L’obstacle épistémologique est le suivant...
La monnaie reste conçue comme une réalité matérielle (précieuse) de quantité finie donc rare et épuisable, alors qu’elle ne l’est plus puisqu’elle est dématérialisée et qu’un nouveau paradigme devrait pouvoir être assimilé. Ce nouveau paradigme, c’est celui dans lequel :
1. Aucune loi physique n’empêche un Etat, une Banque Centrale ou de second rang de créer toute la monnaie nécessaire. Ne pas le faire est la conséquence d’actes volontaires, de lois humaines.
2. Contrairement à l’ancienne prémisse (ressources rares), le nouveau est : comment écouler nos surplus pour mieux satisfaire nos désirs et nos besoins dans le respect de l’écologie planétaire ( abondance permise par le progrès technologique).
La création monétaire peut être ajustée de telle manière à ce que l’ensemble du pouvoir d’achat soit équivalent à l’ensemble des productions susceptibles d’être vendues, et ceci en fonction de trois paramètres :
a) le potentiel de production
b) les désirs d’achat
c) les conséquences écologiques
3. L’équilibre des balances commerciales est à prendre en compte car il ne faut ni affaiblir les autres pays qui sont nos clients potentiels, ni s’affaiblir, pour éviter le risque de dépendance.
4. Le déficit budgétaire est signe que les créations monétaires relatives aux échanges économiques possibles à l’intérieur du pays sont insuffisantes
Faut-il attendre que les responsables inventent de nouveaux paradigmes ?
Non, il faut agir nous-mêmes ! Nous essayons, pour notre part, sur le site "societalism"
Les démonstrations du paradigme
1 - La « monnaie fondante » ou « monnaie franche »
Voici comment une solution simple a amené à relancer l’économie...
Silvio Gesell, un Belgo-Allemand, avait fait une rapide fortune en Argentine à la fin du XIXe siècle. Revenu au pays, il étudia à fond les problèmes des monnaies, assujetties ou non à perception d’intérêt par leurs émetteurs. Avant la guerre de 14, il conçut son maître livre, L’Ordre Économique Naturel (Ed’Uromant-Bruxelles-1918). Il y posait les bases de la Monnaie Franche qui n’est pas vraiment une monnaie puisqu’il n’y a aucun intérêt à la thésauriser.
Keynes a écrit en 1936 que « le futur apprendrait plus de l’esprit de Gesell que de celui de Marx » (cf. La théorie générale d’emploi, intérêt et Argent, Londres 1936 - réimprimée 1967 - p.355).
Cette monnaie, pour tourner plus vite et fertiliser au mieux le corps économique, perdait 1 % de son montant, à date mensuelle fixe ; perte qu’il fallait compenser par un timbre de 1 % collé sur le dos du billet pour qu’il puisse circuler.
Cette accélération (d’un facteur 4 à un facteur 8... ) était due, selon Fischer, à l’effet psychologique de la perte à éviter (par l’acheteur).
Utilisée 20 fois (dont 3 en France) lors des grandes crises économiques, elle permit des métamorphoses incroyables :
À Wôrgl (Autriche, 1932-33), elle résorba en 11 mois un chômage au taux de 60 %.
En 1956, à Lignières-en-Berry (France), elle ressuscita en un an une petite ville ruinée par la désertification des campagnes, comme le relate Science et vie n° 488, et l’utilisation des « bons d’achat » émis par le Maire fut ensuite interdite par De Gaulle.
Mêmes effets à Marans (France) en 1957-58.
Et à Porto Alegre (Brésil) en 58.
En 33-34, aux USA, bien qu’elle ait été utilisée très maladroitement (selon L. Fischer, qui avait étudié de près ses procédures en Europe), elle créa des redressements inespérés dans 14 villes. Le Congrès s’apprêtait à la légaliser quand le projet de « New Deal » de F.D. Roosevelt fit tout stopper.
2 - Le "miracle monétaire" de Schwanenkirchen
En 1919, se forma en Allemagne une association "franchiste" qui avait pour but l'instauration générale d'une "économie franche"... Finalement, un ami du défunt Silvio Gesell, Hans Timm, émit un "billet d'échange" qu'il appela "Wara", mot symbolique composé avec Ware : marchandise et Warung: valeur monétaire. Son organisation s'appela: "Société d'Echanges Commerciaux Wara"
Cette monnaie libre fut émise en valeur nominale de 0.5, 1, 2 et 5 wara et pouvait être acquise par les membres de l'association pour un nombre de marks correspondant. C'est seulement dans des cas d'extrême urgence que la wara devait être reconvertie en marks. Tout adepte de cette doctrine se devait de faire passer l'intérêt de la collectivité avant le sien propre mais avec l'espoir de profiter par la suite des avantages acquis au nom de la collectivité...
L'avantage de l'argent sur la marchandise réside dans le fait que toute marchandise perd de sa valeur avec le temps tandis que l'argent conserve la sienne. D'autre part, les franchistes veulent que l'argent ne soit autre qu'un moyen d'échange qui a pour seule couverture la confiance dans le travail et l'activité du peuple qui s'en sert. En outre, les franchistes sont d'avis qu'une monnaie qui diminue progressivement de valeur circulera beaucoup plus vite et sera ainsi plus productive qu'une monnaie qui soi-disant ne perd pas de sa valeur... mais qui peut être thésaurisée et servir aux spéculations de toutes sortes...
Pour débuter, les franchistes créèrent dans un cercle restreint de leur organisation cette monnaie d'échange... Unité de la wara = un mark. Perte de valeur: 1 % par mois, compensable par le collage d'un timbre. Jusqu'en 1931, la Wara ne retint pas l'attention du grand public...
Schwanenkirchen : 1927-1930
Schwanenkirchen est une petite commune de la forêt bavaroise, une contrée sauvage, isolée, aux communications difficiles et archaïques. Un pays où le matériel "roulant' usagé rend ses derniers services avant sa réforme définitive, où des centaines de villages ne connaissent ni canalisations d'eau ni électricité, où les enfants font des kilomètres à pied en sabots pour aller à une école dont le maître doit s'occuper de sept classes à la fois...
La région est triste: l'exploitation des mines est arrêtée, les carrières abandonnées, les artisans chôment, les commerçants attendent vainement de problématiques clients, les marchands de bestiaux traînent sur des dizaines de kilomètres avec leurs bêtes in habituées à la marche par un trop long séjour dans les étables, et reviennent des "foires" sans avoir pu réaliser la moindre affaire.
La mine de Schwanenkirchen est abandonnée. Elle avait été exploitée par une société anonyme avec administrateurs, directeur, contremaîtres et tout un appareil bureaucratique complexe. Celle mine qui produisait un charbon de qualité moyenne, avait fait vivre les ouvriers des environs ainsi que les commerçants et était un des facteurs économiques principaux de l'endroit... Or, la société fit faillite et l'exploitation fut abandonnée.
C'est alors que l'ingénieur Hebecker acquit la mine aux enchères dans le secret espoir de l'exploiter à son compte. Hélas ! il ne trouva personne pour financer l'entreprise. Qui aurait voulu investir des capitaux dans une contrée aussi inaccessible.
Ainsi faute d'argent, plus âme qui vive ne descend dans les galeries, les eaux dépassent le fond de 50 mètres, les mineurs vont par de tristes sentiers au bureau du chômage et l'ingénieur habite seul à côté de son puits noyé... Une misère inhumaine règne dans tout le pays.
Schwanenkirchen : 1930-1931
La mine a brusquement repris son activité... Des pompes puissantes aspirent l'épaisse couche de liquide, des scaphandriers desoendent la tour d'extraction qui avait été incendiée est reconstruite; à un rythme régulier les ascenseurs montent et descendent et les wagonnets emportent le charbon a la gare à une cadenoe jamais connue. Le fonctionnaire du bureau de chômage ne voit plus ses soixante habitués... les restaurants sont remplis de consommateurs, les bouchers de Hengersberg vendent tous les samedis leur quintal de viande, les propriétaires des bureaux de tabac entendent avec plaisir la sonnette de leur magasin, les quincailliers font un chiffre d'affaires inaccoutumé, les costumes et les chaussures se vendent comme jamais auparavant... Toute la contrée a pris un aspect de gaîté et d'espoir... Et ceci au moment même où le monde entier subissait les jours sombres de la crise économique générale (la "crise de 29").
Que s'était-il passé?
Voici en quelques mots la clé du mystère...
L'ingénieur Hebecker était franchiste. Voyant les portes de toutes les banques se fermer devant lui, il s'adressa à ses amis franchistes leur demandant la possibilité d'une avance de fonds en leur faisant remarquer que c'était une excellente occasion de propagande pour la société. Ceux-ci comprirent toute l'importance d'une expérience pratique et donnèrent 50000 wara à Hebecker.
Alors une chose stupéfiante commença. Pendant qu'à Berlin et dans toutes les capitales du monde, les ministres s'affairaient vainement sur les problèmes de crise, baisse des prix, économies, chômage, la petite agglomération de la foret bavaroise, Schwanenkimhen, en se rendant indépendante, se soustrayait à la misère mondiale.
Comment cet ingénieur réalisa ce prodige?
lI fit rassembler les mineurs réduits au repos forcé depuis des années et leur annonça que le travail dans la mine pouvait reprendre. Il leur déclara qu'il n'avait pas d'argent pour les payer mais quelque chose qui pouvait en tenir lieu pour peu qu'ils fassent confiance à cette "wara". Les mineurs examinèrent les "billets jaunes" et répliquèrent à l'ingénieur que leur propre confiance avait beaucoup moins d'importance que celle du boulanger, du cordonnier et des commerçants en général... qui devaient leur donner -en échange- des matières comestibles, des vêtements, etc...
Ne rencontrant pas assez de compréhension cher les producteurs et les commerçants de la région, Hebecker organisa alors une cantine alimentée par ses amis franchistes d'Allemagne centrale qui, eux, acceptèrent la "wara" en paiement. Quelques semaines plus tard, l'ingénieur eut la visite des commerçants fort mécontents de ce système qui, d'après leurs doléances, leur enlevait définitivement- toute possibilité de vivre. Ils voulurent avoir de plus amples détails sur ces "billets" et l'assurance de gagner de l'argent en les utilisant. Le patron de la mine leur expliqua que la plus grande partie du salaire de ses ouvriers allait au boulanger, puis de celui-ci au boucher qui les donne à son tour au tailleur, au cordonnier, au forgeron et ainsi de suite... c'est-à-dire que ces billets peuvent -mieux encore que l'argent de l'Etat - rester constamment en circulation. Mieux encore que les billets officiels qui sont thésaurisables. Il leur déclara en outre qu'au cas où d'importantes sommes de wara devraient s'accumuler, les franchistes s'engageraient "exceptionnellement" à les rembourser contre des marks.
A partir de ce moment-là, le "nouveau système monétaire" fonctionna comme une machine bien réglée. Hebecker a remis an route la mine, occupé quarante ouvriers et "revitalisé" l'économie dans trois villages.
Quand après deux ans de chômage consécutifs, les ouvriers touchèrent leur première paie, aucun d'eux n'avait intérêt à garder un seul centime. La totalité de leurs appointements alla aux commerçants pour couvrir les dettes et pour acquérir les denrées de première nécessité. Les commerçants, réticents et sceptiques d'abord, durent se rendre à l'évidence qu'aucune autre monnaie n'étant aux mains des consommateurs, il valait mieux l'accepter que manquer la vente. Ils ne tardèrent pas à remettre leurs "wara" aux grossistes et producteurs ; ces derniers cherchaient à placer le plus rapidement possible leurs billets et s'approvisionnèrent en charbon à la mine Hebecker. Ainsi fut établi le circuit de la "wara" dont une grande partie retournait à la mine pour se transformer en salaire tout en contribuant à améliorer le bien-être général. Quelques mois après, cette petite localité était méconnaissable. Tout le monde avait payé ses dettes et un air de franc optimisme soufflait à travers le pays...
Le succès de cette expérience -au milieu de la crise économique mondiale- se répandit dans toute l'Allemagne. Des reporters venus de tous les horizons pour être témoins oculaires du "miracle de Schwanenkirchen" affluèrent dans le pays. Même les U.S.A. en parlaient dans leurs journaux financiers. Sans toutefois donner la vraie raison du miracle, ils mentionnèrent simplement l'essai d'une monnaie dynamique, inthésaurisable. Il n'est pas douteux que si Hebecker avait tenté de remettre la mine en route avec 40000 D.M., il aurait abouti à un échec certain. L'argent serait passé en une ou deux mains seulement et chacun l’aurait gardé -en réserve- en raison des mauvaises conjonctures économiques...
Pour terminer l'histoire de la "wara", il fàut ajouter que dans toute l'Allemagne, des milliers de commerçants l'acceptèrent et que d'autres communautés comptaient appliquer ce système monétaire. Disons encore que ce mouvement eut une certaine influence en Allemagne :il combattit la politique déflationniste du gouvernement Broning et beaucoup de gens trouvèrent du travail.
Mais le gouvernement se mit à s'occuper de l'affaire sous prétexte que la "wara" était une monnaie et son émission en contravention avec un droit que seul l'Etat possède. Au tribunal, la "wara" gagna le procès. Mais le gouvernement continua son opposition en prétendant qu'elle pouvait conduire à une dangereuse inflation... hélas! le gouvernement ne sut pas faire la distinction entre inflation qui part à zéro pour atteindre des chiffres astronomiques et la modeste "wara" qui part au bord du précipice pour ramener l’économie sur la terre ferme sans pour cela demander une aide extérieure... Finalement, l'arbitraire peut arrêter le bon sens: la wara fut interdite. Le résultat ne se fit point attendre: Schwanenkirchen et les autres villages pour lesquels la wara était "le fluide vital" de la machine économique furent de nouveau réduits au marasme complet...
Un décret du Chancelier Brûning en date du 30 octobre1931, interdit forrnellement en Allemagne l'usage de la wara, de la monnaie timbrée et des bons d'échanges en général... La France ne s'est pas montrée plus libérale que l'Allemagne puisqu'elle interdit le fonctionnement des "Mutuelles d'échanges" que quelques pionniers franchistes avaient instituées dans notre pays...
Pour conclure ce bref exposé, nous allons donner le point de vue des intéressés :
Les commerçants "Nous sommes heureux de perdre 1% par mois du moment que nous pouvons compter régulièrement sur le salaire de quarante ouvriers. Sans la "wara", la mine serait morte, les ouvriers au chômage et notre recette nulle. Une monnaie "timbrée' est préférable à une monnaie fantôme".
Les ouvriers : "Nous ne perdons pas les 1% mensuels, notre salaire va immédiatement dans les magasins d'alimentation où nous n'avons plus aucune difficulté à les placer Nous serions heureux d'avoir beaucoup de "wara", car sans leur institution, nous serions encore dans la misère".
Les franchistes: "La wara cette petite coupure jaune signée par des inconnus- ne contrevient à aucune loi car ce n'est pas une monnaie! La wara n'est qu'un "instrument d'échange" émis par la "S.E.C. Wara". Ce n'est pas de l'argent : la wara n'a pas de couverture et n'est pas remboursable. D'autre part, la wara ne rapporte pas d'intérêt et ne se prête pas à la spéculation...".