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 Un négationnisme respectable, par Pierre Tévanian

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mihou
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mihou


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07062005
MessageUn négationnisme respectable, par Pierre Tévanian

Un négationnisme respectable, par Pierre Tévanian

http://lmsi.net/impression.php3?id_article=389

23 mai 2005
Un négationnisme respectable, par Pierre Tévanian
Réflexions sur la « guerre des mémoires » et la « concurrence des victimes », suite à « l’Affaire Dieudonné » et à la « Non-Affaire Max Gallo »


Les récents propos de Dieudonné mélangeant dans la plus grande confusion la juste dénonciation de la non-reconnaissance de l’esclavage, la juste solidarité avec le peuple palestinien et les allusions les plus douteuses sur les Juifs, leur prétention d’être un « Peuple élu » et leur rapport au « Dieu Argent » <1>, ont suscité une condamnation légitime et même nécessaire de la part d’organisation comme le MRAP et la Ligue des Droits de l’Homme. Ce qui est regrettable, et qui risque d’alimenter encore longtemps la « concurrence des victimes », c’est que la juste condamnation des propos de Dieudonné s’accompagne d’une sur-médiatisation <2> et d’une campagne outrancière faisant de Dieudonné « un Le Pen bis » <3> et l’« un des plus grands antisémites de France » <4>, contrastant singulièrement avec le silence assourdissant qui a suivi, tant dans le monde associatif et politique que dans les grands médias, des propos d’un racisme et d’un négationnisme franc et massif : ceux qu’a tenus à la télévision, quelques semaines auparavant, un certain Max Gallo

Samedi 4 Décembre 2004, au journal de 13 heures de France 3, l’historien et biographe Max Gallo est l’invité de Catherine Matausch à l’occasion du bicentenaire du sacre de Napoléon dont il a écrit une biographie en quatre volumes. Après un reportage rappelant le rétablissement de l’esclavage par Napoléon, l’interdiction du territoire métropolitain aux « nègres et autres gens de couleur » le 2 juillet 1802, et l’interdiction des mariages mixtes le 3 janvier 1803, Catherine Matausch interpelle Max Gallo :

« Alors quand on parle de Napoléon on n’évoque jamais cette décision de rétablir l’esclavagisme, pourquoi ? »

Le biographe - le terme hagiographe serait sans doute plus exact - répond ces mots terribles :

« Non, jamais, vous exagérez. On le fait, mais moi-même je peux dire que je l’ai fait, peut-être pas de façon suffisante. Parce que c’est vrai que dans l’inconscient même de l’historien, quand il travaille, à moins qu’il ne soit directement concerné par le sujet...Cette tache, car c’est une tache réelle, est-ce que c’est un crime contre l’humanité ? Peut-être, je ne sais pas. Je crois qu’il a incarné en tout cas les valeurs révolutionnaires en dépit de tout ça... »

Après les chambres à gaz « point de détail de l’histoire de la seconde guerre mondiale », voici donc l’esclavage simple « tâche » dans la belle épopée révolutionnaire française. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Max Gallo réduit cet indiscutable crime contre l’humanité au rang de « détail ». Au mois d’octobre 2002, déjà, il avait déclaré, en direct sur Canal + :

« Oui, Napoléon a rétabli l’esclavage aboli par la convention en 1794... mais pour le sens de l’histoire cela n’était pas important ». <5>

Trois poids, trois mesures

Souvenons nous : pour avoir mis en doute l’existence des chambres à gaz, et les avoir réduites en tout état de cause au rang de « point de détail », Jean-Marie Le Pen fut en son temps condamné unanimement par la classe politique, le monde associatif et médiatique - et on ne peut que se réjouir de cette unanimité. Il fut également poursuivi en justice et condamné. Pour avoir lui aussi mis en doute la réalité d’un génocide des Juifs, Roger Garaudy fut lui aussi condamné, comme l’avait été Faurisson avant lui.

Pour avoir mis en doute l’existence d’un génocide des Arméniens, l’historien Gilles Veinstein n’a été ni poursuivi en justice, ni même écarté de la Chaire d’ Etudes ottomanes du Collège de France à laquelle il avait postulé. Son élection suscita toutefois une controverse qui fut relayée par la grande presse - même si la plupart des éditorialistes et de nombreux universitaires prirent le parti de l’historien négationniste au nom des libertés académiques... <6>

Et aujourd’hui, enfin, pour avoir mis en doute le fait que l’esclavage soit un crime contre l’humanité, et pour avoir à deux reprises relégué ce crime au rang de point de détail, Max Gallo n’a eu à affronter ni la justice, ni la désapprobation du monde politique et associatif (à l’exception de réseaux associatifs africains ou antillais, bien seuls à protester). Il continue de parader régulièrement sur les plateaux de télévision, où il vient donner son petit point de vue sur à peu près tout.

Il y a donc un problème. Car si le mouvement antiraciste est divisé sur la pertinence et l’efficacité des lois Gayssot sanctionnant le négationnisme, ou plus largement sur la place que doivent avoir les poursuites pénales contre les discours publics au sein du combat plus large contre l’idéologie et les pratiques racistes <7>, il est en revanche unanime - et c’est heureux - pour condamner par principe tout négationnisme et pour considérer que la non-reconnaissance d’un crime est vis-à-vis des victimes et de leurs descendants un outrage qui réitère ou prolonge, sur le plan symbolique et psychologique, la violence de ce crime. Mais force est de constater que cette condamnation de principe ne s’accompagne pas d’une égale vigilance ni d’une égale capacité de réaction face à tous les négationnismes : dans l’espace public français d’aujourd’hui, nier ou mettre en doute la Shoah provoque un tollé et une mobilisation générale - et c’est tant mieux - tandis que nier ou mettre en doute le génocide arménien provoque un petit scandale - et c’est insuffisant - et que nier ou mettre en doute le crime contre l’humanité subi par les Noirs ne provoque rien du tout - et c’est une honte.

D’autres parallèles seraient possibles, notamment avec la Colonisation, dont le caractère intrinsèquement criminel est largement nié ou minimisé, aussi bien dans la culture de masse <8> que dans les programmes scolaires - sans parler du Parlement qui vient de voter une loi visant à célébrer, jusque dans l’enseignement, le « rôle positif de la présence française Outre-mer » <9>.

L’impasse Dieudonné

À partir de ce constat, les difficultés commencent. Le cas de Dieudonné est là pour nous rappeler les dérives auxquelles ce juste constat peut conduire s’il n’est pas réfléchi et analysé politiquement : concurrence des victimes, focalisation sur un « lobby sioniste » considéré comme unique responsable de l’occultation des autres crimes... - bref : construction d’un nouveau bouc émissaire et retour des vieux habits de la rhétorique antisémite (« Dieu argent », « Peuple élu », « pleurnicheries »...).

Cela dit, les dérives de Dieudonné ne doivent pas nous faire oublier la part de vérité sur laquelle viennent s’agréger rancoeurs, amalgames et provocations racistes : une indiscutable inégalité de traitement dans la reconnaissance des différents crimes contre l’humanité, dont témoigne le silence de mort qui a accompagné les propos négationnistes de Max Gallo. En d’autres termes, une fois condamnés les propos de Dieudonné, tout reste à faire.

Pour commencer, précisons que la formule « pornographie mémorielle », s’il n’y avait eu qu’elle, n’aurait pas posé de problème de racisme : cette formule peut être un moyen polémique, choquant certes, mais pas raciste, de critiquer un traitement sensationnaliste de la Shoah, privilégiant l’émotion suscitée par des images d’archive insoutenables plutôt que la réflexion sur les causes du crime et les moyens d’en tirer des leçons pour le présent. Le problème est que Dieudonné ne l’a pas employée en ce sens, et qu’il a tenu, autour de cette dénonciation de la « pornographie mémorielle », des propos beaucoup plus problématiques (ces propos sont mentionnés dans la note 1).

Reconnaissons aussi que les « extrémistes sionistes » que dénonce Dieudonné existent bel et bien, que leurs positions tant sur le conflit israélo-palestinien que sur la politique intérieure française sont détestables et doivent être combattues <10> et que certains d’entre eux tiennent effectivement des discours inacceptables invoquant « l’unicité de la Shoah » pour relativiser la gravité des autres crimes contre l’humanité.

Mais ajoutons immédiatement que ces extrémistes sionistes ne sont ni les seuls ni même les principaux responsables de l’occultation du tort fait aux Noirs. C’est sur ce point que le discours de Dieudonné commence à dériver : dans la surestimation de leur pouvoir de nuisance - surestimation qui aboutit à une focalisation sur un « unique responsable », autrement dit sur un bouc émissaire, qui rappelle les pires stéréotypes antisémites - et cela d’autant plus que Dieudonné a parfois glissé de « sionistes » à « juifs », et même « les Juifs » <11>.

Au-delà du cas de Dieudonné, c’est là que commencent souvent les dérives : dans l’idée simpliste et mécanique selon laquelle le trop peu de place occupée par la souffrance des Noirs dans la mémoire nationale, dans les programmes scolaires et dans les consciences antiracistes serait dû au fait que « les Juifs prennent toute la place ». En réalité, tout s’oppose à cette vision simpliste : on parlait très peu de la Shoah dans les années 50, 60 et 70, que ce soit dans les films <12>, dans les médias, à l’école, dans les discours politiques... Pour autant, parlait-on davantage de l’esclavage des Noirs, du génocide arménien ou des crimes coloniaux ? Non. On en parlait même encore moins qu’aujourd’hui. L’esclavage a été aboli définitivement en 1848 ; jusqu’à 1940, il s’est donc passé un siècle avant qu’ait lieu la Shoah. Au cours de ce siècle, il n’y avait aucune « mémoire de la Shoah » pour « occuper la place », et pourtant la mémoire de l’esclavage a été totalement occultée.
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