SUISSE - Confession de l’agent secret qui
a espionné le centre islamique de Genève
Le 23 février dernier, Christian alias Sayyid, 35 ans, révélait dans les
colonnes de la Tribune de Genève avoir été recruté en 2003 par le service
d'analyse et de prévention (SAP, services secrets intérieur suisse) pour
infiltrer le centre islamique de Genève, dirigé par Hani Ramadan. Ce qui a été
confirmé depuis par les autorités helvétiques. L’espion affirme que l’objectif
de l’opération du SAP, baptisée Memphis, était de fabriquer des preuves afin
d’impliquer Hani Ramadan dans un réseau terroriste.
Plusieurs journalistes suisses alémaniques ont rencontré l’ex agent des
services secrets. Nous traduisons ci-dessous la dernière interview qu’il a
donnée alors qu’il se trouvait en Grèce.
Depuis cette date, l’ex-agent n’est plus entré en contact avec les médias, et
il reste introuvable. Les enregistrements des réunions avec son officier
traitant du SAP, qui prouvent ses accusations, sont parvenus à la commission
d’enquête parlementaire chargée de contrôler les activités des services secrets
en Suisse. Mais cette dernière a-t-elle vraiment l’intention de faire toute la
lumière sur la réalité d’une opération qui nuirait gravement au département de
justice et police, dirigé par le patron de l’UDC (extrême droite), Christophe
Blocher ?
Traduction : Yann Vogel (yvog@...)
Version originale : http://www.facts.ch/dyn/magazin/schweiz/358359.html et
http://www.blick.ch/news/schweiz/artikel34413
Le 23 février dernier, vous révéliez dans les colonnes de la Tribune de Genève
les buts de l’opération des services secrets à l’encontre du centre islamique
que dirige Hani Ramadan. Pouvez vous nous rappeler ces faits ?
J’ai été recruté par le SAP (NDT : service d’analyse et de prévention, service
secrets intérieurs suisses) à la fin de 2003. A l’époque, je travaillais pour la
brigade des stupéfiants de la police du canton de Genève. Mon rôle consistait à
infiltrer des réseaux de trafiquants et à réunir les conditions pour des
arrestations en flagrant délit. D’une manière générale je n’ai jamais tellement
eu d’affinités avec les policiers, mais, par le passé, ma conduite n’avait pas
toujours été exemplaire. C’était en quelque sorte pour moi l’occasion de
remettre les pendules à l’heure. Mes premiers rendez-vous avec le SAP se sont
bien passés. Ils semblaient être motivés par une éventuelle menace sur le
territoire Suisse. Pour ma part je ne connaissais rien à l’Islam. Comme la
majorité des gens, j’étais conditionné par tout ce que les médias servent chaque
jours en matière d’amalgames entre islam et terrorisme. L’opération a été
baptisée Memphis, mon nom de code était Menes. Bien sûr on
ne m’a pas, au départ, informé des objectifs exacts de l’opération. Les
services secrets avaient besoin de m’évaluer afin de savoir si je pouvais être
fiable. La première étape consistait à m’intégrer dans la communauté musulmane,
et plus particulièrement celle qui fréquente le centre islamique que dirige Hani
Ramadan.
Qu’avez-vous trouvé sur Hani Ramadan ?
Absolument rien, mais le SAP le savait bien avant l’opération Memphis, d’où la
nécessité de fabriquer des preuves, afin de l’accabler une fois pour toute. Cela
aurait arrangé beaucoup de monde que Hani Ramadan soit définitivement compromis.
Comment devait fonctionner le « piège » ?
M on officier avait reçu une note émanent des services secrets libanais,
transmise au SAP par le DFAE (NDT : Département Fédéral des Affaires
Etrangères). Elle informait que des musulmans résidant à Genève s’apprêtaient à
rejoindre l’Irak, via Damas. L’idée était d’infiltrer ce groupe, de les
accompagner sur place afin de vérifier la validité des leurs contacts, tout en
les laissant faire. Le SAP n’a pas la légalité pour envoyer des agents à
l’étranger, mais ils ont pris le risque pour un premier séjour. L’idée ensuite
était d’y retourner, dans le cadre d’une mission conjointe avec le service de
renseignements d’un pays étranger. L’objectif final était ensuite de fabriquer
le lien entre ces musulmans partis de Genève et le centre islamique, et bien
sûr, par extension, Hani Ramadan.
Par précaution, j’ai pris soin d’enregistrer mes trois derniers entretiens
avec Patrick XXXXXXXXXX*, mon officier traitant au SAP. Ces bandes confirment
mes accusations, et j’ai pris l’initiative de les expédier à la commission
parlementaire en charge du contrôle des activités du renseignement suisse.
Mosquée Al-Fateh, à Damas
Vous êtes vous rendu en Irak ?
Non.
Vous vous êtes converti à l’Islam, étais-ce une demande du SAP ou avez-vous
fait du « zèle », comme l’a dit un journaliste Suisse.
Ma conversion était bien sûr programmée par le SAP. Comment infiltrer un
milieu que l’on suppose islamiste sans être musulman ? Vous savez, travailler
pour des services laisse peu de place aux initiatives personnelles. Vous recevez
des ordres et vous les exécutez, c’est tout. Au départ j’étais assez emballé,
bien sûr. On avait su me persuader de l’utilité de ma tâche.
Vous avez dit au Blick que conversion était ensuite devenue sincère. A partir
de quand avez-vous trouvé la foi ?
Assez vite, et un peu malgré moi. Il faudrait être un homme vraiment
insensible pour ne pas être touché au plus profond de soi-même par la prière en
islam. Au fil du temps, ma vision du monde s’est transformée, dans le sens d’une
plus grande lucidité. Toutefois, ma mission en Syrie a été décisive. A mon
retour j’ai décidé de mettre un terme à mes activités avec le SAP. Mais
évidemment on ne clôture pas une opération comme ça, en claquant la porte du
jour au lendemain.
Est-il vrai que les services secrets vous ont menacés ?
Oui. Il était très facile pour eux de faire pression. J’étais devenu musulman,
je m’étais déplacé en Syrie ou j’avais été en contact avec des groupes de
résistants. Ils pouvaient me piéger très facilement en me faisant passer pour un
recruteur. Mais j’ai surtout compris à ce moment que l’opération Memphis allait
se poursuivre, avec ou sans ma participation. J’ai donc décidé de prévenir Hani
Ramadan.
Dans l’article de la Tribune de Genève du 23 février relate brièvement les
activités d’agents provocateurs de services étrangers au centre islamique.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur leurs objectifs ?
Le rôle d'un agent provocateur est d'inciter à la haine et à la violence, dans
le but de déstabiliser l'organisation ou le pays dans lequel il opère. J’ai
effectivement pu approcher plusieurs individus en contact avec des groupes ayant
un caractère terroriste et qui ont été identifiés par le SAP comme étant des
agents provocateurs issus de services de renseignements étrangers.
Dessin paru dans la Tribune de Genève
Du 14 mars 2006 (Herrmann)
De quel pays provenaient-ils ?
De XXXXX, de XXXXXXX et de XX XXXXXX*
Vous prétendez que des agences gouvernementales infiltrent des mosquées afin
de recruter des musulmans dans le but d’organiser des attentats ?
Je ne sous-entends rien, j’analyse les faits. Ces trois dernières années, la
plupart des attentats perpétrés au nom de l’Islam démontrent une chose certaine
: chaque détails du style de ces actions indique qu’elles ont été préparées par
des professionnels, et non par des excités formés en trois semaines sur les
dunes d’un camp improvisé dans le désert. Tout cela devient clairement
compréhensible au regard des effets politiques prévisibles de ces actions: elles
sont toujours exactement opposées à celles qu’elles prétendent rechercher.
L’assassinat de Rafic Hariri en est malheureusement l’exemple le plus probant.
Un groupe islamiste inconnu, et surtout inexistant, en a immédiatement
revendiqué l’attentat. La vérité semble aujourd’hui différente. On pourrait
trouver 15 autres exemples similaires.
Qu’allez-vous faire maintenant ?
Il reste encore beaucoup de choses à dire et j’attends impatiemment d’être
convoqué par la commission d’enquête parlementaire. Elle ne semble pas très
pressée, mais je ne doute pas un instant de pouvoir établir la vérité. Ce n’est
plus qu’une question de temps.
(*ces noms étaient également camouflés dans la version originale)
FACSIMILE d’un courrier de droit de réponse au quotidien suisse le Matin :
Monsieur le rédacteur en chef,
L’article de votre collaborateur, Ian Hamel, publié le dimanche 2 avril
dernier dans votre journal, comporte tellement d’erreurs et d’inexactitudes
qu’il m’oblige à vous faire parvenir ce courrier, que j’aimerai voir publié dans
votre prochaine édition du dimanche dans le cadre d’un droit de réponse.
M. Hamel prétend avoir établi un contact avec moi, mais il n’est toutefois pas
capable d’indiquer ce que j’aurai bien pu lui dire, et pour cause : ce contact
n’a jamais existé. Il explique que ce lien aurait été établi par l’intermédiaire
« d’amis ou d’ennemis », et grâce à un jeu de devinettes philosophiques.
Heureusement pour moi, mes amis ne parlent pas, et j’ai toujours fais en sorte
que mes ennemis ne puissent pas retrouver ma trace. De plus, dans ma situation,
j’évite le plus possible de communiquer par mails, et je n’ai pas de temps à
perdre pour des quiz, fussent-t-ils sénéquiens.
M. Hamel indique que j’aurais été condamné à 5 reprises pour escroqueries,
trafic de drogues et d’anabolisants. C’est faux. J’ai commis suffisamment
d’erreurs de jeunesse sans qu’il y ait besoin d’en inventer de supplémentaires.
Contrairement au catalogue des crimes qu’il m’impute, je n’ai jamais été
condamné pour trafic de drogues ou d’anabolisants. J’ai dans toute mon existence
uniquement effectué 5 jours de détention préventive pendant l’instruction d’un
juge, entre le 6 et le 11 février 2004, avant d’être ensuite relaxé.
M. Hamel poursuit en indiquant que j’aurais été un informateur en Italie et en
Espagne, et que, par ailleurs, j’aurai renseigné des « copains » de la brigade
des stupéfiants. C’est également faux. Je n’ai jamais été un informateur dans
ces deux pays, et je me garde bien d’avoir des amitiés dans la police. Mon
activité avec la brigade des stupéfiants ne consistait pas à « informer », mais
à infiltrer des réseaux de trafiquants afin de réunir les conditions pour des
arrestations en flagrants délits (je peux au besoin en produire le détail).
C’est à la suite de cette « collaboration » que j’ai été recruté par SAP pour
être engagé dans l’opération Memphis.
Plus loin, votre collaborateur se demande si j’ai effectué des voyages à
l’étranger « pour le SAP ou de [ma] propre initiative ? ». Le SAP n’a
effectivement pas la base légale pour envoyer ses agents à l’étranger, mais
s’octroie des dérogations pour cela et bien d’autres choses encore.
M. Hamel s’enfonce un peu plus dans l’erreur quand il écrit que j’aurais «
aussi séjourné 4 mois au Soudan et au Niger en 2005 ». J’ai beaucoup voyagé ces
deux dernières années, mais je n’ai jamais mis les pieds dans ces deux pays.
M. Hamel affirme que Rachid H, qui figure avec moi sur une photo publiée par
la Tribune de Genève, L’Illustré et le Blick, ne serait en fait qu’un « bouc
émissaire ». C’est à partir d’une note émanent des services secrets libanais
transmise au SAP par le DFAE en janvier 2005 et qui indiquait que Rachid H.
avait l’intention de se rendre en Irak via Damas, que je me suis déplacé en
Syrie. Mais M. Hamel, qui aime les approximations, se garde bien de publier
l’intégralité du courrier que j’ai fait parvenir à l’avocat de Rachid H. Pendant
mon séjour en Syrie, j’ai pu établir que ce dernier n’avait pas (ou plus)
l’intention de se rendre en Irak, au grand désespoir de mon officier traitant
qui avait besoin qu’existe un pipeline de combattants potentiels au départ de
Genève, de manière à ce que l’on puisse ensuite fabriquer les preuves pour y
impliquer Hani Ramadan. Dans toute cette affaire, Rachid H n’a pas été un « bouc
émissaire », mais une victime.
Parmi toutes sortes d’hypothèses, allant du comique au grotesque, M. Hamel se
demande si je ne serais pas atteint d’une islamite aigue, et si, dans un sursaut
mystique, je ne serais pas entré dans une sorte de « Guerre Sainte », dont le
but unique serait de discréditer les services secrets de notre pays. Par
précaution, j’ai pris soin d’enregistrer mes trois derniers entretiens avec
Patrick S., officier du SAP. Ces bandes confirment mes accusations, et elles ont
été expédiées cette semaine à M. Patrick Schwab, secrétaire de la commission
parlementaire en charge du contrôle des activités du renseignement suisse. Votre
journaliste aurait pu avoir cette information s’il avait lu l’article de Beat
Kraushaar, qui possède une copie de ces enregistrements, dans le Blick du 29
mars dernier. Mais il a préféré faire confiance aux déclarations d’informateurs
aussi anonymes que douteux.
M. Hamel prétend encore que j’aurais fait du zèle en me convertissant à
l’Islam. Lui qui se targue sur un site internet d’être un spécialiste dans le
domaine du renseignement semble tout de même un peu limité en la matière.
Comment aurais-je pu infiltrer une mosquée sans être musulman ? Ce qui est vrai,
c’est que l’Islam a effectivement transformé mon existence, en m’apportant les
valeurs qui m’ont parfois fait défaut par le passé, et en me donnant accès à une
spiritualité que je ne soupçonnait pas. On le comprend bien maintenant, ma
conversion est devenue très vite « plus sincère que [ne l’avait] prévue [le SAP]
», et c’est bien ce qui leur a paru impardonnable. Je n’ai plus donné suite aux
demandes du SAP depuis mars 2005. Ils m’ont encore convoqué le 27 janvier et le
1er février dernier lorsqu’ils ont appris que j’avais rencontré Valérie Duby,
journaliste à la Tribune de Genève. J’ai refusé toute négociation. Le 14 février
mon appartement a été cambriolé, 2 ordinateurs
portables ont été volés ainsi que plusieurs dossiers. Le 15 février, je suis
tombé dans un guet-apens, rue des Voisins, à Genève. Blessé, j’ai été conduit
aux urgences de l’hôpital cantonal par la gendarmerie. J’ai ensuite pris la
décision de quitter la Suisse, précipitamment, non pas « pour foutre la m »
comme l’écrit M. Hamel, mais pour me mettre à l’abri.
Je m’interroge sur les motifs qui ont poussé votre journaliste de placer tant
d’erreurs et d’inexactitudes dans son article. Ne serait-il pas préférable de
laisser la commission parlementaire faire sont travail d’enquête plutôt que
d’insinuer des conclusions aussi disqualifiantes ? Il reste beaucoup de chose à
dire sur cette affaire, et j’imagine que l’on comprendra maintenant que je garde
le silence jusqu’au moment ou je serais entendu par cette commission.
Salutations d’usage.
Christian Z.