Méfiez-vous de la vague des fiducies de revenu
6 juin 2005
Bernard Mooney , Journal Les Affaires
Ce n'est pas parce qu'une entreprise en devient une qu'elle se transforme en entreprise de qualité
Chaque semaine apporte de nouvelles offres de fiducies de revenu. Certaines proviennent d'entreprises qui choisissent cette structure pour s'inscrire en Bourse; d'autres sont des sociétés ouvertes qui se convertissent en fiducies.
Le premier groupe compte des noms connus comme Aéroplan, filiale d'Air Canada, qui a déposé un prospectus il y a deux semaines. Il y en a aussi de moins connus, comme Coast Wholesale Appliances Income Fund, Lakeport Brewing Income Fund et Poscor Metals Group Income Fund. Certaines sociétés créent même des fiducies pour investir dans les fiducies !
Dans la deuxième catégorie, il y a des noms comme Hartco, Taiga Forest Products et Strongco Income Fund, pour ne nommer que ceux-là, qui ont annoncé des plans de conversion ou qui l'ont fait récemment.
La vague est en train de se transformer en raz-de-marée.
Évidemment, devant un tel engouement, l'investisseur qui a connu les cycles boursiers des dernières décennies a le réflexe d'opter pour la prudence, sinon pour le scepticisme.
Une fiducie de revenu est une structure juridique qui permet à une entreprise de ne pas payer d'impôts sur ses profits. Ces derniers sont distribués à ses détenteurs de parts qui, eux, sont imposés.
La baisse des taux d'intérêt des dernières années a provoqué une réévaluation à la hausse de ces titres. En effet, un titre de 10 $ qui a une distribution annuelle de 1 $ vaut plus cher lorsque les taux sont à 5 % que lorsqu'ils sont à 10 %. Les épargnants à la recherche de revenus ont donc dévoré de ces titres.
De plus, la prospérité économique a haussé la popularité des fiducies.
La table est donc mise pour encourager des excès, dont les petits investisseurs feront les frais. On commence à le voir dans la qualité des nouvelles candidates. La plupart sont des sociétés de taille modeste qui ne dégagent généralement que de minces bénéfices.
Sans prédire de catastrophe mondiale, un ralentissement économique sérieux précédé d'une hausse sensible des taux d'intérêt entraînerait un sérieux ménage dans le secteur des fiducies de revenus. C'est avant que cela se produise qu'il faut s'y préparer. Comment ? En étudiant attentivement les caractéristiques économiques des sociétés sous-jacentes aux fiducies.
En effet, ce n'est pas parce qu'une entreprise devient fiducie de revenu qu'elle se transforme pour autant en entreprise de qualité. Sa valeur en Bourse peut augmenter de façon temporaire en raison du fait qu'elle versera la totalité de ses bénéfices avant impôts, mais sa valeur fondamentale ne change pas.
Un exemple
Il y a quelques jours, le franchiseur informatique Hartco a annoncé qu'il se transformerait en fiducie de revenu. Le titre a plus que doublé depuis six mois, en raison de résultats améliorés et en prévision de sa conversion en fiducie.
Par contre, un regard sur sa performance à long terme devrait inciter les acheteurs potentiels à la prudence. La société montréalaise a réalisé un bénéfice de 6,6 M$ sur des ventes de 628,7 M$ à son exercice clos le 29 janvier 2005. Cela constitue une amélioration tout à la fois sur le plan des revenus et sur celui du bénéfice.
Ces résultats annuels cachent cependant le fait que Hartco est en déclin. Ses ventes sont inférieures à ce qu'elles étaient en 2001 (677,4 M$). Son bénéfice annuel oscille autour des 6 M$, à l'exception de 2002, alors qu'il a bondi à 9,4 M$. Depuis de nombreuses années, ses marges bénéficiaires glissent. En 1995, ses activités dans le secteur informatique rapportaient des bénéfices de 17,4 M$ avant frais généraux d'administration et de financement sur des revenus de 368,7 M$. Dix ans plus tard, en 2005, malgré des revenus presque deux fois plus élevés, ces bénéfices n'atteignent que 13,2 M$.
Ce n'est pas l'arrivée de l'américaine Best Buy dans le marché canadien qui aidera !
Évidemment, les promoteurs diront que c'est le candidat idéal pour une fiducie qui redistribue tout son bénéfice. À court terme, peut-être, mais à plus long terme, il ne faut pas oublier que Hartco doit, bon an mal an, financer un fonds de roulement de 40 à 50 M$.
Tout cela pour dire que les fiducies de revenu doivent être étudiées sérieusement, cas par cas, et en tenant compte, autant que faire se peut, de la performance à long terme de la société, et des prévisions aussi lointaines que possible. C'est la seule façon d'éviter de se brûler.
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