La Presse
Actuel, samedi 18 mars 2006, p. ACTUEL5
SÉRIE: INCREVABLE CUBA
L'après-Fidel se prépare
Président Alarcon?
Hachey, Isabelle
La Havane - Dimanche, 23h. La sonnerie du téléphone retentit dans ma chambre d'hôtel, à La Havane. Au bout du fil, un homme au français parfait me fixe un rendez-vous pour le lendemain. C'est Ricardo Alarcon, l'influent président de l'Assemblée nationale de Cuba.
Pas de secrétaire et, dans le modeste immeuble de l'ouest de la capitale abritant son bureau, pas le moindre contrôle de sécurité. Décidément, celui que plusieurs considèrent comme le successeur de Fidel Castro ne se préoccupe pas plus du protocole que de potentiels assassins.
En entrevue, il tire sur son cigare, étire ses réponses, cite à profusion Kant, Rousseau, Twain et Périclès. Ricardo Alarcon est un pur intellectuel. Ambassadeur de Cuba aux Nations unies pendant près de 15 ans, il est derrière la plupart des succès diplomatiques de l'île communiste- dont les majorités écrasantes obtenues chaque année à l'ONU par les résolutions condamnant l'embargo américain contre Cuba.
Après Castro, il est le politicien cubain le plus connu à l'étranger. Président de l'Assemblée nationale depuis 1993, son influence est énorme. Quand des décisions majeures doivent être prises, surtout concernant les États-Unis, aucune opinion n'a plus de valeur que la sienne, dit-on, aux yeux du Lider Maximo.
Quand on lui demande si le régime survivra à la mort de Fidel, M. Alarcon laisse paraître un brin d'exaspération. " Tous les journalistes supposent que les mêmes vieillards descendus il y a un demi-siècle de la Sierra Maestra continuent à exercer le pouvoir, et que la révolution s'éteindra avec ceux qui l'ont faite. Cela n'a rien à voir avec la réalité. La plupart des dirigeants actuels sont nés après la révolution. Ils n'ont pas connu la clandestinité, ni la Sierra Maestra. À l'Assemblée nationale, l'âge moyen est de 45 ans. "
En coulisses, les préparatifs de la succession vont bon train, soutient M. Alarcon. " Je ne doute pas que la révolution se poursuivra, parce que ses idéaux, sa vision et ses objectifs ne vont pas disparaître, pas plus que la nation cubaine. Il y a plus de gens préparés à prendre des responsabilités qu'à mon époque. Il y a des milliers de cadres très bien entraînés, mieux formés et plus cultivés que ceux de ma génération. "
Il n'y aura pas de nouveau Fidel. Personne n'a l'autorité ou le charisme pour le remplacer. Il reste qu'à 68 ans, Ricardo Alarcon se situe quelque part entre les purs et durs du régime- ces vieillards descendus de la Sierra Maestra- et les technocrates plus modernes, au premier rang desquels figure Carlos Lage, un ancien pédiatre ayant forcé une certaine ouverture économique après la chute de l'Union soviétique. Les deux hommes pourraient unir leurs forces pour contrer l'élite orthodoxe révolutionnaire.
De la démocratie et du Coca-Cola
Certains observateurs croient qu'un éventuel président Alarcon adopterait le modèle chinois: plus d'ouverture économique, mais pas de concessions politiques. D'autres pensent qu'il présiderait à de véritables réformes démocratiques. Pour l'instant, du moins, il s'insurge contre le modèle " fallacieux " de démocratie que l'Occident tente d'imposer au reste du monde. " La démocratie n'est pas un produit de la société de consommation. C'est une insulte à la pensée humaine de la considérer comme du Coca-Cola. "
Fin diplomate, M. Alarcon est sans doute le mieux placé pour enterrer la hache de guerre avec les États-Unis, un pays qu'il connaît bien pour avoir vécu à New York du temps de son passage à l'ONU. Cela ne l'empêche pas d'afficher un air de défi lorsqu'on lui rappelle qu'en 2004, le président George W. Bush a plus ou moins suggéré qu'il pourrait y avoir une intervention militaire à Cuba après la mort de Castro.
" Nous sommes préparés à faire face à n'importe quelle sorte d'agression. Si les États-Unis essaient d'occuper Cuba, ils devront s'attendre à une résistance farouche et très bien organisée partout au pays. Cela dit, avec ce qui se passe en Irak, ce ne serait pas très populaire pour M. Bush d'annoncer une autre intervention... "
Illustration(s) :
Comme cet homme croqué sur le vif dans la vieille Havane, nombreux sont ceux qui s'interrogent sur l'avenir du régime cubain et du pays. Et nombreux sont ceux qui redoutent le pire à la mort de Fidel Castro.
Cet homme est considéré par plusieurs comme le successeur de Fidel Castro. Ambassadeur de Cuba aux Nations unies pendant près de 15 ans, Ricardo Alarcon est derrière la plupart des succès diplomatiques de l'île communiste. Après Castro, il est le politicien cubain le plus connu à l'étranger. Président de l'Assemblée nationale depuis 1993, il exerce une énorme influence.
Catégorie : Société et tendances
Sujet(s) uniforme(s) : Politique extérieure et relations internationales
Taille : Moyen, 551 mots
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Doc. : news·20060318·LA·0062