Quand le Québec était esclavagiste
Quand le Québec était esclavagiste
- Louis Guimont
Le Québec a longtemps pu se flatter d’avoir évité l’époque esclavagiste au profit d’une réputation de terre d’accueil et de liberté. Pourtant, en tenant compte des recherches historiques, on peut confirmer la pratique de l’esclavage en Nouvelle-France pendant près de deux siècles. Aujourd’hui, le vice longtemps caché du pays, force le mea-culpa.
Le Québec n’a jamais fait exception aux autres nations occidentales ou puissances coloniales dans le domaine de l’esclavage. Il faut par contre y relativiser l’ampleur, le Québec ne pouvant guère se comparer en proportion aux millions d’esclaves africains enchaînés aux champs de coton de nos voisins du Sud – en une seule année, en 1746, la Louisiane comptait 5000 esclaves – ou des colonies européennes.
À l’époque, en Nouvelle-France, il était chic d’acquérir ce type de bien-meuble, un « nègre » ou un « sauvage », pour lequel le prix payé révélait la condition sociale du maître. C’était du temps de l’ère légale de la traite négrière et de l’asservissement des premières nations d’Amérique.
Une population « sans mélange de races »
L’historien et professeur émérite de l’Université Laval, Marcel Trudel, est le spécialiste de la question de l’esclavage au Québec. Voilà plus de 40 ans qu’il démontre l’existence de milliers d’esclaves dans les archives nationales de la province sur une période s’étendant du XVIIe jusqu’au XIXe siècle. Au dernier décompte, ils auraient été 4126 individus asservis au cours de cette période.
À l’origine de leur publication en 1960, les conclusions des recherches de l’historien avaient reçu un accueil particulièrement désintéressé au Québec. Il faut dire qu’à l’époque, M. Trudel allait à contre-courant des grands historiens canadiens que sont François-Xavier Garneau et Lionel Groulx.
Selon lui, ces penseurs dominants ont longtemps réussi à aveugler le Québec à l’égard de son passé esclavagiste. Ainsi, des passages particuliers de leurs œuvres respectives (Histoire du Canada et Histoire du Canada français) évoquent une vision raciste de notre histoire.
À propos de l’esclavage, Garneau écrit ceci : « Nous ne croyons pas devoir omettre de mentionner ici une décision du gouvernement français qui lui fait le plus grand honneur; c’est celle relative à l’exclusion des esclaves du Canada une population vraiment nationale, catholique, française, sans mélange de races. » Or, en 1689, le roi Louis XIV autorisait aux Canadiens la possession et donc l’importation de Noirs. Puis, en 1709, l’esclavage était déclaré légal par l’intendant Raudot.
Quant au chanoine Groulx : « Qu’est-ce qu’on a eu ici? Un peuplement de population blanche, française. Rien, comme ailleurs en Amérique, d’une population mixte, demi-indigène. Un seul type de colonie s’avère donc possible, une colonie de race blanche. » Voilà, selon M. Trudel, deux exemples flagrants d’une société raciste forgée par des enseignements délibérément altérés et privée d’une mémoire véritablement collective.
Le noir, plus dispendieux que le rouge
D’après Marcel Trudel, les raisons de l’esclavage en Nouvelle-France n’ont jamais été pour des motifs strictement économiques, la concurrence industrielle à la mère-patrie étant interdite et l’agriculture pratiquée que sur une modeste échelle. Conclusion, les Canadiens tentaient plutôt d’imiter les colonies esclavagistes, mais seulement comme un parent pauvre cherche à imiter les grands seigneurs cousins.
Aussi, était-il très dispendieux pour un Canadien de se procurer un domestique « importé » comparativement aux Amérindiens, abondants sur le marché local. En conséquence, bien que les Africains aient été massivement déportés vers l’Amérique – les estimations allant jusqu’à 20 millions d’individus sans compter les décès au fond des cales des bateaux –, la Nouvelle-France puisait majoritairement sa population asservie dans les peuples autochtones, à raison de 65% contre 35% pour les Noirs.
L’esclave rouge est donc, de loin, bien meilleur marché que le noir : 400 livres françaises contre 900 pour le Noir. On va même jusqu’à hypothéquer ses biens pour se procurer la denrée rare. Membres du clergé, gouverneurs, marchands, seigneurs, juges, officiers militaires et médecins sont notamment les professions-types de la société des quelques 1574 propriétaires, francophones et anglophones.
Composés essentiellement de membres privilégiés de la société, les propriétaires forment une classe relativement privilégiée, bien qu’hétéroclite. Ainsi, ils se livrent habituellement à l’esclavage pour des raisons de prestige. Cependant, à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, l’esclavage est de plus en plus contesté au Canada alors que légalement, les propriétaires se voient progressivement ignorer leurs droits sur leurs esclaves.
Enfin, il semble difficile de déterminer une date précise de la fin de la pratique esclavagiste au Québec. Mais une chose est certaine, ce n’est qu’en 1833 qu’elle se voit abolie dans l’Empire britannique, une date permettant néanmoins d’affirmer – par l’absence de documents de vente d’esclaves – qu’à ce moment tardif, il devait probablement y avoir un nombre fort restreint d’esclaves au pays ayant pu bénéficier de l’abolition.
Les Noirs au Québec : nos frères oubliés
La première trace d’un Noir en Nouvelle-France remonterait à 1629 avec le dénommé Olivier Le Jeune. Celui-ci y mourra dans la trentaine, en 1654, alors enchaîné à vie, après avoir été traîné en justice puis condamné à la servitude au compte du plaignant. Ainsi disparaissait le premier Noir ayant vécu dans la vallée du Saint-Laurent.
Mais les Noirs du Québec n’ont pas tous été des esclaves ou des immigrés. Raconter l’histoire des Noirs du Québec sous le seul angle de l’esclavage serait de toute évidence réducteur, car leur impact sur notre société est d’une richesse peu commune et malheureusement trop peu mentionnée – tout comme celle des Amérindiens, premiers habitants de cette terre d’immigration massive. En fait, il y aurait eu des Noirs québécois depuis 1713, des hommes et femmes nés au Québec dont certains auraient marqué leur époque.
La revue d’histoire du Québec, Cap-aux-Diamants, publiait cet automne un dossier spécial sur l’histoire des Noirs au Québec. Relatant la présence de femmes et d’hommes noirs dans toutes les strates de la société québécoise, depuis le XVIIe siècle jusqu’à aujourd’hui (aventuriers, interprètes, négociants de fourrures, journalistes, jazzmen, artistes, militaires et autres). La revue révèle une histoire inspirante d’un chaînon peu connu de la société québécoise.
Si le métissage au Québec des blancs avec des Amérindiens est bien connu (les métis sont nombreux au Canada), il est fort enrichissant pour notre mémoire collective de constater ces racines noires parfois très lointaines ou plus récentes, dans notre histoire et notre culture québécoises.