Analyse théorique de la crise des missiles de Cuba: réalisme versus idéalisme
La crise des missiles de Cuba constitue la période de la Guerre froide où les plus fortes tensions entre les États-Unis et l’U.R.S.S. se firent sentir. La Guerre froide fut tout d’abord caractérisée par des affrontements indirects entre ces deux puissances impérialistes ce qui a donné naissance à un monde bipolaire entre deux idéologies différentes : le communisme et le capitalisme.
La crise des missiles cubains amena l’humanité entière au bord du gouffre. La possibilité qu’une guerre nucléaire puisse éclater n’était plus une idée fictive des films les plus sensationnels. Cette éventualité faisait maintenant partie du vocabulaire quotidien des politiciens impliqués.
En 1961, les Américains anti Castro débarquent sur l’île de Cuba dans la baie des cochons. L’attaque fut un échec sanglant pour les États-Unis. Suite à cet événement, l’U.R.S.S. décide, avec l’accord de Castro, d’implanter des armes sur l’île cubaine. Ainsi, l’arme atomique est transportée. Lors d’une incursion aérienne américaine, les États-Unis apprennent que Cuba possèdent des rampes de lancement d’armes nucléaires et de missiles à moyennes portées.
Le 22 octobre, John F. Kennedy déclara l’imposition du blocus militaire autour de Cuba, un vent de panique se fit sentir partout au monde. Pendant ces jours fiévreux, il n’en tenait qu’à John F. Kennedy ainsi qu’à Nikita Kroutchev s’ils préféraient la guerre ou la paix. Mais que ce soit d’un côté ou de l’autre, les armements étaient prêts. Pendant que sur l’île cubaine, l’installation des armements se faisait à un rythme fulgurant, du côté américain, une force d’invasion jamais vue auparavant était mobilisée en Floride.
Afin de nous permettre de mieux comprendre et expliquer la crise des missiles de Cuba en 1962, nous tenterons d’établir le sens des relations entre les États-Unis et l’U.R.S.S. ainsi que les rapports entre les phénomènes existants pendant le conflit par le biais d’approches théoriques en Relations internationales. Concrètement, deux approches retiendront notre attention pour l’analyse de cette crise. D’une part, nous entreprendrons une analyse selon le réalisme classique qui prétend voir les relations politiques tels qu’elles sont et non comme nous voudrions qu’elles soient. D’autre part, nous aborderons le conflit selon la vision libérale où la vision de la liberté est primordiale. Cette approche accorde aussi énormément d’importance à la raison humaine et, par conséquent, toute analyse libérale des Relations internationales est à priori basée sur cette prémisse du choix rationnel. Laissons les approches parler.
Réalisme classique : les relations internationales telles qu’elles sont
Les tenants du réalisme classique s’inspirent des prémisses de philosophes tels que Thucydide, Thomas Hobbes et Nicolo Machiavelli pour analyser la crise des missiles de Cuba ainsi que tout ce qui sous-tend ces treize jours fatidiques.
Ainsi, pour comprendre la vision des relations internationales selon le réalisme classique, il faut comprendre les attributs de la nature humaine. En fait, ce qu’il faut retenir, et que les réalistes utiliseront pour décrire le système mondial, est que le comportement humain n’est motivé que par ses intérêts propres, et ce, d’une façon continue même si parfois les intentions ne semblent pas si égoïstes. En effet, selon Thomas Hobbes, l’Homme est naturellement méchant et égoïste : il n’effectue aucun geste désintéressé. Cette caractéristique fondamentale sert son instinct de conservation . Cela étant, si aucun pouvoir supérieur commun n’existe, les Hommes sont condamnés à cette condition guerrière : « une guerre de chacun contre chacun car, à l’état de nature, l’homme est un loup pour l’homme . »
Le système international suit le même ordre d’idées. À priori, le réalisme classique aborde les relations internationales comme étant une scène d’États formant un tout : le système international. Les États en sont les acteurs principaux; toute autre organisation ne fait pas le poids sur la scène internationale. Un État, pour pouvoir porter ce titre, doit posséder un gouvernement gérant un territoire légal avec des frontières reconnues et possédant une population; il doit détenir le monopole sur la force légitime à apporter et jouit du principe de souveraineté étatique. Internationalement, l’État est indépendant. Par conséquent, l’analyse réaliste de la crise de Cuba portera majoritairement sur les États que sont les États-Unis, l’U.R.S.S., Cuba et les autres pays qui ont, directement ou indirectement, influencé le déroulement de ce conflit.
N’ayant aucune autorité suprême pouvant garantir la souveraineté et la sécurité des États, le système international est naturellement anarchique. Sans vivre dans le chaos total, les États sont dans « l’état de nature » décrite par Hobbes et cela aura des conséquences sur le comportement des États : ils vivront dans un état de guerre quasi-permanent amené par la « compétition de tous contre tous ». Ici, Hobbes fait aussi état du droit de guerre, que chaque État peut utiliser qui constitue la cause et la conséquence de l’état de nature. En effet, chaque État est en droit d’instituer ses règles pour légitimer son recours à la guerre , car le rôle des États dans le système international est de lutter contre cette anarchie . En 1972, John Fitzgerald Kennedy, alors président des États-Unis, et Kroutchev, son égal soviétique, se sont retrouvés à cette limite où l’on passe d’une guerre froide à une guerre chaude; l’U.R.S.S. ayant dictée ses propres règles à cette descente précipitée à cette quasi-guerre.
En fait, le conflit débute concrètement au mois d’octobre 1962 quand les États-Unis s’aperçoivent que l’U.R.S.S. implante du matériel militaire à Cuba. Rien de surprenant, disent les réalistes, puisque le système international est le lieu où les États, principalement les grandes puissances, sont en lutte pour accroître leur puissance et leur sécurité. La puissance, en termes réalistes, correspond, en grande partie, à la possession de ressources matérielles militaires et humaines . En fait, cette notion de puissance emprunte souvent un sens plus large en parlant de « capacité physique » d’imposer ses intérêts aux autres États dans le système international. De plus, ce calcul de la capacité s’effectue en comparaison avec celle des autres États. Aussi, la puissance se pratique entre plusieurs entités étatiques. Ainsi, en introduisant des missiles, radars, navires de guerre, rampes de lancement de missiles nucléaires ainsi que près de 42 000 militaires à Cuba, l’U.R.S.S. tentait de renverser le statut quo de l’impérialisme américain en augmentant, à l’insu des États-Unis, leur puissance militaire dans le système international et ainsi augmenter leur puissance militaire stratégique face à celle des États-Unis. Ici, l’U.R.S.S. agissait simplement en fonction de ses intérêts nationaux, c’est-à-dire la préservation ou la croissance de sa puissance nationale. « Pour Kroutchev, une conclusion s’imposait : pour être pris au sérieux par les États-Unis et pour améliorer les relations avec Washington, il fallait développer les arsenaux nucléaires . »
En d’autres termes, cela correspond à l’objectif ultime de tous les États qu’est leur survie à l’intérieur du système international et que celle-ci est assurée principalement par leur puissance puisqu’il n’existe aucune autorité supérieure aux États. La notion de puissance des réalistes est très importante puisque les autres variables sociales ne sont pas prises en considération . Les États ont tendance à comparer leur puissance à celle de leurs voisins terrestres . Ainsi, ils se classent l’un par rapport aux autres tout comme l’U.R.S.S. s’est classée en comparaison des États-Unis ce qui a déclenché ce conflit.
L’U.R.S.S., en prenant la décision par elle-même de déployer des armes à Cuba, respecte un autre principe fondamental du réalisme, c’est-à-dire servir ses intérêts soi-même : « each state must take care of itself . » C’est un élément essentiel pour un État qui veut assurer sa sécurité. En effet, le devoir de tous les États est d’assurer la protection de ses citoyens. Par contre, ce principe d’action créera de l’insécurité chez les autres voisins étatiques qui, souvenons-nous, possèdent le même but ultime : la protection de sa population. C’est en ce sens que les États-Unis se sont sentis menacés. Toutes les armes apportées dans un pays géographiquement près du territoire américain et, en plus, hostile à ce dernier mettaient en danger le peuple étasunien.
En effet, selon la théorie hobbésienne, et que nous pouvons transposer au niveau mondial, il existe trois principales causes de conflits.
Premièrement, les États sont toujours en quête de profit, en termes réalistes, de puissance. Les États poursuivent toujours une expansion perpétuelle. Selon Morgenthau, cette propension à accroître sa puissance et à dominer prend ses origines dans la nature humaine .
Pendant que l’U.R.S.S. recherchait l’accroissement de leur puissance, l’insécurité est incessante et c’est ainsi que naît la méfiance : deuxième cause de querelle chez Hobbes. Suite à l’installation de missiles soviétiques à Cuba, les États-Unis se sont sentis menacés puisqu’un changement dans la distribution de la puissance des États du monde représente une menace directe à l’empire que représentait ce pays d’Amérique. C’est aussi par ce sentiment d’insécurité que Moscou décidait de déployer des missiles à Cuba et cela s’explique par les événements survenant avant cette crise. De fait, depuis 1950, les Soviétiques ont encaissé plusieurs coups qui ont fait augmenter ce sentiment d’insécurité. Tout d’abord, les violations incessantes de la souveraineté étatique soviétique par les Américains avec les vols d’avions espions U-2, l’installation de missiles de l’OTAN en Turquie, le sommet de Vienne ainsi que les États-Unis qui reprennent leurs essais nucléaires en 1961 montrent, aux yeux des Soviétiques, l’impérialisme américain et la faiblesse stratégique de l’U.R.S.S. face à ces faits . Face à ces réalités, l’U.R.S.S. se sent menacée.
Finalement, le troisième motif de querelle est le sentiment de fierté, la réputation des États sur la scène mondiale . Ce dernier aspect est très important pour le président Kroutchev qui sentait la notoriété soviétique menacée. « À ce stade, la confrontation Est-Ouest revêt une composante nucléaire, mais surtout psychologique où statut, prestige et réputation deviennent des enjeux déterminants . » Les États-Unis tiennent aussi à leur réputation, mais elle « ne vise pas seulement son adversaire, elle touche simultanément ses alliés » : les membres du Traité de l’Atlantique Nord (O.T.A.N.).