Paris, le 27 janvier 2006
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Monsieur Jacques Chirac, Président de la République française
Monsieur le Président de la République,
Au moment où la Convention abolit l’esclavage sans conditions (4 février 1794) et où Marie-Césette Dumas, esclave de Saint-Domingue, devient libre et citoyenne française, son fils, le général Alexandre Dumas, né lui aussi esclave, est nommé général en chef de l’Armée des Alpes. La République, indifférente à la couleur de sa peau, n’hésite pas à lui confier la responsabilité de 45 000 Français.
Quelques mois plus tard, le général Dumas montre qu’il était digne de cette confiance. Après une progression harassante et périlleuse dans la neige, il monte à l’assaut des redoutes austro-sardes et emporte le site stratégique du Petit Saint-Bernard, sauvant la République de l’invasion étrangère.
Alors, sous les vivats des soldats de l’An II, les Piémontais viennent s’incliner devant ce Français à la peau noire et déposent à ses pieds leurs sabres et leurs étendards.
Le 26 février 2006, cela fera deux cents ans que le brave général Dumas est mort de chagrin parce qu’une autre France - prosternée devant un « homme providentiel » - a refusé de reconnaître ses mérites et a rétabli l’esclavage.
Monsieur le Président de la République, lorsque vous avez transféré au Panthéon les cendres du fils de cet homme dont vous avez eu le courage de dire qu’il avait été « trahi et abandonné par Bonaparte », vous avez montré à quelle France vous apparteniez. C’est celle de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
Vous avez aujourd'hui l’opportunité, dans ce même élan, de marquer l’histoire en rendant hommage à ceux qui eurent l’audace – sans tenir compte des intérêts économiques de la Nation – d’abolir l’esclavage sans conditions et de faire de tous les habitants des colonies, sans distinction de couleur, des citoyens français à part entière. Par leur geste inoubliable (mais enfoui dans notre mémoire), la déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789 est devenue un principe universel. Dans l’histoire de notre République, aucun autre moment n’est comparable à celui-là.
La logique et l’équité voudraient que vous rassembliez dans un même élan tous les Français blessés de l’Outre-mer et leurs compatriotes, en déclarant solennellement le 4 février journée de commémoration nationale de l’abolition de l’esclavage et qu’un hommage éclatant soit rendu, sous votre haut patronage, en 2006, au brave général Dumas, héros sans tache de notre République.
Pour vous en convaincre, je n’ai, hélas, d’autre autorité que la liberté de ma plume et la mémoire de mes ancêtres, citoyens français mis en esclavage à la Guadeloupe en 1802, mais aussi paysans du Limousin arrachés à leur terre pour partir à la conquête de l’Europe sans d’autre raison que la gloire d’un homme. Je suis sûr qu’ils approuveraient, les uns comme les autres, que ma plume ait aussi servi à vous écrire cette lettre.
Je vous prie d’agréer, Monsieur, le Président de la République, l’expression de ma respectueuse considération.
Claude Ribbe