L’épineuse question autochtone au Canada: un cheval de bataille pour la droite
« Les minorités ethniques n’existent pas, il n’existe que de mauvaises frontières coloniales. » Citation rapportée par Henri Dorion
« Aucune culture, aucune religion, aucune civilisation n’est à l’abri de la destruction. » Jacques Ruffié
« Ab irato »: Dans un mouvement de colère
L’Histoire du Canada et du Québec, en particulier, est en grande partie l’histoire de la colonisation et de l’assimilation des autochtones, ainsi que de l’expropriation de leurs territoires communaux. Du génocide des Béotuks (Terre-Neuve), de la révolte des Cris et Métis de l’Ouest (1885) jusqu’à la crise d’Oka (1990), les rapports entre les communautés autochtones et les différents gouvernements ont été marqués par un mélange de mesures de répression et de protection, en fonction du contexte, mais surtout en fonction de la docilité à laquelle les auto-chtones se pliaient au désir des colonisateurs, en l’occurrence les entreprises européennes – notamment les compagnies de la Baie d’Hudson et du Nord-Ouest qui en demeurent les symboles – qui convoitaient les ressources naturelles de leurs territoires. Ces rapports expliquent en grande partie ce qui se passe aujourd’hui entre les « Blancs » et les Autochtones.
Les années 1990 et le début des années 2000 sont riches en exemples de luttes autochtones pour l’autodétermination et la préservation de leur cultures traditionnelles. Sans doute, la révolte des Mohawks à Kanesatake et Kahnawake en 1990 ont été une source d’inspiration pour de nombreuses communautés autochtones qui, laissées au contrôle de l’État, avaient perdu toute dignité et fierté de leurs valeurs. Ces nombreuses tentatives d’aller de nouveau vers l’autonomie et la dignité se sont heurtées à une sévère répression de l’État. Depuis la crise d’Oka, une épée de Damoclès plane au-dessus des communautés autochtones. En 1994, un plan du Gouvernement fédéral prévoyait l’invasion du territoire d’Akwesasne par 5000 soldats de l’armée canadienne et de la GRC. Officiellement, l’opération visait le démantèlement des réseaux de contrebande de tabac et d’alcool. Officieusement, il fallait briser un mouvement de révolte qui gagnait en appui parmi les populations autochtones et parmi de nombreux citoyens sensibles aux droits des Premières Nations. Des événements similaires à ceux d’Oka sont survenus à plusieurs endroits dans les années 1990 et ils ont été gérés de la même façon : manu militari. En 1995, la communauté de Ts’Peten (Gustafsen Lake), en Colombie-Britannique, a été envahie par la GRC. Pour l’État, il fallait mettre un terme à la tentative de cette communauté d’affirmer sa souveraineté sur son territoire traditionnel, mais plus important encore, empêcher que leur lutte ne devienne un exemple pour d’autres communautés autochtones. En Ontario, la communauté de Aazhoodena (Stoney Point) a vu l’OPP (l’Ontario Provincial Police) assassiner l’un de ses membres, Dudley George, qui n’était pourtant pas armé mais pratiquait plutôt la désobéissance civile. Ces communautés ont appris chèrement l’un des fondements de l’État-Nation : celui du monopole de l’exercice de la violence.
Ces luttes, qui défraient la manchette dans les mass média, nous sont aujourd’hui présentées comme le résultat d’activités criminelles de la part de bandes armées qui n’ont aucun respect pour la loi. Inutile de dire que cette loi est avant tout la loi du colonisateur, et que celle-ci représente pour les Autochtones, des années de colonisation et d’exploitation de leurs « biens » communs. Ce faisant, les médias commerciaux ne font qu’alimenter les préjugés et stéréotypes, trop faciles à avaler, tels que « les Indiens vivent au crochet de l’État »; « qu’il y a deux justices, une pour les Autochtones et une pour les Blancs »; « les Autochtones ne paient ni taxes ni impôts, et sont donc, plus riches que les Québécois »; « qu’ils vivent de la contrebande »; « qu’ils veulent s’approprier l’ensemble du territoire québécois »; etc. Ces préjugés sont sans fondements et témoignent d’une méconnaissance de l’histoire. En fait, la civilisation européenne qui s’est établie en Amérique du Nord a poussé les Autochtones dans une dépendance et leur a enlevé toute possibilité de se développer librement et dans l’autonomie.
Cette grogne qui règne aujourd’hui dans de nombreuses communautés autochtones est le produit de cette histoire, dont nous explorerons brièvement quelques uns des aspects dans les lignes qui suivent. Parallèlement au mécontentement qui règne dans les communautés autochtones, on peut observer depuis quelques années la recrudescence du racisme à l’endroit de ces communautés. Même si la Crise d’Oka ne marque pas le point de départ de ce phénomène à l’égard des Autochtones, cet événement a été récupéré par de nombreux groupes nationalistes et extrémistes de droite pour dénoncer le « pouvoir des indiens » sur la société québécoise. Les événements survenus à Oka en 1990 sont d’autant plus significatifs car ils demeurent relativement récents dans l’imaginaire et dans la conscience de la société « blanche », mais également pour les autochtones qui ont pu constater que l’organisation, malgré toutes les difficultés que cela implique, pouvait leur redonner un pouvoir face au Gouvernement. Le face-à-face entre Lasagne et le soldat Cloutier demeure probablement l’un des souvenirs fortement enracinés dans la mémoire de ceux et celles qui ont suivi la crise en direct. Cependant, il importe surtout de se rappeler de la façon dont la crise s’est terminée : par le lynchage en direct de femmes, d’enfants et d’aînés mohawks non-armés par une foule de badauds « blancs » en colère d’avoir perdu l’accès à leur propriété, et comble de l’absurde, leur « révolte » était, contrairement aux Autochtones qui cherchaient alors à protéger une pinède ancestrale et à revendiquer leurs droits sur un territoire qui leur échappait de plus en plus, tout à fait justifiée.
Le racisme et le mépris à l’égard des Autochtones est manifeste dans l’histoire canadienne, mais depuis la crise d’Oka, il a peut-être pris de l’ampleur au Québec. La fin des années 1990 et le début des années 2000 ont été marquées par l’apparition de groupes de nationalistes blancs dans plusieurs régions du Québec. Parmi ces groupes, il y a les Pionniers (Saguenay-Lac-Saint-Jean et Côte-Nord), le Mouvement pour le droit des Blancs (Côte-Nord) et le Mouvement estrien pour le français (Estrie). Ces groupes font particulièrement les manchettes depuis l’annonce de l’entente entre de nombreuses communautés, principalement innues (Montagnaises) et le Gouvernement québécois : l’Approche commune. Un résumé des arguments racistes nous démontre que le véritable primitivisme relève du comportement d’ignorants et de personnes conditionnées par des stéréotypes et des clichés qui sont ancrés dans les représentations ethnocentristes de l’histoire. Le « civilisé » devient le barbare, il devient ce qu’il déteste, une « bête ignoble et ignorante ». Selon Boudreault, il s’agit d’un primitivisme social puisque les accusateurs se complaisent à croire que les Autochtones, ces « maudits sauvages » sont les responsables du malaise social et du marasme économique qui règne dans les régions du Québec. La crise socio-économique et la démagogie de certains forment un dangereux cocktail qui engraisse le racisme.
Riche ou pas, les Nazis mettaient tous les Juifs dans le même bateau. Certains nationalistes québécois ont un raisonnement qui reproduit la même « logique » à l’égard des Autochtones : riche ou pas, corrompu ou non, les autochtones sont tous des « sauvages » qui profitent du système, des fainéants et des bons à rien qui vivent grassement sur le dos de la société québécoise. Leur argumentaire est à l’image de celui des premiers colonisateurs, pour qui le darwinisme social était une vérité scientifique, soit celui de la supériorité de la civilisation européenne sur les cultures traditionnelles. Un examen de l’histoire nous prouve pourtant le contraire. Les mouvements racistes qui émanent des régions et qui trouvent une certaine assise parmi les classes populaires ne se rendent pas compte que la source de leurs maux ne se trouve pas au sein des communautés autochtones mais principalement au niveau des conseils d’administration d’entreprises et des parlements, qui demeurent éloignés de leurs régions et de leurs intérêts. Les véritables profiteurs du système ne sont pas les Autochtones, mais ceux qui mettent en valeur les ressources naturelles de leurs territoires, à savoir les industries minières, forestières et énergétiques.
La création des réserves autochtones
« Dans les années 1830, le gouverneur de la colonie anglaise, Sir James Kempt, propose d’installer les Autochtones dans des villages sur des terres cultivables. Dans chacun de ces villages doit vivre un missionnaire et un agent des Affaires indiennes. C’est l’origine de la politique des réserves indiennes, dont l’objectif officiel est de rendre les Autochtones autonomes en leur permettant de tirer leur subsistance de la terre. On soupçonne facilement que le véritable objectif gouvernemental est de libérer le titre foncier des terres ancestrales autochtones – et par le fait même de la présence des Autochtones sur ces terres – aux fins de la colonisation et de l’industrie forestière. Cette tentative d’assimilation par la transformation des membres de nations nomades en citoyens sédentaires se soldera par un échec [relatif]. » (René Boudreault, Du mépris au respect mutuel, p. 32).
Au début du 19ème siècle, les colonisateurs européens ont commencé à étendre leur emprise sur le territoire au-delà des rives du fleuve Saint-Laurent, repoussant de nombreux peuples autochtones vers le Nord, les privant ainsi de leurs domaines territoriaux traditionnels. Cet exode, qui durera 50 ans et qui sera notamment favorisé par l’abattage systématique de la partie septentrionale de la forêt boréale, autrefois surplombée par les grands pins blancs, allait être suivi par la création des premières réserves autochtones au Québec. Le territoire sur lequel elles vivaient leur échappant de plus en plus suite à l’envahissement progressif des colons de descendance européenne, plusieurs nations autochtones sont contraintes, au milieu du 19ème siècle, à demander une aide alimentaire ainsi que la création de réserves pour la chasse, la pêche et la cueillette. En 1840, les Innus (les Montagnais), les Atikamekw et la communauté Anishnabe (les Algonquins) demandèrent donc au gouvernement colonial de leur garantir un espace « sécurisé » par l’envoi de multiples pétitions. En 1850, les réserves de Maniwaki et de Timiskaming furent donc créées. Le gouvernement céda alors 100 000 acres aux Anishnabes. Depuis, cette communauté a perdu le contrôle sur la quasi totalité de ce territoire (95 000 acres) suite aux nombreux dépeçages initiés par le gouvernement sous les pressions des entreprises privées et publiques, qui elles aussi doivent se déplacer une fois que les ressources naturelles ont été épuisées à un endroit donné. L’exode des autochtones est aujourd’hui suivi d’un exode industriel, ce qui prive davantage l’accès des Premières nations au territoire.
C’est principalement au cours de cette période que les contradictions entre les économies autochtones et modernes sont apparues au grand jour. Selon le rythme, les besoins et les intérêts des colonisateurs, les communautés autochtones sont progressivement dépossédées de leurs territoires ancestraux et de leurs droits acquis en vertu des premiers traités signés avec les Anglais et les Français :
« Les peuples autochtones ont été physiquement déracinés : on leur refusait l’accès à leurs territoires traditionnels et, dans bien des cas, on les a forcés à se rendre dans de nouveaux endroits que les autorités coloniales avaient choisis pour eux. Ils ont été également déracinés sur les plans social et culturel : assujettis aux efforts intensifs des missionnaires, ils se sont fait imposer des écoles qui ont réduit leur capacité de transmettre leurs valeurs traditionnelles à leurs enfants, qui leur inculquaient des valeurs victoriennes à dominante masculine et qui attaquaient leurs valeurs traditionnelles comme les danses et autres cérémonies symboliques. » (Commission royale sur les peuples autochtones)
En ce qui concerne les mesures de « protection » adoptées par les différents gouvernements à l’endroit des communautés autochtones, la création des premières réserves et la généralisation progressive de cette mesure à leur égard est sans doute l’un des aspects importants au plan historique du rapport entre les descendants européens et les Autochtones. La création de réserves avait pour objectif de protéger les droits ancestraux des communautés autochtones sur des territoires clairement délimités. Cependant, et c’est là que se trouve le cœur du problème, l’encadrement des communautés autochtones, notamment par l’éducation à l’européenne, devait « contrer la réticence profondément ancrée dans la culture et la mentalité des Autochtones, étrangères à la propriété, à l’accumulation des biens matériels, à la prévoyance et au goût de l’argent ».
De mesures de « protection », la création de réserves est progressivement devenue un outil permettant la mise sous tutelle des communautés autochtones par le gouvernement fédéral. Cette mise sous tutelle a permis l’exploitation des ressources naturelles des territoires autochtones, laissant aux communautés un espace minimal sur lequel elles ont pouvoir de gestion, et qui se limite aujourd’hui au niveau du « village » de la réserve. Les territoires « réservés » aux communautés autochtones du Québec sont aujourd’hui gérés conjointement par le Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et par le Secrétariat aux affaires autochtones du Québec. L’allocation annuelle versée par le Gouvernement fédéral aux Conseils de Bande doit pourvoir à tous les besoins des communautés, à savoir la construction, l’entretien des maisons, des écoles, et à la procuration de services collectifs et individuels.