Le Canard Enchaîné du 22 février 2006
Sarko conseiller en recrutement
pour la rédaction d'Europe 1
Elkabbach l'a consulté pour embaucher un journaliste politique.
Léger malaise au sein de la rédaction d'Europe 1. Les journalistes de la radio
du groupe
Lagardère viennent de découvrir fortuitement que leur patron, Jean-Pierre
Elkabbach,
consultait un drôle d'expert pour l'aider à recruter ses journalistes: le
président de l'UMP
Nicolas Sarkozy.
L'affaire, « qui ne pèse pas lourd », comme l'a dit sans rire Elkabbach au «
Canard »,
débute il y a une dizaine de jours. La station recherche depuis plusieurs
semaines
quelqu'un pour remplacer la journaliste politique Caroline Roux, spécialiste
de l'UMP,
laquelle « suivait » Sarko pour Europe 1 avant de partir à Canal+. Des membres
de la
rédaction apprennent alors que leur président aurait téléphoné à Sarko pour
lui demander
conseil. Ils pensent d'abord à une mauvaise blague...
Or voilà que vendredi 10 février le ministre de l'Intérieur embarque une
journaliste du
service économique d'Europe 1 et quelques confrères d'autres rédactions dans
l'avion qui
l'emmène à Chamonix. Au cours du voyage, Sarko interroge la jeune femme pour
savoir si
c'est elle qui doit remplacer Caroline Roux et suivre sa future campagne
présidentielle.
Réponse négative. La conversation s'engage alors sur le sujet et un autre
journaliste
présent dans l'avion demande franco à Sarko s'il est vrai qu'Elkabbach l'a
consulté à
propos de ce remplacement.
Pas gêné le moins du monde, le ministre lui rétorque: « Bien sûr. Et c'est
normal. (...) J'ai
été ministre de la Communication. Je suis ça de près, ça fait aussi partie du
travail
politique. » Et ce conseiller spécial en com' d'enfoncer le clou: « Si vous
saviez. Il n'y a
pas qu'Elkabbach qui fait cela... » Voilà qui confirme les bonnes moeurs en
vigueur entre
la presse et les politiques...
Brasse coulée
Retour à Paris. Lundi 13 février, la confidence de Sarko fait le tour d'Europe
1. La
rédaction jase. Le contexte s'y prête: depuis le clash provoqué par la photo
de Cécilia et
Richard Attias à la une de « Match », les dirigeants du groupe de presse
Lagardère évitent
de contrarier le ministre de l'Intérieur. Au point, par exemple, de censurer
dans ce même
hebdo, comme « Le Canard » l'a raconté, une phrase de l'interview de Yannick
Noah qui
aurait pu défriser Sarko... Résultat : jeudi 16, Elkabbach doit se fendre
d'une mise au point
auprès des journalistes d'Europe 1. Il déboule à la conférence de rédaction de
15 heures
et, mal à l'aise, reconnaît les faits. Puis il se lance dans une improbable
explication, selon
laquelle il serait « normal de consulter les politiques » pour « justement
recruter des
journalistes pas trop près du pouvoir ». Autant dire que dans l'assistance on
a dû se
mordre les lèvres pour ne pas se poiler...
Contacté par « Le Canard », Elkabbach a resservi le même laïus: « Quand je
recrute, je
tends l'oreille, j'écoute. (...) J'examine les CV, j'en parle avec
l'état-major de la rédaction.
(...) J'en parle aussi avec des responsables de presse, des associations, des
syndicats et
des responsables politiques de toutes tendances. » Promis juré! Et de conclure
noblement: « C'est la démarche classique de tout chef d'entreprise pour
choisir les
meilleurs, les plus libres et les plus indépendants. »
À tu et à toi
Dans la même veine, le patron d'Europe 1 raconte: « J'ai dit à Nicolas Sarkozy
: "Est-ce
que tu connais, dans la nouvelle génération qui émerge, qui sont les meilleurs
?" Il m'a
donné deux ou trois noms qui étaient déjà dans ma liste... » La conclusion
est, comme par
hasard, une merveille de logique à la Elkabbach: « D'ailleurs, ces noms-là,
ils ne seront
pas retenus. Je ne vais quand même pas demander à Sarko qui il se choisit, ce
serait
aberrant! » Eh oui...
Petite précision. Lors de sa mise au point, à la conférence de rédaction,
Elkabbach avait
pesté: « Cette histoire va à coup sûr se retrouver dans "Le Canard enchaîné"
». Ce « chef
d'entreprise » possède au moins cette qualité: il a le nez creux.
Christophe Nobili