texte
Les bonnes feuilles du dernier livre critique sur Wade : Qui est cet homme qui dirige le Sénégal ?
C'est aujourd'hui que les éditions L'Harmattan vont publier à Paris l'ouvrage de Mody Niang consacré à Me Abdoulaye Wade, président de la République du Sénégal. Dans ces colonnes une première partie des bonnes feuilles riches en enseignements.
Source : Le Quotidien
Les bonnes feuilles du dernier livre critique sur Wade : Qui est cet homme qui dirige le Sénégal ?
(…) Me Wade n'avait pas mis de gants pour que, très tôt, les gens fussent clairement édifiés sur sa volonté de ne pas jouer les rois fainéants. C'est lui qui a été élu par le peuple. C'est ce même peuple qui a plébiscité sa Constitution et lui a donné tous les autres instruments de gouvernement, notamment une majorité écrasante à l'Assemblée nationale et confortable au niveau des collectivités locales. Aucun doute ne devait donc être permis : il est le siège, l'épicentre du pouvoir, de tout le pouvoir. Moustapha Niasse raconte que, devant Madieyena Diouf, n° 2 de son parti (Afp) et Kader Sow, alors directeur de cabinet du président Wade, il a posé à ce dernier la question suivante : «Mais, Président, que faites-vous du régime parlementaire que nous (nous les vainqueurs du 19 mars 2000) avions promis aux Sénégalaises et aux Sénégalais ?» Il lui répondit sans sourciller : «Considérez qu'il fait partie des promesses que j'ai décidé de ne pas respecter.» Francis Kpatindé lui avait posé la même question et il avait répondu avec la même franchise : «J'ai été élu au suffrage universel et autour d'un programme que j'ai présenté aux Sénégalais. Il ne faut donc pas compter sur moi pour inaugurer les chrysanthèmes.»
Le président Mamadou Dia avait très tôt perçu chez l'homme des symptômes évidents d'un «bonapartisme rampant». C'est pourquoi, il était l'un des rares Sénégalais à avoir appelé à voter contre la Constitution de Me Wade. L'expérience montrera rapidement que le nouveau président de la République n'était démocrate que par dissimulation. N'a-t-il pas reconnu, dans les colonnes du Figaro, en avril 2003, son option sans équivoque pour le césarisme démocratique ? N'a-t-il pas confié à Nouvel Horizon que «la démocratie peut être paralysante lorsqu'on discute de tout» et que, dans ce cas, «il ne serait pas mauvais d'avoir un pouvoir qui dit «c'est comme ça» ?» N'est-ce pas son ex-numéro deux, Me Ousmane Ngom, entre-temps revenu dans «la maison du père», qui lui lançait en 1998, dans sa lettre de démission du Pds : «Vous parlez en démocrate, mais vous agissez en monarque» ? N'est-ce pas lui, Me Wade, qui a confié tout récemment à Rfi, à Tunis, lors de la rencontre internationale sur la Fracture numérique, qu'il «a donné trop de liberté à la presse» ?
Le pouvoir est donc fait pour être géré par lui, et par lui tout seul. Il en est le siège et l'épicentre. Il le perçoit comme un système d'où tout part de lui et revient à lui. Il ne sait surtout pas partager. (…) C'est cette même vision de la gestion de l'Etat et du pouvoir, qu'il a appliquée au Pds depuis sa création en 1974. Rien d'étonnant donc qu'il ait eu à se séparer successivement de ses numéros deux et de nombreux autres responsables du Pds. (…) L'opposant Wade affichait les mêmes attitudes. Ses seconds et autres hommes et femmes de tempérament d'un certain niveau, n'ont jamais été à la fête au Pds : il fallait rester et accepter d'avaler régulièrement des couleuvres ou partir. C'est pourquoi, le Pr Ousseynou Kane, chef du Département de philosophie de l'Ucad dit de Me Wade qu'il souffre du complexe de Chronos. «Chronos était, selon le professeur, une divinité grecque qui avalait ses enfants dès leur naissance de peur d'être détrôné. La mythologie raconte qu'il n'y a que Zeus (Jupiter dans la dénomination latine) qui y a échappé. Parce que sa mère a trompé Chronos en lui faisant avaler une pierre emmaillotée à la place de l'enfant qu'il voulait avaler. C'est finalement Zeus qui trouvera les moyens de détrôner son père. Me Wade semble renvoyer la même image.» Et le professeur Kane de s'interroger : «Qu'est-ce qu'il a fait avec Fara Ndiaye, Serigne Diop, Ousmane Ngom, Jean-Paul Dias, Idrissa Seck, etc. ? Comment comprendre cette propension qui fait que ses fils attitrés aient été liquidés dans les conditions que l'on sait pour rester seul ?» M. Kane poursuit son sévère et pertinent réquisitoire : «Avaler ses enfants parce qu'on a peur d'être détrôné par eux ! Je crois que cela exprime le fait que le Président Wade a un problème avec le temps. Chronos, en même temps qu'il symbolise le temps, lutte contre le temps. Sa façon de lutter contre le temps, c'est de lutter contre le devenir, c'est-à-dire d'imaginer qu'il n'y a pas d'avenir sans lui (…). Quand j'ai entendu Maky Sall dire, au sortir d'une audience avec Me Wade qui venait de le nommer Premier Ministre, qu'il est le fils d'Abdoulaye Wade, je me suis dit qu'il signait son arrêt de mort. Parce que tout fils de Wade est destiné, comme celui de Chronos, à être avalé.» Si nous avons tenu à citer aussi longuement M. Kane, c'est que la peinture qu'il fait du personnage, en le comparant à Chronos, est remarquable. Les développements ultérieurs illustreront en abondance ce trait de caractère de Me Wade. Nous reviendrons d'ailleurs sur l'interview du Pr Kane et sur au moins deux contributions qu'il a consacrées aux dérives de la gouvernance de Me Wade. (…)
(…) Après le départ de Me Ousmane Ngom, Idrissa Seck était désormais le seul fils, le seul numéro deux de Me Wade. Il était donc destiné, selon la théorie du Pr Ousseynou Kane, à être avalé, comme ses prédécesseurs. Après l'alternance, il fut promu puissant ministre d'Etat, Directeur de cabinet du président de la République, puis Premier ministre le 4 novembre 2002, en remplacement de Mame Madior Boye qui, elle-même, avait été nommée à la suite du limogeage de Moustapha Niasse. Ses ennuis allaient vite commencer et toutes sortes d'accusations pleuvaient sur sa personne. Il lui était reproché notamment de travailler dans l'ombre pour asseoir son emprise sur le Pds et, plus tard, se préparer à la succession de Me Wade. Ses relations avec le président de la République seront ensuite empoisonnées par ce qu'il était convenu d'appeler la dualité réelle ou alléguée au sommet de l'Etat, entre les deux hommes. Il sera finalement, après de longues péripéties, relevé de ses fonctions de Premier ministre et remplacé par Macky Sall. Prenant d'abord pour prétexte la mauvaise gestion qui aurait entaché les fameux chantiers de Thiès, les autorités sénégalaises l'arrêtent, puis l'inculpent d'atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat et à la défense nationale, le mettent sous mandat de dépôt et l'incarcèrent dans la Prison centrale de Rebeuss (Dakar). (…) Ce qu'il convient de constater et qui vient d'être illustré, c'est que Me Wade n'est pas un homme facile. Il n'est surtout pas commode de travailler à ses côtés. Il serait, malgré les apparences, loin d'être un démocrate. Rappelons-nous ces mots de Me Ousmane Ngom le concernant : «Vous parlez en démocrate, mais vous agissez en monarque.» Donc, dans l'opposition, Me Wade était incapable de co-gérer. Il l'est encore plus après son accession à la magistrature suprême. Les Sénégalaises et les Sénégalais découvrent avec stupeur que, depuis le 1er avril 2000, Me Wade est incapable de se départir de son manteau d'opposant et veut gérer le pays comme il a géré le Pds pendant 26 ans.
WADE ET SES «TRANSHUMANTS»
(…) Me Wade, (…) avait (…) toujours une préférence pour les plus mauvais gestionnaires des socialistes et pour ceux et celles qui lui étaient les plus hostiles. Ainsi, Abdoulaye Diack le «parrain», questeur inamovible de l'Assemblée nationale du temps des socialistes, qui avait «oublié» 200 millions de francs Cfa (les salaires des personnels de cette Institution) dans un taxi ; Sada Ndiaye, le bourreau du Coud ; Adama Sall, qui avait mis à genou la Sapco ; Landing Sané, qui confiait de gros marchés de gré à gré à des entrepreneurs-tailleurs ; Abdourahmane Sow, accusé d'un détournement de 5 milliards de francs Cfa lorsqu'il était directeur général de la Caisse de péréquation et de stabilisation des prix ; Salif Bâ, pratiquement inconnu avant le 19 mars 2000 et dont on dit qu'il était toujours accroché aux basques de l'ancien ministre d'Etat Ousmane Tanor Dieng et lui ferait le thé les week-ends ; les deux homonymes Aïda Diongue et Aïda Mbodj ; Assane Diagne, qui a mis à sac la Sicap dont il était le directeur général pendant de longues années, etc. La part belle est donc paradoxalement faite aujourd'hui à ces néo-libéraux, souvent au détriment des libéraux des premières heures (…) Me Mbaye Jacques Diop qui en fit voir de toutes les couleurs à l'opposition dans sa ville de Rufisque et qui traitait Me Wade de bandit de grand chemin, trône aujourd'hui à la tête du Craes. C'est la quatrième personnalité de l'Etat, après le président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le Premier ministre alors que, pendant 42 ans de militantisme actif dans le Ps, il n'a jamais été plus que député dans ce parti. Parmi les membres du bureau du Craes, on trouve comme secrétaire élue, Mme Aïda Diongue, présidente jusqu'au 27 mars 1990 de la tonitruante et activiste «Association des Amis de Jean Collin». (…) Mme Diongue se signalait particulièrement par son insolence à l'endroit de Me Wade et son activisme débordant contre l'opposition en général. Abdou Fall, ministre libéral de la Santé et de la Prévention médicale en a été un témoin «privilégié», lui qui a été son adversaire dans les premiers Hlm de Dakar.
Son homonyme Aïda Mbodj était plus insolente encore. On l'a entendue, pendant la campagne pour l'élection présidentielle de 2000, traiter Me Wade de tous les noms, y compris de Fantomas. Elle était même allée plus loin, en lançant à son adversaire (du Pds), au cours d'un débat radiodiffusé : «Toppal fale ! Xam ngéén ne séén boroom gimiñ gu mokk gi du fi nekk Président de la République !» Ce qui, traduit, donne : «Vous perdez votre temps ! Avec sa bouche édentée, votre candidat ne sera jamais président de la République du Sénégal.» Mme Aïda Mbodj est aujourd'hui ministre de la Femme, de la Famille et du Développement social dans le Gouvernement de Me Wade, pendant que le militant des premières heures du Pds, Papa Diouf, avec qui elle partage la même ville, est exclu définitivement de ce parti, pour avoir été étiqueté ami de l'ancien Premier ministre Idrissa Seck. Me Wade a donc vraiment une logique que la logique ne connaît pas. (…)
Nous aurions également pu nous étendre longuement sur les cas flagrants de mauvaise gestion de Sada Ndiaye, de son «pays» Adama Sall et de nombreux autres mauvais gestionnaires socialistes qui ont détalé comme des lièvres dès le lundi 20 mars 2000, pour aller se réfugier sous le parapluie du Pds et se faire blanchir de toutes fautes. En accueillant ces «déchets» du Ps et en les nommant à d'importants postes de responsabilité, aussi bien au niveau du Gouvernement, de l'Administration que du Pds, Me Wade a trahi l'esprit et la lettre de l'alternance et du Sopi. Il a profondément déçu les 58 % de Sénégalaises et de Sénégalais qui avaient porté leur choix sur lui, avec l'espoir qu'il apporterait des changements profonds et qualitatifs à notre pays qui en avait tant besoin.
Vendredi 12 Mai 2006
Cet article a été déjà lu 3464 fois