Le Venezuela dans la ligne de mire de Washington
par Salim Lamrani*
Depuis le début de l’année 2006, les attaques verbales des dirigeants états-uniens contre le Venezuela ont redoublé. Le secrétaire états-unien à la Défense, Donald Rumsfeld, a comparé le président Hugo Chàvez à Hitler, une insulte qui n’est pas isolée et qui fait suite aux appels au meurtre prononcés contre le président vénézuélien par Pat Roberston. Face au basculement à gauche de l’Amérique latine, l’administration Bush semble bien décidée à empêcher une réélection du dirigeant bolivarien. Il semble en effet aujourd’hui acquis que la construction de la Zone de libre-échange des Amériques dont rêve la Maison-Blanche ne pourra se construire que sur les cendres d’un contre-modèle bolivarien qu’il devient urgent d’abattre.
28 février 2006
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Pays
États-Unis
Venezuela
Thèmes
Contrôle de l’Amérique latine
Lutte pour l’indépendance et l’unité de l’Amérique latine
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L’hostilité des États-Unis envers le gouvernement du président Hugo Chávez prend une tournure de plus en plus inquiétante. Dans un document récent, le Pentagone a qualifié la « résurgence des mouvements autoritaires et populistes dans certains pays, comme le Venezuela [de] source d’instabilité politique et économique ». Cette déclaration est d’autant plus préoccupante que le département de la Défense ne cite quasiment jamais de pays dans son étude stratégique (Quarterly Defense Review), publiée tous les quatre ans et qui se limite à des tendances générales [1].
Quelques jours auparavant, le secrétaire à la Défense états-unien, M. Donald Rumsfeld, avait comparé M. Hugo Chávez à Hitler devant le National Press Club de Washington. « Au Venezuela, on a Chávez qui a beaucoup d’argent du pétrole. Il a été élu légalement tout comme Adolf Hitler. Puis il a consolidé son pouvoir et maintenant, il travaille avec Fidel Castro, M. Morales et d’autres », a-t-il souligné [2]. « Nous avons vu certains leaders populistes attirer les masses populaires dans ces pays. Et des élections ont lieu comme celle d’Evo Morales en Bolivie, qui sont clairement préoccupantes », a-t-il conclu [3].
La réponse vénézuelienne ne s’est pas faite attendre. Le vice-président de la République, M. José Vicente Rangel, a fermement condamné les propos agressifs de M. Rumsfeld : « Nous ne sommes pas disposés à accepter passivement que le gouvernement national […] soit agressé impunément par des personnes totalement disqualifiées du point de vue politique, moral et éthique, comme la bande qui accompagne le "Hitler nord-américain" George Bush » [4].
De son côté, le directeur des services de renseignements, M. John Negroponte, a accusé le Venezuela de « lancer une politique étrangère militante en Amérique latine qui inclut la livraison de pétrole brut à prix bas pour gagner des alliés ». Dans le même temps, il a stigmatisé la chaîne internationale de télévision Telesur, dont le but est de rompre l’hégémonie de CNN sur le continent. Il a affirmé, devant une commission du Sénat, que « le Venezuela est le principal défi à la sécurité hémisphérique », et que la priorité de Washington est d’empêcher à tout prix la réélection de M. Chávez en décembre 2006. Enfin, il a menacé la Bolivie qui « continue à envoyer des signaux ambivalents sur ses intentions » [5].
« La politique étrangère militante » évoquée par M. Negroponte fait référence à la coopération solidaire mise en place par le Venezuela, qui permet à de nombreuses nations pauvres de la région d’acquérir du combustible à des tarifs préférentiels. M. Keith Mitchell, Premier ministre de la Grenade, a signé un accord de coopération énergétique avec le président Chávez qui prévoit la livraison de 1 000 barils de pétrole par jour à 50% du prix du marché. Le Venezuela a également envoyé un groupe de militaires et d’ingénieurs civils à La Grenade pour réparer les écoles endommagées par les divers ouragans. Le modèle d’intégration préconisé par l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA), complètement opposé à l’ultralibéralisme ravageur de la Zone de libre-échange pour les Amériques (ZLEA), a fortement irrité la Maison-Blanche [6].
Face aux menaces explicites lancées par l’administration Bush, le Venezuela a décidé de renforcer sa défense en acquerrant des avions militaires espagnols. Cependant, Washington a interdit au gouvernement de M. José Luis Rodríguez Zapatero de fournir des avions militaires dotés de technologie états-unienne à la République bolivarienne, car la vente, d’un montant total de deux milliards de dollars, pourrait « contribuer à la déstabilisation de l’Amérique latine », selon M. Sean McCormack, porte parole du département d’État [7]. Également sollicité à ce sujet, le Brésil a rejeté la demande étasunienne, affirmant qu’il procèderait à la vente de 20 avions au Venezuela [8].
Selon Washington, la vente d’armes au Venezuela risquerait de déstabiliser la région. M. McCormack explique que les « inquiétudes se centrent sur ce que nous considérons être une militarisation exagérée au Venezuela » [9]. Or, l’entreprise états-unienne Lockheed Martin vient de livrer plusieurs avions de chasse F16 au Chili, et prévoit d’en fournir huit autres dans le courant de l’année 2006. Le Chili dispose désormais de la flotte aérienne la plus moderne d’Amérique latine, sans que cela pose un quelconque problème à l’administration Bush, uniquement obsédée par les réformes progressistes entreprises par Caracas [10].
En plus de l’importante acquisition d’armements indispensables à la défense de la nation (100 000 fusils et 15 hélicoptères achetés à la Russie), le président Chávez a décidé de créer une armée d’un million de volontaires pour faire face à une éventuelle invasion militaire du pays par les troupes états-uniennes. Le gouvernement bolivarien a choisi de suivre l’exemple cubain en matière de préparation à la défense. « Pourquoi les Américains ont envahi la moitié du monde et n’ont jamais envahi Cuba ? A Cuba, c’est tout le peuple qui est entraîné à défendre minutieusement le territoire et la Révolution cubaine », a noté M. Chávez [11].
Les États-Unis ont également entrepris un travail d’espionnage et de subversion interne par le biais de leur ambassade à Caracas, afin de déstabiliser le pays de plus en plus conquis par les avancées sociales mises en place par le gouvernement. « Certains officiers de bas rang fournissaient des informations au Pentagone », a informé le vice-président vénézuelien. Un attaché militaire états-unien, M. John Correa, qui avait pris contact avec lesdits officiers, dans le but de conspirer contre les autorités, a été expulsé du pays [12]. Quant aux militaires vénézueliens, ils ont été mis en examen pour collaboration avec une puissance étrangère [13].
En guise de représailles, Washington a déclaré Mme Jenny Figueredo Frías, chef du cabinet de l’ambassadeur vénézuelien Bernardo Alvarez à Washington, persona non grata, tout en admettant qu’il s’agissait d’une mesure arbitraire. « Cette décision est une réponse à la décision […] du gouvernement vénézuelien d’expulser le commandant John Correa, l’attaché naval de l’ambassade des États-Unis à Caracas », a affirmé le porte-parole du département d’État [14].
M. Tony Blair, fidèle et inconditionnel serviteur de l’administration Bush, a fait montre de toute sa subordination envers Washington, lors d’une session hebdomadaire du Parlement britannique. Le député travailliste Colin Burgon interpella le Premier ministre : « Je suis sûr que vous partagez la satisfaction de nombreux députés travaillistes face au virage à gauche enregistré en Amérique latine [avec l’arrivée au pouvoir de] gouvernements qui luttent pour les intérêts de la majorité, et non pas pour ceux d’une minorité ». Puis, l’interrogeant, il continua : « Mais vous seriez d’accord qu’il serait très mauvais pour tous si nous permettions que nos politiques envers ces pays, particulièrement des nations comme le Venezuela, soient définies par l’agenda réactionnaire républicain du gouvernement états-unien » [15]. De manière surprenante, M. Blair répondit : « Jusqu’à un certain point », tentant de justifier son propos en affirmant qu’il était « important que le gouvernement du Venezuela comprenne que s’il veut être respecté par la communauté internationale, il doit respecter les règles de la communauté internationale ». Évidemment, par « communauté internationale », il faut entendre ici « les États-Unis », dont les « règles » sont à appliquer sans discussion. Pour le Premier ministre britannique, la souveraineté de l’Angleterre s’arrête là où commencent les intérêts états-uniens [16].