Immigration économique choisie : pillage des compétences et des talents du Tiers-monde ?
Le gouvernement français vient de présenter un projet de loi visant notamment à instaurer une immigration plus sélective, opérée en fonction des besoins de la France. Analyse de cette décision
Par Roland Portella
Les faits
Le gouvernement français a présenté jeudi 9 février un avant projet de loi sur une immigration choisie.
La nouvelle doctrine de cette politique est de favoriser une immigration de travail, sélective, en fonction des besoins de l’économie.
Un compromis semble avoir été trouvé entre Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy, le premier rejetant une politique de quotas par pays.
Afin de pallier le manque de mains d’œuvres qualifiés et hautement qualifiés dans certains secteurs économiques, le ministère des finances, se basant sur un rapport du Trésor, a décliné 11 secteurs en carence que sont : la santé (notamment les infirmières et sages-femmes), les travaux publics, le bâtiment, la mécanique, la maintenance industrielle, le froid, la recherche, l’enseignement, l’hôtellerie et la restauration.
Concernant ces secteurs économiques « tendus », les chefs d’entreprises, sont activement incités à faire appel à des travailleurs venant de l’étranger
Les compétences recherchées à l’étranger, concernent aussi bien des personnes en activité, que des étudiants.
Une nouvelle carte de séjour « talents et compétences » de 3 ans, renouvelable, leur sera établie.
Les centres pour les études en France, qui existent à travers les consulats de France à l’étranger, valideront les projets d’études qui correspondront aux priorités économiques définies, puis faciliteront les démarches administratives.
Face à certaines critiques, les autorités gouvernementales concernées par le sujet assurent :
- ne pas contribuer à la fuite des cerveaux, puisque ceux-ci devront retourner dans leurs pays d’origine après la période des contrats, une « éthique de retour »
- que le chômage national n’augmentera pas pour autant
- que ces travailleurs contribueront au « rayonnement » de la France
Au-delà de certaines discussions sommes toutes louables pour l’analyse politico-politicienne, telle que le duel médiatique Villepin-Sarko sur ce sujet de l’immigration face aux échéances présidentielles, le club Gens d’affaires dans la cité procède à l’analyse de fonds en mettant en relief les points suivants :
L’appropriation des compétences étrangères : enjeux dans la compétition mondiale
Le capital humain, au même titre que le progrès technologique et le capital financier, est un élément primordial de croissance de toute économie.
Si la compétition mondiale induit des mouvements massifs de capitaux financiers à la recherche de rentabilités, il en va de même de la captation compétences.
Chaque Etat puissant développe donc une politique d’attraction de capitaux financiers et de compétences hautement qualifiés.
Au niveau européen, la Commission européenne a établi un rapport en 2005, indiquant que les besoins en main d’œuvre immigrés, de manière générale et sans distinguer « hautes » ou « petites » compétences, sont de l’ordre de 20 millions pour la période 2010-2030.
S’il s’agit plus de pallier au vieillissement de la population, ce manque a aussi une incidence économique du fait de la diminution de la population active qui ne pourra assurer les retraites des inactifs.
Les motivations du Gouvernement sont plus la compétitivité et le contrôle des flux migratoires.
La France qui perd au fil des années de sa puissance économique dans le concert des Nations, souhaite attirer des hautes compétences, afin de rester compétitif dans la mondialisation.
En effet les éléments les plus brillants des pays du Tiers monde, immigrent plutôt vers les USA, le Canada, l’Angleterre.
Par ailleurs, le système colbertiste et très élitiste français, implique un départ croissant de compétences nationales vers ces pays.
Le même constat se pose pour des étrangers ou français d’origines étrangères, qui s’expatrient de France.
Les chances de réussite sont plus tangibles dans les pays cités où la compétence prime sur l’origine sociale ou raciale, aussi bien pour des cadres d’entreprise, que pour des chefs d’entreprise.
Un échec de la politique de formation française ?
Cette politique ne traduit-il pas en filigrane un échec de la politique de formation de la France.
Le problème de carences de compétences dans certains secteurs économiques, relève plus de problèmes structurels que conjoncturels.
La France dispose et pourtant de tous les instruments de prospectives socio-économiques, qui devraient permettre l’adéquation de l’enseignement et de l’économie.
Elle accuse un retard par rapport à d’autres pays occidentaux, sur la relation enseignement supérieur et entreprises.
Bien que l’économie planifiée au sens strict du terme n’existe plus, l’Etat doit de concert avec le monde de l’entreprise, orienter les élèves et étudiants sur des filières de formation porteurs.
Quid de l’intégration des compétences des immigrés et citoyens français d’origine étrangère ?
La volonté de rechercher des compétences et talents étrangère, peut sembler paradoxale au regard du nombre de personnes étrangères et françaises d’origine étrangères que le système social et professionnel intègre peu.
Le problème de la discrimination raciale à l’embauche et à l’émancipation économique existe réellement, en attestent les vives polémiques au sein de la République, sur l’intégration et la discrimination positive.
Pourquoi ne pas commencer à intégrer et orienter professionnellement les milliers de compétences victimes de discrimination à l’embauche ou au progrès professionnel ?
Pourquoi le Gouvernement ne recherchent-ils pas au préalable dans cette voie, plutôt que d’importer des talents qui viennent de l’étranger ?
Le contrôle des flux migratoires, ne peut être en ce sens une réponse satisfaisante et suffisante.
Le risque est de créer une autre forme de privilèges au bénéfice de nouveaux immigrés, et en défaveur d’anciens qui peinent à trouver un emploi à la mesure de leurs compétences.
Serait-ce volontaire ???
Quelles attitudes doivent adopter les pays du Tiers-monde face au pillage de leurs talents
L’on entend de la part du Gouvernement français l’expression « participer au rayonnement de la France ».
Ces talents recherchés ne seraient-ils pas plus utiles au rayonnement de leurs propres pays, notamment ceux qui viendront du Tiers-monde ?
Puisque la première des richesses dans une économie n’est autre que le capital humain, cette politique implique forcément un pillage et une fuite de cerveaux, et donc un appauvrissement.
Les pays du Tiers-monde ainsi dépossédés, plutôt que d’être spectateurs, devraient exiger un partenariat de retour des compétences, afin que cette perte se transforme en gain.
A moins que cette situation ne les arrange à désengorger le chômage de nombreux talents, et qui met à nue la mauvaise gouvernance.
L’expérience des migrants devrait revenir in fine aux pays d’origine, si ceux-ci créent des conditions adéquates de retours de compétences et de réelle démocratie.
Quelle future perspective pour l’immigré à l’issu des renouvellements de la carte de séjour de trois ans, chercher à rester dans le pays d’accueil qui offrira de meilleures garanties financières et d’expression professionnelle, retourner dans son pays d’origine avec des conditions moins favorables ?
Et quant les secteurs économiques actuellement en carence de compétences, demain se rétabliront, que fera la France de ces immigrés ? Les rejeter puisqu’ils ne seront plus utiles ?
Ne retenir que les plus brillants ?
Toutes ces questions montrent que cette politique non éthique, qui consiste à « aller faire son marché », renforcera les inégalités entre pays riches et pays pauvres, et au sein même de la société française.
Roland Portella est le président de Gens d’affaires dans la cité, et consultant en développement d’entreprises
Contact : gac-club@hotmail.fr