Les négociations sont menées à l'intérieur d'un échéancier général découpé en phases, couvrant environ 18 mois chacune. L'agencement des rencontres est prévu de telle manière que les ministres responsables assument un rôle de supervision politique du processus, tandis que les négociations sont confiées à deux instances: un Comité des négociations commerciales, chapeautant le tout, et neuf Groupes de négociation, avec pour chacun, un pays président et un pays vice-président. Les groupes de négociations sont: l'accès aux marchés, l'agriculture, l'investissement, les services, les marchés publics, les droits de propriété intellectuelle, les subventions, mesures antidumping et droits compensateurs, la politique de la concurrence et le règlement des différends.
À cette structure viennent s'ajouter trois comités spéciaux qui n'ont pas reçu mandat de négocier: un Groupe consultatif sur les économies de petite taille, un Comité de représentants gouvernementaux sur la participation de la société civile, appelé tout simplement Comité du secteur civil, et un Comité d'experts des secteurs public et privé sur le commerce électronique. Ce dernier est particulièrement important en raison des enjeux économiques rattachés à ce secteur et en raison du fait que l'administration Clinton s'était donnée pour ligne de conduite de laisser au secteur privé le soin d'établir lui-même les règles dans ce domaine. Le secteur privé est également très présent dans le processus d'intégration par l'entremise du Forum des Gens d'affaires des Amériques, qui regroupe les milieux d'affaires de chacun des pays sur une base sectorielle, les rencontres se tenant en parallèle aux réunions des ministres du Commerce.
L'intégration économique, pour qui et pourquoi?
Aujourd'hui, 60 % des exportations et un peu moins de 50 % des importations totales des 34 pays se font à l'intérieur des Amériques, contre 48 % et 41 % il y a dix ans. À eux seuls, les États-Unis concentrent plus de 45 % de leurs exportations, près de 38 % de leurs importations et près du tiers de tous leurs investissements directs à l'étranger dans l'hémisphère. À l'intérieur des accords régionaux, les échanges entre les pays ont également progressé rapidement depuis dix ans; les deux cas les plus exemplaires étant celui de l'ALENA et celui du MERCOSUR. Dans le premier cas, les exportations intra-régionales sont passées entre 1990 et 2000, de 43 à 56 %, et les importations de 33,5 % à 43 %. Dans le cas du MERCOSUR, on est passé de 9 % à 24 % pour les exportations et de 15 % à 21 % pour les importations.
À y regarder de plus près, les choses sont plus complexes, car il s'agit d'intégrer des économies dont la taille et le niveau de développement sont fort disparates. À eux seuls, les États-Unis représentent près de 77 % du PIB total des Amériques et plus de 62 % de toutes les exportations du continent. Le Brésil, le Canada et le Mexique comptent, respectivement, pour 6 %, 5 % et 4 % du PIB des Amériques. À l'autre bout, le Nicaragua et Haïti comptent ensemble pour 1/2000e du même total. L'ALENA et le MERCOSUR comptent, respectivement pour 89 % et 11 % du total, et les autres blocs régionaux pour moins de 1 %!
Autre réalité, malgré les réformes poursuivies avec persévérance depuis plus de deux décennies, les économies d'Amérique latine et des Caraïbes éprouvent toujours autant de difficultés à trouver les voies d'une croissance économique vigoureuse, stable et compétitive. La croissance économique n'a été en moyenne que de 3,3 % pendant la dernière décennie et le PIB par habitant n'a augmenté que de 1,5 %,- progrès, certes, par rapport à la décennie précédente- pendant laquelle le PIB avait augmenté en moyenne d'à peine 1,2 % et le PIB par habitant baissé de- 0,9 %, mais insuffisant tant du point de vue de la croissance que de celui de l'amélioration du niveau de vie. Et encore, il ne s'agit là que de moyennes qui masquent des différences, parfois très grandes, d'un pays à l'autre, et surtout de profondes inégalités dans la répartition des richesses.
Le commerce est extrêmement polarisé sur les États-Unis, ce qui fait d'eux, à l'image du moyeu et des rayons, le seul centre de gravité des Amériques. Les pays qui n'ont pas les États-Unis comme premier partenaire commercial sont l'exception; ce sont l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay. Qui plus est, le troisième partenaire commercial en importance des États-Unis sur le continent est le Brésil, qui se place au 14e rang avec des exportations de l'ordre de 14 milliards de $ américains en 2000, contre 155,6 milliards, pour le Canada et plus de 100 milliards pour le Mexique. Alors que de petits pays comme St-Vincent-Grenadine ou Dominique, se classent respectivement, au 159e et 162e rang dans le commerce total des États-Unis, avec des exportations de l'ordre de 40 millions de dollars, un chiffre dont on prendra la mesure en rappelant que leurs deux premiers partenaires commerciaux, le Canada et le Mexique, ont exporté l'année dernière pour près de 230 et 135 milliards de dollars chacun.
Que dire enfin des nombreux accords régionaux qui, pour avoir favorisé le rapprochement économique des pays participants, n'en montrent pas moins des limites évidentes, faute de réelles complémentarités économiques entre les pays dans la plupart des cas. Même dans le MERCOSUR, aujourd'hui en proie à des difficultés majeures, les résultats sont loin d'être à la hauteur des attentes, alors que la part du commerce intra-régional reste inférieure à celle que le bloc réalise avec l'ALENA. Les données pour les autres blocs régionaux sont plus significatives encore: les exportations intra-régionales représentent à peine 9 % des exportations totales dans le cas de la Communauté andine, 21 % dans le cas du Marché commun centraméricain, 15 % dans celui des pays du Caricom. En comparaison, c'est près de 50 % des exportations de la Communauté andine, 45 % des exportations du Marché commun centre-américain et près de 41 % des exportations du CARICOM qui vont vers l'ALENA.
L'image qui se dégage de ce panorama est celle d'une Amérique morcelée, enfermée dans un processus d'intégration asymétrique et polarisé sur les États-Unis. Dans un tel contexte, les enjeux reliés au projet des Amériques ne peuvent être les mêmes pour les États-Unis, puissance hégémonique sur le continent comme dans le monde, et pour les autres pays du continent, le Canada y compris.
Le Sommet de Québec
Pour le moment, chacun fait cavalier seul dans ce projet et affronte les États-Unis en négociant un accès à leur marché sans mesurer toutes les conséquences de cette dépendance accrue sur ses propres options économiques et sur son modèle de développement. L'effet de cette approche est double: elle accélère la globalisation de l' économie des États-Unis et, à l'inverse, elle contraint tous leurs partenaires à brader le peu de latitude qui leur reste contre une sécurité d'accès au marché du Nord.
À Québec, on peut s'attendre à ce que les États-Unis tentent de reprendre en mains un dossier qui n'a pas beaucoup progressé depuis le sommet précédent et cherchent à isoler le Brésil, le seul pays à avoir encore pour le moment un peu de poids et de marge de manoeuvre pour prétendre faire valoir une vision différente de l'intégration des Amériques.
Par ailleurs, en proposant de mettre en place des institutions inspirées du modèle européen, le président et le ministre des Affaires étrangères du Mexique, Vicente Fox et Jorge Castaneda, ont sans doute soulevé le couvercle d'une boîte de Pandore, qui a d'ailleurs vite été refermé par les États-Unis et par le Canada. Mais la proposition n'aurait-elle pas méritée d'être reçue moins cavalièrement? Surtout de la part du Canada, un pays qui entend imprimer ses valeurs dans les futures institutions des Amériques et qui a jusqu'à maintenant raté toutes les occasions de le faire.
MM. Brunelle et Deblock sont respectivement professeur au département de sociologie et professeur titulaire au département de science politique de l'UQAM; de son côté Mme Vaillancourt est étudiante au baccalauréat en science politique à l'UQAM. Les auteurs font partie du Groupe de recherche sur l'intégration continentale (CEIM) à l'UQAM.
Illustration(s) :
En octobre 1992, le président américain George Bush (au centre), le président mexicain Carlos Salinas (à gauche) et le premier ministre canadien, Brian Mulroney, signaient à San Antonio, au Texas, l'Accord de libre-échange nord-américain.
Catégorie : Éditorial et opinions
Lieu(x) géographique(s) - La Presse : Amérique; ZLEA
Type(s) d'article : Dossier; Opinion; Illustration, photo, etc.
Taille : Long, 1767 mots
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Doc. : news·20010404·LA·0047