Taxer la malbouffe?

Gagné, Pierre-Paul

Il faut avoir été fumeur compulsif comme je l'ai été, émule du défunt premier ministre René Lévesque, moi qui fumais naguère trois paquets de cigarettes par jour, pour avoir bien saisi par quels tourments sont passés tous les fumeurs endurcis, ces dernières années, quand la lutte contre le tabac est devenue la croisade que l'on a connue.

Aujourd'hui, le tabagisme est repoussé dans ses derniers retranchements et le dernier débat qui subsiste ne porte plus du tout sur la cigarette elle-même, mais plutôt sur la liberté de chacun. Celle de fumer contre celle de ne pas être emboucané par la fumée des autres. En prime, ce débat en a fait naître un tout autre, celui-là sur l'intolérance.

En réalité, il y a aussi un troisième débat en cours, qui porte quant à lui sur le choix que l'on a de se détruire et d'occasionner du même coup des dépenses au reste de la société en soins de santé et en impôts supplémentaires à payer.

Dans cette optique et comme pour la cigarette à compter des années 80, on sent maintenant que la mauvaise alimentation, particulièrement la malbouffe, va occuper une bonne partie du discours public au cours des prochaines années. Chez nos lecteurs, cela est déjà commencé:

" Il est urgent de sortir la malbouffe de nos écoles. L'école est un milieu de formation. Un cours sur l'alimentation serait nécessaire pour rendre les jeunes conscients que leur santé est leur responsabilité. À mon avis, il est urgent d'agir, il n'est qu'à observer l'augmentation du nombre d'obèses dans la société. " (Lucie Gaudreault)

" Que font nos élus pour faire face au défi de santé que représenteront les jeunes vieillards dans quelques années? Malbouffe combinée à un manque d'exercice font en sorte que les jeunes d'aujourd'hui seront en moins bonne santé dans quelques années que leurs aînés. Que représenteront en termes de coûts de soins de santé ces jeunes vieillards? " (Alain Cossette, Drummondville)

" Il y a 20 ans, l'ennemi no 1 de la population était le tabagisme. Aujourd'hui l'obésité a dérobé cette première place. Taxer la malbouffe accomplirait deux objectifs louables. D'une part, pénaliser la délinquance alimentaire m'apparaît socialement équitable. D'autre part, l'augmentation des prix réduirait la part de marché de la malbouffe et incidemment les coûts du système de santé. " (Romain Gagnon, Montréal)

Taxer la malbouffe! Voilà un bien beau débat lancé, une balle qu'a bien saisie au bond un autre de nos lecteurs en désaccord avec ce dernier point de vue:

" Maintenant que les talibans de la santé ont gagné la guerre contre le tabagisme, voilà que de nouveaux clercs font désormais la guerre à l'obésité. Pour faire échec à l'obésité, " taxons la malbouffe! ", écrivait un lecteur récemment. En poursuivant sa logique qui est de " pénaliser un individu qui adopte sciemment des habitudes de vie qui causent préjudice à sa santé ", on devrait également taxer tout ce qui a rapport aux comportements sexuels à risque, puis taxer tout ce qui a rapport aux sports, à la construction, à la vieillesse, etc. " (Alain Dupuis)

Au-delà des exagérations de part et d'autre, il reste que la réalité concernant certains dommages que peut causer une mauvaise alimentation rattrape désormais l'industrie agro-alimentaire, qui devra s'ajuster, comme le prédit le chercheur en distribution et sécurité alimentaire Sylvain Charlebois, qui nous écrit: " L'industrie de la malbouffe est dorénavant vouée au même destin que l'industrie du tabac. Déjà lourdement pourfendue par nombre de législateurs publics et consommateurs dans le monde, l'industrie de l'alimentation sera tenue de réformer ses stratégies marketing à brève échéance. "

En arrivera-t-on, comme cela est commencé aux États-Unis, à poursuivre telle compagnie alimentaire ou telle chaîne de restauration rapide à cause de notre tour de taille? Cela sera sans doute inévitable, mais déjà s'élèvent des voix pour faire appel à la responsabilisation individuelle:

" Qu'attend-on pour intenter des recours contre certains restaurants, contre les compagnies et épiceries qui vendent des produits qui sont néfastes pour notre santé, contre les publicitaires qui nous bombardent d'incitations à consommer ces denrées qui nous sont nuisibles? De nos jours, la tendance est malheureusement à déresponsabiliser les citoyens. Tout est prétexte à rejeter la faute sur l'autre. Citoyens, prenons nos responsabilités! " (Liliane Séguin)