Avoir raison n'est pas une garantie de réussite en Bourse
3 avril 2006
Bernard Mooney , Journal Les Affaires
J'ai récemment terminé un grand ménage - ce que j'aurais dû faire il y a longtemps -, ce qui m'a permis de trouver des documents intéressants.
Parmi ceux-ci, le rapport annuel de 1996 du créateur de films d'animation Pixar, qui vient d'être acheté par Disney. Pixar avait fait son premier appel public à l'épargne en novembre 1995.
J'ai aussi mis la main sur un dossier épais de presque 10 pouces, plein de poussière, contenant plusieurs années du bulletin financier Growth Stock Outlook, publié par Charles Allmon. Celui-ci avait commencé à le publier en 1965, ce qui représente un exploit de longévité.
Le 23 août 1987, dans un article publié dans le New York Times, il prédisait que la Bourse allait plonger de 35 à 50 %. Quelques semaines plus tard, le krach du 19 octobre lui conférait une certaine gloire. Un observateur non averti pourrait même conclure que M. Allmon avait prédit le marché baissier de 2000. Mais ce serait-là fermer les yeux sur une donnée cruciale.
Vingt ans à prédire l'effondrement
Car Charles Allmon demeure dans la marge depuis 1986. Après le krach de 1987, qu'il avait soi-disant prédit, il n'a pas changé son fusil d'épaule. Il s'attendait à ce que les cours boursiers poursuivent leur descente. Et son message n'a pas vraiment changé depuis. En voici des exemples :
Dans son bulletin du 15 juillet 1992, il écrivait que le marché immobilier, pour la première fois depuis 47 ans, serait incapable de contribuer à la reprise économique. Selon lui, la bulle immobilière allait éclater ! Wow ! Voilà qui n'est pas sans rappeler le discours actuel concernant l'immobilier aux États-Unis.
Dans une entrevue de la publication spécialisée The Wall Street Transcript du 13 juillet 1992, M. Allmon déclare que "tout mouvement au-delà de 3 375 [pour l'indice Dow Jones] est un prolongement de l'immense bulle des années 1980. C'est la plus grande bulle de ce siècle, et elle surpasse certainement celle de 1929". À ce moment-là, ses portefeuilles détenaient 78 % d'encaisse, car il disait que la Bourse était aussi dangereuse qu'en 1987. Faut-il rappeler que l'indice Dow Jones a triplé dans les années suivantes ?
Dans un article publié dans le Wall Street Journal le 5 avril 1993, Charles Allmon admettait que la Bourse pourrait continuer de s'apprécier à court terme, mais que par la suite, le Dow Jones s'écroulerait de 35 à 60 %.
Dans son bulletin du 15 janvier 1995, son portefeuille montre 90 % d'encaisse et il se dit pressé d'investir cet argent. Dix ans plus tard, il attend encore.
Dans une entrevue publiée dans le quotidien The Sun de Baltimore, le 23 novembre 1997, M. Allmon admettait qu'il avait eu tort jusqu'à maintenant. "Mais c'est moi qui rirai à la fin", disait-il, avant de prédire que le Dow Jones plongerait de 40 à 60 % d'ici l'an 2000 de son sommet de 8 259, atteint en août 1997. Cette fois, il appuie son scénario sur les craintes d'une puissante vague de déflation.
En 2001 et 2002, le marché boursier a effectivement connu un douloureux marché baissier. Comme en 1987, Charles Allmon a pu, pendant une brève période, se consoler. Par contre, malgré la baisse des indices (plus de 70 % dans le cas de l'indice Nasdaq), il prévoyait pire encore. Résultat : il n'a pas profité du marché baissier pour investir son encaisse. Ce qui fait qu'en 2006, 20 ans plus tard, ses portefeuilles ont encore plus de 80 % d'encaisse. Et l'on peut dire que le fait d'avoir eu raison en 1987 a probablement provoqué le début de son déclin.
Une maladie mentale
À mon avis, le comportement de Charles Allmon frôle la névrose. Les psychiatres devraient étudier cette obsession pathologique à vouloir prédire le déclin boursier ultime.
M. Allmon n'est pas seul dans son camp. Plusieurs personnes souffrent de ce problème. Des pros bâtissent leur carrière en prédisant la fin du monde financier. Il est possible de les comprendre, car avec leur formation macroéconomique et financière, ils ne savent pas faire autre chose.
Le cas de M. Allmon est beaucoup plus dramatique. Si vous oubliez ses lamentations chroniques, Charles Allmon a un talent exceptionnel pour repérer les titres gagnants. Ainsi, il a recommandé Expeditors International (Nasdaq, EXPD, 88 $ US), un important fournisseur de services de logistique d'expédition, en 1991. Le prix de l'action à cette époque équivalait à 1,50 $ US, si l'on tient compte des fractionnements. Elle vaut aujourd'hui plus de 80 $ US, et celui qui y aurait investi à ce moment aurait multiplié sa mise de plus de 50 fois.
M. Allmon a aussi recommandé la société d'assurance AFLAC (NY, AFL, 46 $ US) en juillet 1988, à un prix équivalent à 1,22 $ US. La valeur du titre a, depuis, été multipliée par 37.
Le fabricant d'équipement médical Stryker (NY, SYK, 47,65 $ US) a été recommandé en 1980 à un prix équivalent à 0,11 $ US. Le titre vaut plus de 400 fois ce prix aujourd'hui.
Ce ne sont que quelques exemples, et je ne vous ferai pas croire que Charles Allmon choisisse toujours les bonnes sociétés. Comme les meilleurs investisseurs, il lui est arrivé de faire des erreurs. Je peux toutefois vous assurer qu'il a un don pour trouver des entreprises qui deviendront exceptionnelles. Cependant, son obsession à vouloir prédire la déroute de la Bourse a irrémédiablement terni ce grand talent. Ne faites pas cette stupide erreur !