Un dictionnaire dépassé?
Roux, Paul
Q: Beaucoup d'experts de la langue française font souvent allusion au fait que l'ouvrage de M. Dagenais, le Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, est maintenant dépassé à bien des égards. Je sais que le Multidictionnaire est recommandé pour toutes sortes de raisons. Pourtant, un grand nombre de lecteurs de votre chronique soulèvent des problèmes déjà traités par Dagenais. Dans quelle mesure (ou dans quelle proportion) l'ouvrage de Dagenais est-il dépassé? Trop pointu dans certains cas?
Alain Gauthier
Je ne veux surtout pas dire du mal du Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, que j'ai beaucoup étudié, qui m'a beaucoup appris et que je consulte encore à l'occasion avec intérêt. Mais il est vrai qu'il est aujourd'hui dépassé à certains égards. Comme cet ouvrage n'a pas été mis à jour depuis longtemps, on y trouve bon nombre d'emplois condamnés par Dagenais mais aujourd'hui tout à fait passés dans l'usage. La dernière édition de ce dictionnaire date de 1984. C'est beaucoup dans un monde où la langue évolue très vite.
Mais surtout, Dagenais s'était fait le champion d'une norme à la française dont la sévérité paraît aujourd'hui indéfendable. Pour ma part, je demeure convaincu que le français qu'on parle et qu'on écrit chez nous doit rester proche de celui qu'on parle et qu'on écrit dans le reste de la francophonie. Dagenais, lui, allait bien plus loin, estimant que le français doit être identique dans toute la francophonie. " Chaque infraction à la loi générale, écrivait-il, est une faute de français. " Ce qui, on l'avouera, ne laisse pas beaucoup de place aux particularismes québécois. On ne s'étonnera donc pas de le voir rejeter sans appel des termes comme magasiner, magasinage, perdrix, poudrerie ou traversier.
Si vous cherchez aujourd'hui un dictionnaire des difficultés du français au Québec, je vous conseille plutôt le Multidictionnaire. Cet ouvrage fait une large place à nos usages sans pour autant entériner la plupart de nos erreurs (calques de l'anglais, emprunts sémantiques, impropriétés, etc.). Les niveaux de langage sont également bien définis. Les québécismes familiers ou vieillots, par exemple, sont clairement marqués comme tels. Au moment où la plupart de nos linguistes flirtent dangereusement avec le laxisme, le Multidictionnaire reste un ouvrage centriste, susceptible de rallier la majorité des Québécois.
Dictionnaire du joual
Q: J'aimerais savoir s'il existe un quelconque dictionnaire des mots en joual. À quelle référence puis-je recourir pour orthographier correctement en joual?
Brigitte Vandal
L'ouvrage le plus connu est sans doute le Dictionnaire de la langue québécoise, de Léandre Bergeron, qu'on trouve encore en librairie. Vous y trouverez la plupart des mots québécois. Mais ce n'est pas un ouvrage très bien fait. Je vous conseillerais plutôt le Dictionnaire québécois-français, du professeur Lionel Meney, publié par Guérin. Vous y trouverez la plupart des termes québécois, qu'ils soient joualisants ou de bon aloi. Vous y trouverez, outre l'orthographe des mots, leur(s) sens ainsi que leur(s) équivalent(s) en français standard. Il s'agit d'un ouvrage remarquable, que j'ai découvert il y a quelques mois seulement, mais dont je me sers abondamment depuis. Il y a, bien sûr, d'autres ouvrages sur le marché, mais je n'en connais ni la valeur ni l'intérêt. Peut-être des lecteurs se feront-ils un plaisir de nous renseigner, vous et moi.
Parler à travers son chapeau
Q: Est-il vrai que l'expressionparler à travers son chapeaun'est pas française et que c'est un calque de l'anglais? Que devrait-on dire, à la place? Et, comme au Québec, tout le monde comprend ce qu'on veut dire parparler à travers son chapeau, ne serait-il pas correct d'utiliser l'expression qui fait partie de la langue d'ici?
Louise Gagnon
Cette locution est effectivement un calque de to talk through one's hat. En français standard, on dit plutôt parler à tort et à travers, parler sans savoir, parler pour ne rien dire. Dans le Dictionnaire québécois-français, Meney suggère également dire n'importe quoi, dire des bêtises, dire des âneries, dire des balivernes, déconner et débloquer.
Vous vous demandez s'il n'y aurait pas lieu d'accepter ce québécisme, étant donné que tout le monde le comprend. Je n'en suis pas aussi sûr que vous, car on oublie trop souvent que 25 % des Québécois ne sont pas des " pure laine ". Faut-il pour autant condamner tous les emplois calqués sur l'anglais et bien implantés dans notre usage? Non, sans doute. Ma collègue Fabienne Couturier a montré la semaine dernière, sur le blogue Les Amoureux du français, que certains de ces calques s'intègrent bien à notre langue. Mais je reste réticent à entériner des emplois calqués sur l'anglais quand le français, comme c'est le cas ici, dispose de nombreuses solutions de remplacement.
Petits pièges
Voici les pièges de la dernière chronique:
1. Cet acteur est un naturel.
2. Elle se pratique au violon tous les jours.
- La locution c'est un naturel est un calque de it's a natural. En français, elle n'a pas de sens. On la remplacera par des expressions comme il a un talent fou, il a un talent inné, il est bourré de talent, il a tous les talents.
- À la forme pronominale, le verbe se pratiquer a le sens de " être couramment employé ". Mais il constitue un anglicisme au sens de s'exercer, s'entraîner, se préparer ou répéter.
Il aurait donc fallu écrire:
1. Cet acteur a un talent fou.
2. Elle s'exerce au violon tous les jours.
Voici les pièges de cette semaine. Les phrases suivantes comprennent chacune au moins une faute. Quelles sont-elles?
1. Il est sensé être à Québec en ce moment.
2. Quoiqu'on en dise, elle ne changera pas d'idée.
Les réponses la semaine prochaine.
Paul Roux est l'auteur duLexique des difficultés du français dans les médias, aux éditions La Presse. Faites-lui parvenir vos questions, vos suggestions ou vos commentaires par courriel à amoureux@cyberpresse.ca, par la poste au 7, rue Saint-Jacques, Montréal (QC), H2Y 1K9, ou encore en écrivant directement sur la page www.cyberpresse.ca/amoureux