Voici pourquoi il faut vraiment craindre la Chine
30 janvier 2006
Bernard Mooney , Journal Les Affaires
Notre monde est devenu paranoïaque à bien des égards : le moindre problème devient une crise dans l'oeil des médias. Dans ce contexte, il faut savoir garder la tête froide.
L'investisseur doit faire preuve de discernement pour séparer les problèmes réels (et évaluer leur effet) des tracas éphémères sans importance. Ce n'est pas toujours facile.
Il existe aussi des problèmes potentiellement graves, mais qui ne méritent pas qu'on en perde le sommeil, parce qu'il ne sont pas près de se matérialiser - bien qu'il soit important de les garder en mémoire.
La Chine est un bel exemple de ce type de problème. On en parle beaucoup, tellement qu'on pourrait avoir de bonnes raisons de ne pas vouloir en parler. Pourtant, les risques d'un effondrement de ce pays, comme c'est arrivé avec l'ancienne URSS, sont réels et les effets en seraient retentissants. Tout d'abord parce toute la planète aide la Chine à devenir une puissance économique, notamment parce que personne n'a le choix. Ne pas le faire serait plus coûteux.
Or, pour autant que l'on sache, la Chine demeure une nation communiste, dont l'idéologie vise notamment le renversement et la destruction du capitalisme.
En aidant la Chine à s'enrichir, on l'aide indirectement à se développer militairement. Une confrontation du monde industrialisé (lire des États-Unis) avec une telle puissance, dans quelques années, serait à tout le moins traumatisante pour nous Occidentaux, devenus complaisants et paresseux à force de progresser. Cela dit, ces considérations peuvent être facilement classées dans le tiroir marqué "idéologie" pour être oubliées rapidement.
Par contre, le boom chinois porte en lui les graines de sa propre autodestruction. La croissance économique chinoise semble en effet extraordinaire, si l'on en croit tous les chiffres publiés un peu partout. Or, les pressions sociales augmentent.
L'enrichissement est concentré dans les centres urbains, laissant les régions loin derrière. Selon Moises Naim, éditeur du magazine Foreign Policy, près de 800 M de Chinois qui vivent à la campagne gagnent 15 % du revenu de ceux qui vivent en ville. Le Bureau national des statistiques de la Chine évalue le revenu per capita à 1 675 $ US, en 2005.
Problèmes sociaux
Les milieux ruraux connaîtraient un surplus de travailleurs atteignant 150 M de personnes. Les incidents sociaux sont donc inévitables. Le 6 décembre, à Shanwei, la police chinoise a tiré sur des villageois qui protestaient contre la construction d'une centrale d'énergie. Une vingtaine de personnes seraient mortes (certaines sources parlent de 70 décès). Si vous n'avez jamais entendu parler de cet événement, c'est que les autorités chinoises font tout pour garder le secret. Elles ont notamment interdit aux médias locaux d'en parler. Elles ont même réussi à empêcher que la nouvelle se propage sur Internet.
Dans les jours qui ont suivi, et jusqu'au 13 décembre, faire une recherche sur Google avec le mot "Shanwei" provoquait systématiquement le bloquage du fureteur.
En mars, à Huaxi, dans la région de Zhejiang, 20 000 villageois ont pris le contrôle d'une ville, bloquant l'accès à un parc industriel. Plus de 3 000 policiers ont tenté de reprendre le contrôle, mais cette fois les citoyens ont eu le dessus. Ces derniers étaient en colère contre la pollution engendrée par le parc et la corruption d'un dirigeant local. Il y aurait des milliers de protestations de ce genre et parfois même d'émeutes, chaque année en Chine.
Dettes et inefficacités
Parmi les problèmes les plus importants, citons la répartition non efficace des investissements. Comme les dirigeants veulent avant tout créer des emplois (et, bien sûr, s'en mettre plein les poches), les projets n'ont pas à être rentables, d'où un énorme gaspillage de ressources.
"En Chine, presque chaque décision d'investissement suppose une décision gouvernementale, une influence politique ou un paiement officieux à un dignitaire", explique Barry Naughton, professeur de politique internationale et chinoise à l'University of California. C'est comme si toute notre économie était gérée comme notre système de santé ou d'éducation... ouf !
Par exemple, on investit des sommes colossales dans les immobilisations, ce qui prépare le terrain pour un éventuel déclin économique. Selon l'économiste Andy Xie, de Morgan Stanley, spécialiste des économies asiatiques, les investissements en immobilisations représentent 47 % du produit intérieur brut (PIB) de la Chine, ce qui est beaucoup trop. Un ratio de 35 % serait préférable. La différence représente la modique somme de 250 milliards de dollars US.
De plus, les bonnes années ont fait exploser l'endettement. Les mauvaises créances des banques sont également en hausse, tout comme les prêts illégaux pour financer des projets payants pour les politiciens.
Sa rigidité et ses objectifs empêcheraient le système chinois de réagir à une crise. Et M. Xie, de Morgan Stanley, prévoit l'éclatement de ce qu'il appelle la "bulle", peut-être d'ici six mois. Pourquoi ? Parce qu'il estime que les taux d'intérêt réels (taux moins l'inflation) plus élevés aux États-Unis qu'en Asie draineront le capital hors de cette région.