«Les Etats doivent inclure les maladies du tiers monde dans leurs programmes de recherche»
INTERVIEW • Ruth Dreifuss, ex-présidente de la Confédération helvétique, à propos du rapport commandé par l'OMS pour favoriser l'accès des pays du sud aux médicaments •
par Florent LATRIVE
LIBERATION.FR : mardi 04 avril 2006 - 19:08
C'est désormais une exigence «morale» de faire mentir le slogan «90% de la recherche pharmaceutique vise 10% de la population mondiale», affirme l'ex-présidente de la Confédération helvétique Ruth Dreifuss. Pendant deux ans, elle a présidé pour le compte de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) une commission chargée de proposer des solutions pour réformer un système international de recherche et développement de médicaments qui ne suscite quasiment aucune innovation pour les maladies frappant principalement les pays du Sud, du paludisme à la maladie du sommeil. Un sujet très polémique, à un moment où les grands laboratoires pharmaceutiques défendent âprement leurs brevets sur les traitements, qu'ils affirment indispensables à la découverte de nouveaux médicaments. Le rapport «Santé publique, innovation et droits de propriété intellectuelle» a été publié lundi soir et sera examiné par l'Assemblée générale de l'OMS fin mai. Interview.
Quelle est aujourd'hui la situation de la recherche de nouveaux médicaments à destination des pays du Sud?
On assiste depuis cinq ans à des progrès dans ce domaine. Les Etats-Unis ont modifié leur législation pour permettre au National Institutes of Health (NIH, le grand centre de recherche public sur la santé, ndlr) de financer des recherches qui ne concernent pas les Américains. Il y a l'engagement de certaines fondations charitables, notamment celle de Bill et Melinda Gates. Et la création de plusieurs dizaines de partenariats public-privé qui se consacrent au développement de médicaments, de vaccins et de diagnostics, contre la tuberculose ou la malaria, par exemple. Une dynamique s'est mise en place, avec un débat international sur l'innovation.
Est-ce suffisant?
Non, cela montre que le besoin d'agir était pressant et qu'on ne peut pas laisser les choses aller sur leur pente naturelle. La propriété intellectuelle est incitative s'il y a une marché solvable, or ce n'est pas le cas pour ces maladies. Croire que la recherche de nouveaux médicaments ne peut reposer que sur les brevets et l'espoir d'un retour sur investissement, c'est totalement faux. Même dans les pays développés où le cycle de l'innovation est assuré, les laboratoires ont pu apporter des avancées majeures avec la propriété intellectuelle, mais aussi grâce aux recherches fondamentales financées par les Etats et grâce à l'organisation d'un système de soins et d'assurance maladie qui assure une large demande solvable. Sans ces éléments en amont et en aval, il n'y aurait pas cette innovation.
60% des financements des partenariats public-privé qui se consacrent aux maladies des pays pauvres proviennent de la seule fondation Gates. Est-ce sain?
Il nous parait admirable que de tels efforts soient faits par des donateurs privés, mais cela n'assure pas une pérennité. Les Etats doivent contribuer et inclure dans leurs programmes de recherche les maladies du tiers monde. Il faut plus d'argent pour assurer la pérennité des programmes existants. La plupart des partenariats public-privés en sont aux premières études cliniques, or les coûts les plus importants sont après ces premières phases. Et il faut en plus veiller à ce que l'accès à ces traitements soit assuré.
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