Polémique : cette femme qui dit nonà l'Islam
L'éternelle révoltée
Redoutée pour ses interviews sans conces-sion, respectée pour ses reportages de guerre poignants, Oriana Fallaci est aujourd'hui connue dans le monde entier pour ses qualités littéraires. « Lettre à un enfant jamais né », « Un homme » et « Inchallah » sont des best-sellers.
Dominique Dunglas
Une femme mince coiffée de deux tresses enfantines courant sur le pont du Kien-Hoa pour échapper aux balles vietcongs : cette image des années 70 est le portrait le plus connu d'Oriana Fallaci. C'est aussi le plus « vrai », tant la guerre est indissociable de sa vie. Lorsque, dans la préface de « La rage et l'orgueil », elle déclare aux terroristes islamiques : « Je suis née et j'ai grandi avec la guerre, je la connais mieux que vous, et j'ai plus de couilles que vous... » Oriana Fallaci ne fait en effet que dire la vérité. Née à Florence en 1929 dans une famille antifasciste, Oriana entre dès 14 ans dans la résistance sous le nom de bataille d'Emilia. Le général Alexander en personne lui adressera une lettre de félicitations à la fin de la guerre. A 17 ans, elle devient journaliste dans un quotidien florentin. Et là encore, inventant, bien avant Christiane Amanpur, le rôle de correspondant de guerre au féminin, elle retrouve « le charme obscur et la séduction perverse » des champs de bataille. Ses articles sur le Vietnam sont repris par Time Magazine et Oriana devient un personnage international. En 1968, elle est blessée par balles à Mexico, lors du massacre de la place des Trois-Cultures. On la croit morte et elle reprend connaissance parmi les 800 cadavres entassés à la morgue. Guerre jusque dans sa vie privée. La seule histoire d'amour connue d'Oriana Fallaci est sa liaison avec l'opposant au régime des colonels grecs Alessandro Panagoulis, qui fut assassiné par les sicaires d'Athènes au cours d'un faux accident de voiture. Après avoir été la première femme à raconter les champs de bataille, Oriana Fallaci est également la première à rencontrer les grands de ce monde, inventant un nouveau type d'interviews fleuves et sans concessions. Khomeyni, Kadhafi, Golda Meir, Indira Gandhi, le dalaï-lama, Deng Xiaoping, Arafat, Ali Bhutto ou Ariel Sharon - pour n'en citer que quelques-uns - se soumettent ainsi à son regard sombre et sévère. Dans un livre de Mémoires, Kissinger avoue qu'être interviewé par la journaliste italienne revient à entrer dans une sorte de panthéon mondial.
Mais, dans les palais présidentiels, Oriana se comporte comme si elle était au front et les interviews laissent des séquelles. Un journaliste se recommandant de Fallaci devant Arafat a vu le leader palestinien blanc de rage sortir son revolver ; les Iraniens arrêtèrent plusieurs personnes rencontrées par Oriana à Téhéran, avant qu'elle soit reçue par Khomeyni, et Sharon l'accueillit avec ces mots : « Je sais que vous allez m'ajouter à votre collection de scalps. » Une attitude qui vaut à la journaliste beaucoup plus d'ennemis que d'amis. Car, bien qu'antifasciste viscérale et laïque, elle ne se reconnaît pas dans la gauche italienne. « Droite et gauche sont les deux faces du même visage. Le visage de la bigoterie, de l'intolérance, de l'incapacité d'être libre et de penser avec son propre cerveau. Qui ne se situe pas d'un côté ou de l'autre est condamné au bûcher. Je suis très fière d'être une hérétique, de n'appartenir à aucune chapelle et d'être attaquée de toutes parts. » Mais la grande affaire d'Oriana Fallaci n'est pas le journalisme. « Sur ma tombe, je voudrais qu'on écrive : Oriana Fallaci, écrivain », dit-elle aujourd'hui. Non sans raison, car, traduite en 31 langues, elle est un des auteurs transalpins les plus lus. Ecrit en 1969, son ouvrage sur le Vietnam n'a jamais cessé de se vendre, « Lettre à un enfant jamais né » et « Un homme » sont considérés comme des classiques de la littérature mondiale et chaque soubresaut proche-oriental remet « Inchallah » dans la liste des best-sellers. La parution de « La rage et l'orgueil » a pourtant mis fin à un silence littéraire de dix ans. Vivant à Manhattan, dans une élégante petite maison de brique aux alentours de la 50e Rue, Oriana Fallaci refuse toutes les demandes d'interview. Elle ne répond pas au téléphone et a instauré avec ses amis un code qui consiste à se faire reconnaître en laissant sonner plusieurs fois avant de raccrocher, puis à rappeler de nouveau. Sa vie, comme sa silhouette, ressemble de plus en plus à celle d'une autre femme célèbre qui a habité dans le même quartier, Greta Garbo. Mais son silence n'est pas une retraite. « Comme un ouvrier qui pointe », Oriana travaille tous les jours à un roman qu'elle appelle « mon enfant ». Lorsque les médecins lui ont annoncé qu'elle avait un cancer, elle ne leur a pas demandé : « Combien de temps me reste-t-il à vivre ? », mais « Combien de livres vais-je pouvoir encore écrire ? » Avec ce cancer, qu'elle appelle l'« alien », elle a un dialogue intense et quotidien, un dialogue à la Fallaci : « Espèce de con, si tu vis, c'est grâce à moi. Si tu me tues, tu meurs aussi. » Et allumant une cigarette derrière l'autre, « parce que fumer désinfecte les poumons », elle hurle « fuck you » aux islamistes qui l'ont condamnée à mort
© le point 24/05/02 - N°1549 - Page 60 - 897 mots