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 GAZA APRÈS LES COLONS

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mihou
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mihou


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Localisation : Washington D.C.
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18042006
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GAZA APRÈS LES COLONS

Gruda, Agnès

Gaza - Le manège accélère et les hidjabs des filles volent au vent. Elles portent des foulards bleus, blancs ou noirs, parfois ornés de paillettes, et elles poussent de petits cris quand les soucoupes dans lesquelles elles sont assises tanguent en piquant vers le sol.

Elles s'appellent Jamila ou Samira et elles ne sont plus des enfants. Mais à 20 ans, ces étudiantes d'une école professionnelle de Gaza n'avaient encore jamais eu l'occasion de monter dans un simple carrousel.

Avec sa dizaine de manèges, la foire de Joyland leur permet de s'amuser comme des fillettes. " Pour elles, c'est une grande bouffée de liberté ", dit leur professeure, Nesrine Rachid.

Liberté, parce qu'elles peuvent fendre l'air accrochées à leur siège. Mais aussi parce qu'elles peuvent marcher sans crainte sur un terrain qui, d'aussi loin qu'elles se rappellent, leur a toujours été interdit.

Il y a six mois à peine, des chars d'assaut israéliens étaient stationnés à l'endroit précis où Joyland a dressé ses manèges. Le chemin qui mène vers la mer donnait alors accès à l'implantation juive de Netzarim. Il était interdit aux Palestiniens.

Pour protéger les colons, l'armée israélienne avait dressé un point de contrôle sur la route qui suit la Méditerranée. D'autres points de contrôle protégeaient d'autres implantations. La bande de Gaza était coupée en trois zones, délimitées par les colonies.

Fin août, Israël a évacué les 8000 colons juifs qui vivaient enclavés en territoire palestinien. Plus de routes interdites ni de barrières intérieures. Aujourd'hui, les habitants de Gaza peuvent accéder à une quarantaine de kilomètres de plages, dont une grande partie leur étaient interdites. En longeant la côte, on voit les enfants s'ébattre dans l'eau et des familles profiter des premières journées chaudes de mars.

Mais en après-midi, quand le soleil descend vers la mer, sa lumière orangée éclaire une autre facette de cette nouvelle liberté. Les maisons des colons avaient été rasées par les bulldozers au moment de l'évacuation. Six mois plus tard, des hommes en vêtements élimés fouillent encore les décombres, à la recherche du moindre objet de valeur. Même les tuyaux d'égout ont été arrachés.

Mercredi dernier, Fawzi Azzam a passé trois heures à extirper des barres de fer de quelques blocs de béton écrasés par les bulldozers. " C'est un travail pénible, mais je n'ai pas le choix ", dit cet ouvrier qui a longtemps gagné sa vie en Israël. Depuis trois mois, avec les bouclages territoriaux, il n'a plus de travail.

Alors il vient ici, sur ce que les gens de Gaza appellent " les terres libérées ", pour empiler des barres de fer sur sa charrette. Sa récolte lui apportera une quinzaine de shekels, pense-t-il. Un peu moins de 4 $.

Depuis le départ des colons, on respire un peu mieux à Gaza. " Les étudiants peuvent maintenant arriver à l'heure à mes cours, ils ne sont plus bloqués dans les points de contrôle ", se félicite Ziad Medoukh, professeur de français dans une des quatre universités de la bande de Gaza.

Mais en laissant Gaza aux Palestiniens, l'armée israélienne a aussi resserré l'étau autour de cette lanière de territoire encerclée par des murs et des barbelés. Les premiers à en souffrir sont les agriculteurs qui ont repris les serres des colons dans l'espoir d'exporter tomates, poivrons ou mangues.

Check point Karni

En mars 2004, deux kamikazes palestiniens s'étaient cachés dans un camion pour traverser le check point Karni, unique lieu de transit des marchandises de la bande de Gaza vers Israël. Ils se sont fait exploser tout près, dans la ville portuaire d'Ashdod, faisant 10 morts et des dizaines de blessés.

Depuis, Karni est devenu un poste-frontière à sécurité maximale. Un bon kilomètre sépare la partie israélienne de la section contrôlée par les Palestiniens. Les marchandises sont placées sur des convoyeurs de plastique installés sur le toit d'un entrepôt, avant d'être déversées dans les bennes des camions palestiniens.

Tout est mécanisé. " Nous n'avons plus un seul contact visuel avec les Israéliens ", dit Abou Bassam, garde de sécurité palestinien à Karni.

Depuis la victoire du Hamas aux législatives palestiniennes du 25 janvier, Israël a entrepris de creuser un nouveau fossé pour rendre la zone tampon encore plus impénétrable. Mais il existe une manière plus radicale encore pour assurer la sécurité d'Israël: fermer carrément le passage.

C'est ce qu'Israël fait depuis plus de deux mois, en invoquant des raisons de sécurité. Quand la pression est trop forte, on ouvre la frontière pour quelques heures. Puis on la referme.

Mardi, une trentaine de camions attendaient à Karni depuis l'aube. La rumeur voulait que le passage ouvre vers 13 h. Rami et Ayman Rajaj, deux frères chargés de recevoir une cargaison de farine, avaient pris leur place dès 6h du matin. " On attend et on espère ", disaient-ils en début d'après-midi.

" Autrefois, ça fermait pour une journée ou deux. Maintenant, ça fait plus de deux mois. Parfois, ça ouvre pour deux ou trois heures, mais ce n'est pas une ouverture, c'est de la propagande ", se plaignait Rami Rajaj.

Ce jour-là, les boulangeries fermaient les unes après les autres, à court de farine. Un peu partout, on rationnait le pain: pas plus d'un sac de 50 pains pitas par personne. D'autres aliments se faisaient rares: le yogourt, le lait en poudre, l'huile.

Même l'UNRWA, l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, a eu toutes les peines du monde à faire passer son camion de 8000 tonnes de farine et a dû interrompre temporairement sa distribution alimentaire.

" Au cours de toute l'année dernière, Karni a été fermé pendant 18 % de ses heures normales. Depuis le début de 2006, c'est 60 %. C'est une situation sans précédent. Il faudrait que le passage soit ouvert pendant plusieurs semaines sans interruption pour permettre de refaire les réserves et empêcher la pénurie au prochain bouclage ", a averti John Ging, directeur des opérations de l'UNRWA à Gaza.

Les habitants de Gaza sont habitués aux interruptions temporaires et stockent les matières de première nécessité importées d'Israël- c'est-à-dire à peu près tout. Mais cette fois, plusieurs se sont fait prendre au dépourvu. " Je n'avais pas prévu que la crise serait aussi aiguë ", dit Jafar Filifil, un père de deux petits enfants, qui a vu ses réserves de pain et de yogourt fondre à vue d'oeil.

Israël souhaite fermer complètement Karni et remplacer ce lieu de transit par un autre passage, Kerem Shalom, près de la frontière égyptienne- un " poste-frontière " exploité en solo par les Israéliens. Les Palestiniens rechignent. De toute façon, selon John Ging, Kerem Shalom est trop exigu et peu pratique.

Import, export

La frontière est encore plus étanche pour ceux qui souhaitent exporter des marchandises. Devant l'une des plus importantes serres de Netzarim, les tomates cerises éclatent dans leurs paniers. Le gérant des lieux, Abdul Fatah Alleila, se désole: " Elles sont prêtes pour l'exportation depuis une semaine. Si je ne peux pas les transporter, je devrai les détruire. "

Depuis la mi-février, la Compagnie de développement économique de la Palestine, qui exploite les anciennes serres des colons, perd près d'un demi-million de dollars par jour à cause du bouclage, selon un rapport de USAID.

Avec le blocus de Karni, qui n'a ouvert que de manière sporadique depuis trois mois, les pêcheurs de Gaza perdent eux aussi leurs prises. Pourquoi ne pas les vendre sur le marché local? " Les gens de Gaza n'ont pas les moyens de payer 120 shekels (30 $) le kilo de bar noir ", dit Daoud Baqer, pêcheur de poisson et de crevettes.

La vie des pêcheurs s'est pourtant améliorée depuis le départ des colons: ils peuvent maintenant longer toute la côte de Gaza et aller plus loin en mer. " À quoi ça sert si on ne parvient pas à vendre le poisson? " se demande Daoud.

" À quoi sert le retrait israélien si nous ne sommes pas en mesure de développer notre économie? " renchérit Ziad Medoukh.

Les bouclages ont aussi aggravé la situation des travailleurs palestiniens qui gagnent leur vie en Israël. Dans les années 90, il pouvait y en avoir jusqu'à 100 000. Aujourd'hui, de 4000 à 5000 Palestiniens seulement sont autorisés à quitter Gaza pour gagner leur pain. L'élection du Hamas n'a fait qu'exacerber les restrictions. Résultat: plus de huit habitants de Gaza sur 10 vivent sous le seuil de la pauvreté. Et la situation se dégrade.

Une guerre civile?

Depuis le triomphe électoral du Hamas, parti radical qui a organisé la majorité des attentats suicide contre l'État hébreu, l'Autorité palestinienne est étranglée financièrement. Israël a bloqué ses transferts de taxes et douanes perçues pour le compte des Palestiniens. L'aide étrangère est remise en question.

À Gaza, l'impact de ces mesures est visible dans la rue. Sans salaire depuis deux mois, les employés municipaux de Gaza font la grève. Les poubelles débordent dans la rue. Ici et là, on brûle les déchets.

Dans la ville de Gaza, les toits des maisons sont piqués de drapeaux noirs, jaunes ou verts, qui représentent les différentes factions politiques. Fatah, Hamas, Djihad islamique. Tous ces mouvements disposent d'un " bras armé ", quand ce n'est pas plusieurs. Et chacune des anciennes implantations juives est aujourd'hui contrôlée par une de ces factions.

À notre arrivée à Erez, nous avons été accueillis par des tirs de fusils. C'étaient les brigades Al Aqsa, visage camouflé par un masque noir, qui tentaient d'empêcher le passage du chef de la police palestinienne.

Maintenant qu'elles ne peuvent plus tirer sur les chars israéliens, devenus hors de portée, les milices palestiniennes pourraient-elles tourner les armes contre leurs compatriotes?

" Il y a une crise profonde en Palestine, surtout à Gaza, dit l'analyste palestinien Riad Malki, du Centre de recherche Panorama. Mais je ne crois pas à la possibilité d'une guerre civile. " Selon lui, les territoires occupés ne présentent pas le genre de tensions ethniques ou religieuses qui alimentent les guerres civiles.

Pour M. Malki, la présence des groupes armés est plutôt le fruit de l'affaiblissement du gouvernement palestinien. Et, selon lui, le Hamas redonnerait probablement plus de force à ce gouvernement.

Il ne désarmerait pas les groupes qui se concentrent sur la lutte contre Israël, mais s'attaquerait en priorité à ceux qui s'en prennent aux institutions officielles palestiniennes ou qui kidnappent des étrangers. " Le Hamas veut faire régner la loi et l'ordre, mettre fin à l'anarchie ", dit Riad Malki.

De plus, selon M. Malki, le Hamas a intérêt à soigner son image internationale et demandera donc à ses propres milices de se tenir tranquilles, du moins pour le moment. Les troupes du Hamas sont disciplinées. Il y a déjà un an qu'elles pratiquent la trêve.

Mais le Hamas sera-t-il en mesure de pacifier les rues de Gaza s'il se retrouve sans le sou? La moitié des 14 000 employés de l'Autorité palestinienne travaillent dans les services de sécurité. Sans argent, que feront-ils de leurs armes?

Dans une rue de Gaza, la ville, une femme voilée jusqu'aux yeux glisse comme une ombre en contournant des sacs qui débordent de déchets. Un homme armé roule les mécaniques. Les terrasses des hôtels qui donnent sur la mer sont vides depuis le départ des étrangers, chassés par la vague des kidnappings.

Pour les Palestiniens, en coupant les vivres au Hamas, la communauté internationale ne pourrait qu'accentuer la crise. Presque tous manifestent le même étonnement. " Le monde nous a demandé de voter démocratiquement, nous l'avons fait. Comment peut-on nous punir pour cela? " se demandent-ils.


Encadré(s) :

La bande de Gaza c'est :

- Un territoire de 360 km2 situé entre Israël et la Méditerranée.

- Quarante kilomètres de côtes, s'étirant de l'Égypte jusqu'à Israël.

- Une population de 1,3 million de personnes sur l'un des territoires les
plus densément peuplés de la planète.

- Soixante-dix pour cent des habitants de Gaza sont des réfugiés.

- Quatre-vingt-un pour cent des habitants vivent sous le seuil de la pauvreté.

- Quarante-huit pour cent ont moins de 15 ans.

- Le PNB par habitant est de 600 $US par an.

- Le taux de fertilité est de 5,6 enfants par femme.

Illustration(s) :

Dans les décombres des maisons de l'ancienne colonie de Netzarim, des Palestiniens récupèrent des barres de fer pour les revendre et faire quelques dollars.
Après le triomphe électoral du Hamas, les puissances occidentales, comme le Canada, ont menacé de cesser l'aide au développement. Des projets de formation technique et professionnelle pour les femmes palestiniennes pourraient en subir les conséquences.
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