Pierre Vidal-Naquet : l'État n'a pas à dire comment enseigner
l'histoire
jeudi 14 avril 2005
Pierre Vidal-Naquet, historien spécialiste de la Grèce antique, est
un homme engagé, en particulier contre les guerres coloniales.
Il s'entretient avec Hervé Nathan [Libération, le 14 avril 2005]
Une loi prescrit d'enseigner la colonisation de manière «
positive », qu'en pensez-vous ?
PVN - Au Japon, une loi définit le contenu de l'enseignement
historique, et les manuels scolaires minimisent la responsabilité
des Japonais dans les massacres de la guerre sino-japonaise. Si la
France veut faire comme le Japon, il n'y a qu'à continuer dans cette
voie. Cette loi me rappelle les « taches roses » qu'on trouvait sur
nos cartes de géographie, lorsque le domaine français, au Maghreb,
en Afrique noire, en Indochine, signifiait la puissance coloniale de
notre pays.
Il n'est pas indifférent de remarquer que les parlementaires qui ont
porté la loi de février 2005 sont issus de circonscriptions où les
pieds-noirs sont nombreux. Les organisations des rapatriés d'Algérie
ont toujours idéalisé la coexistence entre Français et Algériens
avant l'indépendance. Or ces deux populations étaient étanches et
vivaient superposées.
Si ce n'est pas à la loi de dire l'histoire, que penser de la loi
Gayssot qui interdit de professer des contre-vérités concernant le
génocide des juifs ?
PVN - Je vomis les négationnistes. Mais j'ai toujours été contre la
loi Gayssot. Ce n'est pas à l'Etat de dire comment on enseigne
l'histoire. On peut comprendre une telle loi en Allemagne, mais en
France elle est inutile.
A l'inverse, le débat monte sur l'enseignement de l'esclavage, jugé
insuffisant...
PVN - Je n'ai aucun doute sur le caractère criminel de l'esclavage.
Il faut évidemment l'inclure dans les programmes, mais je ne vois
pas ce qu'ajoute sa reconnaissance officielle comme crime contre
l'humanité. Tout ce qui ressemble à une histoire officielle est
pernicieux. Si l'on pense à Napoléon, il est celui qui a rétabli
l'esclavage en 1802. Mais, pour certains, c'est aussi le «
Robespierre à cheval », décrit par Germaine de Staël. C'est un
mythe, mais les mythes font partie de l'histoire des nations. C'est
le travail des historiens de les analyser. Ils font partie de la vie
des gens, comme l'esclavage.
Source :
http://www.ldh-toulon.net/article.php3?id_article=632