Qu'est-ce qu'être juif ?
Michel Richard
Allez voir un rabbin et posez-lui quelques questions prosaïques. Par exemple : « Est-ce qu'un enfant né d'un père juif et d'une mère non juive est juif ? » Ou bien : « Un juif non croyant cesse-t-il d'être juif ? » Ou encore : « Un mariage mixte entre juif et goy est-il possible ? » « Et une conversion au judaïsme en vue d'un mariage ? » Vous verrez alors que chaque rabbin aura sa réponse, qu'un autre rabbin pourra tenir pour nulle. C'est ainsi : des libéraux aux orthodoxes et jusqu'aux Loubavitch, les rabbins font leur loi et lisent, chacun à sa manière, le Livre.
Qu'est-ce qu'être juif ? Une affaire de filiation (par la mère), de religion, de mémoire (à la Shoah), de solidarité (avec Israël) ? Dieu seul - et encore ! - reconnaîtra les siens. Les hommes, eux, se dépatouillent, les uns, religieux, avec les rabbins de leur goût, les autres, laïques, avec leur histoire.
L'affaire n'est pas pour autant réglée. Car le débat - qu'abordent plus loin le philosophe Luc Ferry et l'écrivain Marek Halter - sur ce qui fait d'un homme un juif ne relève pas seulement d'une dispute talmudique. Il n'intéresse pas seulement, pour lui-même, quiconque se sait, se sent ou se veut juif. Ce débat, il est surtout vital pour une communauté juive qui entend, comme il est écrit dans le Deutéronome, « persévérer dans l'être ». Et qui se demande comment.
Si, à l'exception des libéraux, la plupart des rabbins refusent le mariage mixte, c'est qu'ils y voient une menace sur la communauté, un risque de dilution, un empêchement à la transmission des traditions, des croyances, de la culture juives. Au point que les plus ultras n'ont pas peur d'appeler « Shoah douce » ces mariages mixtes. Une autre forme d'extermination...
Si les juifs orthodoxes, implacables dans leurs rites et dans leurs règles, sont accusés de se rabougrir dans un radicalisme stérile, et si eux-mêmes accusent les libéraux de pratiquer un judaïsme au rabais (par exemple en acceptant les conversions, ou en utilisant l'hébreu et le français dans leurs cérémonies), c'est aussi parce que se mènent, dans le conflit, deux stratégies pour résoudre la même équation : rester des points d'ancrage pour une communauté que l'assimilation menace d'affadissement.
Qu'est-ce qu'être juif aujourd'hui, si l'on n'est pas croyant, si l'antisémitisme ne vient plus (ou presque plus) réveiller les défenses communautaires, si Israël se normalise trop pour rester un combat ? Serait-ce n'être, vaguement, qu'un juif d'origine ?
© le point 08/10/99 - N°1412 - Page 92 - 404 mots