William Easterly, professeur à l'Université de New York
L'aide fait-elle plus de mal que de bien ?
LE MONDE ECONOMIE | 20.04.06 | 18h47 • Mis à jour le 20.04.06 | 18h47
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Le Fardeau de l'homme blanc (The Penguin Press) est un violent réquisitoire contre l'aide accordée depuis cinquante ans aux pays en développement. Le bilan est-il, à vos yeux, si désastreux ?
2 300 milliards de dollars ont été dépensés pour sortir les pays pauvres du sous-développement et quel est le résultat sinon un échec ? Les pays qui ont reçu le plus d'assistance étrangère n'ont pas atteint les deux objectifs justifiant cette intervention : la croissance économique et la réduction de la pauvreté. S'il existe quelques pays comme la Corée du Sud et le Botswana qui ont mieux réussi, beaucoup plus nombreux sont ceux qui ont échoué. Si bien qu'il est logique de se demander si le succès de la Corée est dû à l'aide. Or nous n'avons aucune preuve de cela.
William Easterly
2003
William Easterly est professeur à l'Université de New York.
2001-2003
Il rejoint le Center for Global Development.
1985-2001
A la Banque
mondiale, il conseille les pays d'Afrique de l'Ouest puis passe au département de la recherche. Là naîtront ses premières critiques à l'égard de l'institution.
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Pour vous, l'aide a donc été dépensée en pure perte, elle n'a pas permis d'améliorer les conditions de vie des plus pauvres ?
Je ne dis pas cela. Dans le domaine de la santé, par exemple, des progrès ont été enregistrés. Les taux de mortalité infantile ont baissé et certaines maladies comme la polio ont reculé.
Votre analyse va à contre-courant du consensus. Les Nations unies réclament un doublement de l'aide publique à l'horizon 2015 pour pouvoir atteindre les Objectifs du millénaire (ODM), et beaucoup de bailleurs s'y sont engagés.
Oui et c'est une énorme erreur. A quoi servira-il de dépenser plus tant que cette aide ne sera pas efficace, tant quelle n'atteindra pas les plus pauvres ? Or ce projet ne prévoit aucun mécanisme d'incitation et perpétue le fonctionnement actuel de l'aide internationale. Huit objectifs ont été fixés et 54 indicateurs ont été choisis pour évaluer si un pays s'approche du but ou pas. Mais que les projets aboutissent ou échouent, personne n'en sera tenu pour responsable. Des sommes énormes sont engagées, sans qu'aucun résultat soit exigé à la clé. C'est bien pour cela qu'autant d'argent a été gaspillé. Il faut introduire un système de responsabilité individuelle. Ceux qui sont chargés de gérer l'aide dans les institutions internationales ou dans les agences nationales doivent rendre des comptes et montrer leurs résultats. Sinon il faut couper leurs budgets.
Vous ne faites porter la responsabilité que sur les donateurs, mais les résultats dépendent aussi de ceux qui reçoivent l'aide à commencer par les gouvernements.
Bien sûr, je n'ignore pas cela. Beaucoup de gouvernements sont corrompus et détournent l'aide et je crois que, dans ce cas, les donateurs devraient directement financer des projets en court-circuitant les pouvoirs publics. Mais au-delà de cela, il y a toujours des raisons mises en avant pour justifier un échec. Les gouvernements récipiendaires diront que les donateurs avaient imposé trop de conditionnalités pour qu'ils puissent mettre en oeuvre leur programme, et les donateurs diront que les conditions n'étaient pas réunies, etc.
Nous sommes dans un système qui dysfonctionne, chacun se renvoie la balle, et personne n'est responsable de rien, voilà le vrai drame de l'aide.
Pourtant le département d'évaluation de la Banque mondiale vient de rendre public un bilan très sévère sur les politiques de libéralisation prescrites entre 1987 et 2004 ; cela ne sert à rien ?
Ils ont été courageux de la faire mais cela va-t-il changer quelque chose ? Je suis loin d'en être certain.
Que faudrait-il faire alors ? Dans votre livre, vous opposez les "planificateurs" qui décident d'en haut, aux "chercheurs" qui partent des besoins du terrain...
Les planificateurs veulent élaborer un plan global pour éliminer la pauvreté et je pense que cela est impossible. Cela conduit juste à une sorte de théâtre politique dans lequel les pays riches cherchent à se convaincre qu'ils veulent accomplir de grandes choses. Mais il n'y aura rien au bout des discours. Les Nations unies ont déjà reconnu que les Objectifs du millénaire ne seront pas atteints à la date prévue. Personne ne dispose suffisamment d'informations pour élaborer un plan global qui ait une chance d'aboutir. Les réalités sont tellement différentes au niveau local, tellement complexes.
A l'inverse, les "chercheurs" ont une approche beaucoup plus pragmatique, plus décentralisée. Ils cherchent des solutions concrètes à des problèmes de terrain comme l'a fait Muhamed Yunus au Bangladesh en créant avec la Grameen Bank la première banque de microcrédit. C'est dans cette voie qu'il faut aller. L'aide doit répondre, au cas par cas, à des besoins locaux et être soumise à une évaluation systématique.
Propos recueillis par Laurence Caramel
Article paru dans l'édition du 18.04.06
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3220,36-762358@51-714468,0.html