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 Juifs-Noirs, le grand malentendu

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zapimax
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zapimax


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21042006
MessageJuifs-Noirs, le grand malentendu

Juifs-Noirs, le grand malentendu (Le Monde 22-4-06)
Juifs-Noirs


Le grand malentendu



Durant l'été 1995, square du Châtelet, Edouard Nduwa assiste à une réunion
de la Nation de l'islam. Ce mouvement afro-américain, dirigé par un chef
charismatique et antisémite, Louis Farrakhan, était la même année capable de
réunir un million d'hommes à Washington. A Paris, devant une vingtaine de
personnes tout au plus, le représentant français se lance pendant trois heures
dans une interminable diatribe. " Il expliquait que l'ennemi numéro un des
Noirs, c'était les juifs, enchaînait les préjugés antisémites sur leur réussite
sociale, parlait de la traite des esclaves organisée par les juifs, jouait de la
concurrence des mémoires avec la Shoah, citait les noms de personnalités juives
des médias ", se souvient le témoin.

Mais le maigre auditoire ne mord pas. " Les résistances étaient fortes.
Les Noirs présents embarrassaient l'orateur par leurs questions, contestaient
ses théories, se moquaient. " Edouard repart rassuré : lui, le converti au
judaïsme, devenu Guershon Nduwa, n'aurait jamais à craindre l'antisémitisme de
ses frères de couleur en France. Né au Congo en 1964, de parents animistes,
Nduwa avait obtenu en 1988 une bourse pour suivre des études en Israël. Il y a
découvert le judaïsme. En 1993, il a débarqué en France, avec Edouard sur son
passeport et Guershon dans son coeur. " Personne alors ne m'a fait de remarque
sur ma religion ", assure-t-il. A l'époque, Elie et Dieudonné ne faisaient-ils
par rire dans des sketches où " M. Cohen " et " M. Bokassa " échangent les
insultes racistes ?

Mais, peu à peu, Guershon Nduwa a vu " monter la frustration des Noirs.
Des gens ont su jouer de leur situation économique catastrophique, explique cet
éducateur spécialisé qui s'occupe de handicapés mentaux. Ils ont été de plus en
plus nombreux à acquiescer à l'idéologie importée de Farrakhan. Il fallait un
coupable à leurs maux : le juif était le parfait bouc émissaire. "

En une décennie, les thèmes qui faisaient s'esclaffer square du Châtelet
sont devenus prégnants dans la communauté noire. Des militants de la cause
africaine ou antillaise ont développé un discours trouble, habillé
d'antisionisme. " C'est allé crescendo jusqu'à ce qu'ils trouvent une
personnalité médiatique qui leur ouvre les bras et leur confère une audience
inespérée : Dieudonné. "

" L'antisémitisme demeure minoritaire chez les Noirs ", estime cependant
Guershon Nduwa. Le phénomène est difficile à mesurer. La police ou la
gendarmerie, tout comme la Commission nationale consultative des droits de
l'homme (CNCDH), qui établit chaque année un rapport sur le sujet, n'ont pas, de
par la loi républicaine, de typologie spécifique pour les Noirs, comme victimes
ou comme auteurs d'actes racistes. Le débat sur le caractère antisémite du
meurtre d'Ilan Halimi reflète la difficulté à appréhender cette récente poussée.

Sammy Ghozlan, président du Bureau national de vigilance contre
l'antisémitisme, tente au cas par cas de démêler l'écheveau des motivations. Cet
ancien commissaire se souvient de ce jeune qui avait été passé à tabac par une
bande, en banlieue parisienne. " Après l'avoir roué de coups, les agresseurs ont
vu l'étoile de David qu'il portait autour du cou. Ils se sont alors écriés : "Et
en plus, c'est un juif !" "

Acte antisémite ou simple crapulerie ? La frontière est ténue. " Certains
font de l'antijuif comme M. Jourdain faisait de la prose. Ils assimilent des
clichés ", assure-t-il.

Cet observateur engagé estime l'antisémitisme noir " extrêmement
minoritaire mais extrêmement violent ". Il constate avec inquiétude que les
agressions, quasi inexistantes il y a encore deux ans, ne cessent d'augmenter.
Elles sont, selon Sammy Ghozlan, surtout le fait de " Noirs de confession
musulmane ". Insultes ou attaques physiques, ces dernières semaines seulement,
des incidents ont été recensés à Sarcelles, Villiers-le-Bel, Garges-lès-Gonesse,
Ivry, Clichy-sous-Bois, Lyon ou Villeurbanne. Le 18 mars, dans le 19e
arrondissement de Paris, quatre jeunes apostrophent deux jeunes juifs d'un "
Salut youpin ! " puis les passent à tabac. " Quelque chose tourne vraiment mal
entre les juifs et les Noirs ", constate Abdoulaye Barro, 41 ans. Né au Burkina
Faso, l'homme n'a longtemps connu du monde juif que la figure tutélaire de Mme
Cohen, une coopérante qui enseignait au prytanée d'Ouagadougou. L'étudiant " de
culture musulmane libérale " est venu en 1981 achever son cursus à l'université
de Poitiers. Il trouve des " affinités électives " entre certains textes juifs
et la culture africaine.

Abdoulaye Barro participe en 1994 à la création de l'association JUAF
(Juifs et Africains). On y parle alors " d'amitié naturelle " entre deux mondes
qui ont une connaissance commune de la souffrance et du racisme. Nullement
d'antagonisme : pourquoi y en aurait-il ?

Le climat est alors, selon l'initiateur, à une " indifférence sympathique
" entre les deux communautés. Prévaut encore dans l'intelligentsia noire la
formule de Frantz Fanon, un des " Nègres fondamentaux " avec Senghor et Césaire
: " Quand un Noir entend dire du mal d'un juif, il doit ouvrir les oreilles car
c'est de lui qu'on parle. "

Mais Abdoulaye Barro se souvient de ce jour de 1996 où il a rencontré le
rabbin Gilles Bernheim. " Moi, je revenais d'un séjour au Sénégal. Farrakhan y
avait effectué une visite qui avait été un échec. Son extrémisme n'avait pas été
compris car il était contraire à la culture africaine, qui ramène tout au
centre. J'étais plutôt optimiste. Gilles Bernheim, lui, revenait de Sarcelles.
Il y avait découvert les tensions qui montaient entre Noirs et juifs dans les
collèges de la ville. Il était inquiet. "

Les prémonitions se sont confirmées. " Les banlieues où les jeunes Noirs
sont victimes de discriminations ont été un terreau favorable aux discours venus
des Etats-Unis. Avec la seconde Intifada, en 2000, les descendants de colonisés
africains se sont identifiés aux Palestiniens, poursuit Abdoulaye Barro. Les
juifs se sont battus pour avoir une place dans la société française. Par
glissement, ils sont devenus ceux qui empêchent les Noirs d'obtenir la leur. Du
modèle, on est passé à la convoitise, puis au ressentiment, et finalement à la
haine. "

Cheikh Doukouré estime également qu'" on ne peut dissocier l'antisémitisme
du problème des banlieues ". Né en Guinée, dans ce qui était alors une colonie
française, le réalisateur, âgé de 60 ans, milite de longue date pour la cause
noire à travers ses films (Blanc d'ébène, Ballon d'or). Ce combat lui vaut un
crédit dans les milieux africains.

Lorsque Dieudonné s'est exprimé après lui sur l'esclavage ou la
discrimination, Cheikh Doukouré a d'abord applaudi. " Il disait des vérités sur
la condition des Noirs, voulait faire bouger la société française. Mais il n'a
pas su arrêter là son combat et a laissé libre cours à son besoin de provocation
", regrette-t-il.

" Les jeunes laissés-pour-compte identifient le juif au capital, poursuit
le réalisateur. Ils ne stigmatisent pas le juif en tant que juif mais en tant
que réussite sociale. Leur discours raciste tient d'abord à leur manque de
culture. " Une lente dérive pour en arriver à ce " communiqué " envoyé par un
extrémiste noir à la communauté juive après la mort d'Ilan Halimi : " S'il vous
prenait l'envie d'effleurer ne serait-ce qu'un seul des cheveux du frère -
Youssouf Fofana - , nous nous occuperons avec soin des papillotes de vos
rabbins. "

Internet est devenu le vecteur essentiel de ce discours haineux. Des
forums africains ou antillais relayent, parfois contre leur gré, des propos
nauséeux. On y trouve des attaques contre le " lobby qui n'existe pas ", lire le
lobby juif. Morceaux choisis : " Les juifs n'arrêtent pas de manipuler le monde
", " ils sont fourbes ", etc. Des textes douteux circulent, comme cette liste de
journalistes supposés sionistes ou cette analyse sur le rôle " prépondérant "
des juifs dans la traite négrière.

Cette montée de la détestation, Diana Pinto lui trouve " un air de déjà-vu
". Italo-franco-américaine, cette historienne a passé une partie de sa vie aux
Etats-Unis, étudié notamment à Harvard avant de s'installer à Paris. Au début
des années 1960, sa mère, Laura, enseignait à l'université noire de Morehouse
(Géorgie).

Avec d'autres intellectuels juifs, elle a participé au combat pour les
droits civiques de Martin Luther King. " Les Noirs luttaient pour l'égalité des
chances et ce combat rejoignait l'universalisme des juifs de gauche ", explique
aujourd'hui sa fille.

Puis la communauté noire américaine s'est radicalisée avec le Black Power,
la " Nation of Islam " ou l'afrocentrisme d'un Leonard Jeffries. Diana Pinto
côtoiera des étudiants noirs qui refuseront d'accueillir un Blanc à leur table.
" La main blanche la plus facile à mordre était finalement la main juive puisque
c'était une de celles qui étaient tendues ", explique Diana Pinto.

La guerre de six jours, en 1967, a ouvert une brèche entre juifs et Noirs
convertis à la foi musulmane. La concurrence entre Shoah et esclavage a pris
comme amadou.

L'historienne se souvient également du revirement boudeur d'une partie des
intellectuels juifs aux Etats-Unis. Comme Norman Podhoretz, héraut de la gauche
américaine et soutien de Martin Luther King, devenu un des pères du
néoconservatisme. Ce courant de pensée a alors noué des alliances idéologiques
avec les forces réactionnaires de l'Amérique blanche.

Diana Pinto, qui a raconté cette expérience dans son livre Entre deux
mondes (édition Odile Jacob), constate un semblable virage en France, " même
s'il serait faux de mettre un calque ". Elle voit monter " un courant pessimiste
de la France au nom de la République ", représentée notamment par un de ses
hussards, le philosophe Alain Finkielkraut.

Une partie de l'électorat s'est ainsi droitisée. Lors d'une cérémonie en
hommage à Ilan Halimi, Philippe de Villiers a été applaudi à la synagogue de la
Victoire, le 23 février, à Paris : son discours anti-islamiste séduit.

Une véritable défiance vis-à-vis des Noirs est également apparue. Tel
responsable du Conseil représentatif des associations noires (CRAN), créé en
novembre 2005, se souvient d'une rencontre avec des responsables juifs. " Ah bon
! Vous, les Noirs, n'êtes pas tous antisémites ? ", lui avait-on signifié, sans
savoir à quel degré se plaçait la remarque. Sur un site juif, n'évoque-t-on pas
les " sauvages enragés " ?

Les propos sur les Africains pleurnichards ou les Antillais " assistés "
d'Alain Finkielkraut ont créé des rancoeurs. " Dieudo est prétendument
antisémite, tandis que Finkielkraut ne fait qu'exprimer sa liberté d'expression
", ironise un intervenant sur la Toile. Cette impression de " deux poids-deux
mesures " revient comme une litanie. Elle est ressentie par nombre de Noirs,
bien au-delà des cercles qui adhèrent aux thèses conspirationnistes. Le faible
écho donné à l'agression de l'humoriste en Martinique, en 2005, ou à l'attaque
de son théâtre par des nervis, le 19 février, alimente le même grief et
entretient l'image du martyr.

A Media Tropical, une onde antillaise, les libres antennes deviennent des
exutoires à la colère. " Les auditeurs ont un sentiment d'injustice, explique
Daniel Valminos, 56 ans, président de la radio. Quand on parle d'un serial
killer, on pense à Guy Georges, pas à Emile Louis ou Michel Fourniret. Dans les
médias, on parle des motivations racistes de Fofana, mais on ne parle pas des
discriminations dont sont victimes les Noirs tous les jours. A Sarcelles, les
Noirs représentent 30 % de la population mais n'ont qu'un seul élu au conseil
municipal. "

" Chaque fois qu'on essaye de faire valoir notre souffrance, on nous
accuse de vouloir établir une concurrence ", poursuit Daniel Valminos. L'homme
se souvient de la marche organisée le 23 mai 1998, à Paris, où 40 000
Afro-Antillais avaient défilé " en habits du dimanche " entre République et
Nation pour que la France se souvienne de l'esclavage. L'action eut peu d'échos.
L'adoption par l'Assemblée nationale, en 2001, d'une loi faisant de la traite un
crime contre l'humanité, n'en eut guère non plus.

Beaucoup moins en tout cas que les impertinences de Dieudonné. " Les
médias font monter chacun de ses propos et lui donnent une audience. Dans le
même temps, ils ignorent de grandes voix comme Edouard Glissant qui ont un
discours construit ", regrette le président de Media Tropical. Daniel Valminos
estime que la solution passe par " une meilleure visibilité des couleurs de la
France ".

" Les Noirs montent dans la société. Les Américains ont su prendre à
bras-le-corps ce problème. On est en droit d'exiger ça de la République ",
assure Diana Pinto. Pour Cheikh Doukouré aussi, " dès que les Noirs trouveront
leur place dans la société, la tension tombera d'elle-même ".
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