Noam Chomsky et le Lobby pro-israélien : Quatorze thèses erronées
La longue histoire du déni par Chomsky du pouvoir et du rôle joué par le lobby pro-israélien dans la formation décisive de la politique moyen-orientale des Etats-Unis a atteint un point culminant, récemment, lorsqu'il a joint sa voix à la machine à propagande sioniste des Etats-Unis, en attaquant une étude faisant la critique du lobby israélien.
Je fais ici référence à l'essai publié par la London Review of Books, intitulé "Le Lobby israélien et la politique étrangère des Etats-Unis" co-rédigé par le Professeur John Mearsheimer et le Professeur Stephan Walt.
Par James Petras
“… Des réactions réflexes qui, ordinairement, volent automatiquement au secours d'un débat ouvert et de la liberté d'investiguer sont supprimés – tout du moins dans la majorité de l'élite politique américaine – dès lors qu'il est question d'Israël et, par-dessus tout, du rôle joué par le lobby pro-israélien dans la détermination de la politique étrangère des Etats-Unis…
Le chantage moral – la peur que toute remise en question de la politique israélienne et du soutien que lui apportent les Etats-Unis n'entraîne des accusations d'antisémitisme – représente une puissante dissuasion de publier des opinions iconoclastes. Cela conduit aussi à la réduction au silence du débat politique sur les campus des universités américaines, en partie en raison de campagnes ciblées contre les rares fortes têtes…
Rien, de surcroît, ne porte plus atteinte aux intérêts des Etats-Unis que l'incapacité à avoir un débat correct au sujet du conflit israélo-palestinien…
Contraindre les Américains à un consensus au sujet de la politique israélienne est mauvais pour Israël, et empêche les Américains de formuler leurs propres intérêts nationaux… “ [Editorial du Financial Times, samedi 1er avril 2006]
Introduction
Noam Chomsky a été qualifié d'intellectuel phare des Etats-Unis par la plupart des mandarins universitaires et même certains secteurs des mass media.
Il bénéficie d'une large audience dans le monde entier, en particulier dans les milieux universitaires, en grande partie en raison de ses critiques acerbes et fortes contre la politique étrangère américaine et beaucoup des injustices qui en découlent.
Chomsky a néanmoins été traîné dans la boue par toutes les grandes organisations et tous les grands médias juifs et pro-israéliens, en raison de ses critiques de la politique israélienne envers les Palestiniens.
Et le fait qu'il défende le droit à l'existence de l'Etat sioniste d'Israël ne fait rien à l'affaire.
En dépit de sa réputation respectable, que lui doivent son instruction, sa dissection par le menu et sa dénonciation de l'hypocrisie des régimes américain et européens, ainsi que la finesse de son analyse des tromperies intellectuelles des apologues de l'impérialisme, ces vertus analytiques disparaissent totalement lorsqu'il s'agit de discuter de la genèse de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient, et tout particulièrement du rôle que joue le groupe ethnique auquel il appartient, à savoir le lobby juif pro-israélien et ses soutiens sionistes au sein du gouvernement.
Cette cécité politique n'est ni sans précédent, ni rare.
En effet, l'histoire regorge de ces intellectuels extrêmement critiques envers tous les impérialismes – sauf le leur propre – et impitoyables pour tous les abus de pouvoir commis par d'autres – mais pas pour ceux perpétrés par leurs congénères.
La longue histoire du déni par Chomsky du pouvoir et du rôle joué par le lobby pro-israélien dans la formation décisive de la politique moyen-orientale des Etats-Unis a atteint un point culminant, récemment, lorsqu'il a joint sa voix à la machine à propagande sioniste des Etats-Unis, en attaquant une étude faisant la critique du lobby israélien.
Je fais ici référence à l'essai publié par la London Review of Books, intitulé "Le Lobby israélien et la politique étrangère des Etats-Unis" [The Israel Lobby and US Foreign Policy], co-rédigé par le Professeur John Mearsheimer, de l'Université de Chicago et le Professeur Stephan Walt, le doyen évincé de la Kennedy School of Government de l'Université d'Harvard [Une version complète de cette étude a été publiée par la Kennedy School of Government en mars 2006].
Les discours et les écrits de Chomsky consacrés au Lobby affirment plusieurs propositions éminemment douteuses :
1) Le lobby pro-israélien ne se différencierait en rien des autres lobbies ; il n'aurait ni influence particulière, ni place indue dans la politique des Etats-Unis ;
2) Le pouvoir des groupes qui soutiennent le lobby israélien ne serait pas plus important que celui d'autres groupes de pression influents ;
3) Si le programme du Lobby connaît le succès, c'est parce qu'il coïnciderait avec les intérêts des puissants du moment et avec ceux de l'Etat américain ;
4) La faiblesse du Lobby serait démontrée par le fait qu'Israël ne serait qu'un "simple outil" pour la construction de l'empire américain, utilisé quand on en a besoin, et marginalisé quand ce n'est pas le cas ;
5) Les principales forces qui modèleraient la politique moyen-orientale des Etats-Unis seraient les "gros intérêts pétroliers" [‘Big Oil'] et le "complexe militaro-industriel", ni l'un ni l'autre n'étant connecté au Lobby pro-israélien ;
6) Les intérêts des Etats-Unis coïncideraient, pour l'essentiel, avec ceux d'Israël ;
7) La guerre contre l'Irak, les menaces contre la Syrie et l'Iran… seraient essentiellement des produits des "intérêts pétroliers" et du "complexe militaro-industriel", et absolument pas le résultat du rôle joué par le lobby pro-israélien ou ses collaborateurs au sein du Pentagone et dans d'autres instances gouvernementales…
Bien qu'en général Chomsky s'abstienne délibérément de dénoncer spécifiquement le lobby pro-israélien dans ses discours, dans ses interviews et dans ses publications où il analyse la politique américaine vis-à-vis du Moyen-Orient, les très rares fois où il le fait, c'est en recourant au répertoire décliné ci-dessus.
Le problème de la guerre et de la paix au Moyen-Orient et le rôle du lobby israélien sont choses bien trop sérieuses pour être marginalisées comme s'il s'agissait d'arrière-pensées. M
ais il y a plus grave : la censure qui s'exerce de plus en plus à l'encontre de notre liberté d'expression et l'érosion de nos libertés civiques et de notre liberté académique par un lobby agressif bénéficiant de soutiens puissants tant dans le pouvoir législatif qu'à la Maison Blanche menacent notre démocratie, déjà sérieusement écornée.
Il nous incombe, par conséquent, d'examiner les quatorze thèses erronée de l'éminemment respecté Professeur Chomsky, afin d'aller de l'avant et d'affronter les menaces que représente le Lobby pour la paix, à l'extérieur, et nos libertés civiques, à l'intérieur des Etats-Unis.
Quatorze thèses à dormir debout
1) Chomsky affirme que le Lobby ne serait qu'un lobby parmi d'autres, comme il en existe beaucoup, à Washington.
Ce faisant, il ignore que le lobby s'est assuré des plus confortables majorités au Congrès en faveur de l'allocation à Israël du triple des aides internationales annuelles destinées à l'ensemble de l'Afrique, de l'Asie et de l'Amérique latine (pour un montant de plus de 100 milliards de dollars sur les quarante années écoulées).
Le Lobby dispose de cent cinquante fonctionnaires à plein-temps qui travaillent à l'AIPAC (American-Israel Public Affairs Committee), secondés par une armée de lobbyistes de toutes les grandes organisations juives (Anti-Defamation League, American Jewish Committee, American Jewish Congress, etc.) et par les fédérations juives nationales, régionales et locales, qui suivent fidèlement la ligne des "grandes" et sont actives dans le monde politique et dans l'opinion locale au sujet d'Israël, assurant la promotion et le financement de candidats législateurs sur la base de leur adhésion à la ligne du parti définie par le Lobby.
Aucun autre lobby n'associe de cette manière la richesse, les réseaux d'influence jusqu'aux fondements de la société, l'accès aux médias, le levier législatif et l'objectif obsessionnel propre au lobby pro-israélien.
2) Chomsky n'analyse pas les majorités quasi unanimes au Congrès, qui soutiennent année après année tous les privilèges et les aides promus par le Lobby en faveur d'Israël, en matière militaire, économique et migratoire.
Il se garde bien d'étudier la liste des cent initiatives parlementaires couronnées de succès que publie pourtant chaque année l'Aipac, même durant les années marquées par la crise budgétaire, la désintégration des budgets intérieurs destinés à la santé et les pertes en hommes générées par la guerre.
3) L'attribution, relevant du cliché, des objectifs de la guerre aux "grossiums du pétrole", à laquelle procède Chomsky, est totalement infondée. En réalité, les guerres moyen-orientales des Etats-Unis obèrent leurs intérêts pétroliers à plusieurs titres, notamment stratégiques.
Les guerres génèrent une hostilité généralisée envers les compagnies pétrolières entretenant des relations sur le long terme avec des pays arabes. Les guerres (dites "américaines") ont pour résultat de saper la conclusion de nouveaux contrats dans des pays arabes, pour des investissements pétroliers américains.
Les compagnies pétrolières américaines sont bien plus favorables à une résolution pacifique des conflits que ne l'est Israël, et tout particulièrement ses Lobbyistes : toutes les revues spécialisées et tous les porte-parole de l'industrie pétrolière y insistent. Chomsky choisit d'ignorer totalement les activités et la propagande pro-guerre des organisations juives pro-israéliennes et l'absence de propos favorables à la guerre, en revanche, dans les médias de "Big Oil" [les magnats du pétrole, ndt].
Il ignore, de la même manière, la tentative déployée par ces médias de "Big Oil" afin de préserver des liens avec des régimes arabes opposés aux ambitions hégémoniques belliqueuses d'Israël.
Contrairement à ce qu'affirme Chomsky, en allant faire la guerre au Moyen-Orient, les Etats-Unis sacrifient les intérêts vitaux des compagnies pétrolières au profit de la quête israélienne d'hégémonie au Moyen-Orient, sur l'injonction et au profit du Lobby pro-israélien.
Dans la compétition des lobbies, il n'y a absolument pas photo entre le bloc de pouvoir pro-israélien et les compagnies pétrolières, quand il s'agit de favoriser les intérêts israéliens au détriment des intérêts pétroliers, qu'il s'agisse de guerre, ou de contrats pétroliers.
Chomsky n'examine jamais la force relative des deux lobbies en ce qui concerne la détermination de la politique moyen-orientale des Etats-Unis.
En général, ce chercheur habituellement actif à exhumer une documentation quasi introuvable, est particulièrement relax dès lors qu'il s'agirait de dévoiler des documents pourtant d'ores et déjà disponibles, qui anéantissent ses assertions au sujet de Big Oil et du Lobby israélien.