ce peuple rétif à la loi et aux codes, et si on veut aussi aller au delà de l'information quotidienne, je ne saurai trop vous recommander la lecture de l'excellent Dictionnaire historique de la révolution haïtienne 1789-1804 (collection du Bicentenaire, publié par Les Éditions Images et Les Éditions du CIDIHCA, 2003), sous la direction de Claude Moïse, avec une dizaine de collaborateurs compétents en la matière. Mais d'abord un mot de ce Claude Moïse. C'est, à mon avis, l'esprit le plus calme et le plus lucide que nous ayons aujourd'hui pour analyser et faire comprendre l'histoire tumultueuse de ce pays. C'est lui qui, déjà en 1992, avec son complice, le romancier Émile Ollivier, avait été le premier à dénoncer la tangente populiste que prenait le gouvernement de Jean-Bertrand Aristide dans cet essai remarquable ( Repenser Haïti, Les Éditions du CIDIHCA).

Les journalistes qui s'intéressent à la question haïtienne devraient, avant tout voyage à Port-au-Prince, consulter les recherches de Claude Moïse sur les constitutions haïtiennes, ce qui leur fera mieux sentir la longue lutte entreprise par ce peuple depuis 1804, c'est-à-dire depuis l'indépendance du pays, afin de pouvoir simplement garder la tête hors de l'eau. On a toujours vu Haïti par ses démons, il faudrait un jour le regarder aussi par ses résistants qui furent nombreux depuis l'époque héroïque de la guerre d'indépendance jusqu'à nos jours. Le dictionnaire nous fait surtout le portrait de ceux qui ont fondé ce pays en le tirant de la terrible condition de l'esclavage. C'est un cortège d'hommes et de femmes qui ont surgi, ce 1er janvier 1804, il y a 200 ans, hagards et dépenaillés, sur la scène internationale. Ils venaient d'accomplir, dans cette petite île des Caraïbes, la plus importante révolution politique de tous les temps : l'esclave devenu citoyen de par sa seule volonté.

Pour ceux qui veulent s'informer sur Haïti : le CIDIHCA (Centre international de documentation et d'information haïtienne et caraïbéenne, 67, rue Sainte-Catherine Ouest, bureau 200 ; tél : 514 845-0880 ; www.cidihca.com) fait un excellent travail depuis 20 ans.

La prochaine chronique de Dany Laferrière sera publiée le 1 er février. D'ici là, vous pouvez lui écrire à l'adresse suivante: dlaferri@lapresse.ca
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