Québec lance une politique de lutte contre le racisme
Les Québécois à la peau noire sont plus instruits, mais plus affectés par le chômage que les autres
Gruda, Agnès
Diplômée de l'École des hautes études commerciales en 2001, Maudeleine Myrthil a mis deux bonnes années avant de dénicher un bon emploi. La plupart de ses amis de l'université travaillaient déjà six mois après avoir obtenu leur baccalauréat.
Née au Québec de parents haïtiens, Maudeleine Myrthil attribue son lent décollage professionnel à la couleur de sa peau et aux préjugés qui y sont rattachés.
" Les candidats noirs peuvent passer la première et la deuxième entrevues pour un poste, mais seront rejetés à la troisième, parce qu'on les imagine mal aller prendre une bière avec le reste de l'équipe ", a constaté la jeune femme.
Conseillère au Groupe Pages Jaunes, l'éditeur des annuaires téléphoniques de Bell Canada, Maudeleine Myrthil est aussi vice-présidente de la Jeune Chambre de commerce haïtienne de Montréal.
La recherche d'emploi est particulièrement difficile pour les diplômés en sciences et en génie, a-t-elle pu remarquer. " Au bout du compte, les employeurs recherchent quelqu'un qui fitte avec le reste du groupe ", note-t-elle.
Globalement, les Québécois à la peau noire sont plus diplômés que la moyenne: 14,7 % d'entre eux détiennent un diplôme universitaire, par rapport à 14 % pour l'ensemble de la population. Pourtant, la communauté noire est affligée d'un taux de chômage de 17,1 %- soit plus du double de la moyenne provinciale.
C'est notamment pour corriger cet écart que le Québec se dote d'une nouvelle politique de lutte contre le racisme et la discrimination, a annoncé hier la ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles, Lise Thériault, selon qui l'écart entre le niveau d'instruction et le taux d'emploi des Québécois issus des minorités noires est " anormal ".
Il est dû, entre autres, à la " méfiance, à l'exclusion et au rejet " auxquels sont trop souvent confrontés les Québécois à la peau noire, a dit la ministre. Pour lutter contre ces phénomènes, le gouvernement compte promouvoir l'embauche de membres des minorités visibles dans les entreprises privées. Il veut aussi recenser les employés issus des minorités visibles au sein de la fonction publique- une donnée inexistante actuellement. Enfin, la ministre Thériault ne rejette pas la possibilité de tenir des concours réservés aux membres des minorités visibles pour des postes dans la fonction publique québécoise.
Cette annonce fait suite aux recommandations du Groupe de travail sur la pleine participation à la société québécoise des communautés noires, présidé par la députée Yolande James et rendu public hier à Montréal. Les problèmes d'accès à l'emploi chez les jeunes Noirs sont " alarmants ", a souligné Mme James. Dans son rapport, le Groupe de travail recommande de promouvoir l'embauche de membres des minorités visibles dans les entreprises privées, et de se pencher sur la possibilité d'offrir des emplois réservés aux minorités visibles dans des secteurs de la fonction publique où leur absence est particulièrement criante.
" Les concours réservés sont quelque chose que nous devrions peut-être prendre en considération, dans la mesure où ils seraient acceptés par l'ensemble de la société ", a précisé Mme James. Le gouvernement s'est déjà doté d'un programme d'accès à l'égalité en vertu duquel, à compétence égale, certains postes sont attribués à des membres de toutes les minorités culturelles. Pourtant, faute d'embauche, ceux-ci ne forment toujours qu'une infime part de 3,5 % de la fonction publique.
La portion que représentent les minorités dites " visibles " n'a quant à elle jamais été estimée.
Le Québec compte un peu plus de 150 000 personnes issues des communautés noires, en grande partie d'origine haïtienne. Leur revenu moyen est de 19 450 $, comparativement à un peu plus de 27 000 $ pour l'ensemble de la population. Près de 40 % des familles noires vivent avec un faible revenu, contre 14,6 % de l'ensemble des familles québécoises.