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La crise des banlieues
Dans le Nord, au tribunal, des émeutiers loin des clichés
Des jeunes Blancs issus de milieux défavorisés comparaissent devant
la justice.
par Haydée SABERAN
C'est un Français «issu de l'immigration», mais pas celle que l'on
croit. Jérémy V. habite Arras. Il porte un nom flamand, preuve que
ses ancêtres venaient de... Belgique. L'arrestation de ce jeune
homme de 20 ans, jeune intérimaire à Arras, prouve que les jeunes
des quartiers en difficulté qui brûlent des voitures échappent aux
clichés.
A Lille, ces prévenus inattendus ont peuplé les tribunaux ces
derniers jours. «Les deux tiers des jeunes qui passent en
comparution immédiate après les incendies nocturnes sont des Jean-
Marc et des Maxime», indique un journaliste familier du tribunal de
grande instance. «Ce ne sont pas que des bronzés», confirme Serge
Damiens, éducateur à la mission locale de Lille. «Dans le quartier
des Bois-Blancs à Lille, quand l'école a brûlé, la première demi-
heure, ils étaient tous blancs.» Ça ne l'étonne pas. «La couleur de
la peau est un handicap à l'embauche, c'est vrai. Mais l'adresse
aussi. Ceux qui veulent s'en sortir donnent souvent l'adresse
fictive d'une tante, hors du quartier, ou dans la ville voisine.» Il
reconnaît que ces enfants des quartiers populaires partent quand
même dans la vie avec un handicap de moins : «Les CRS passent plus
de temps à contrôler les têtes frisées que les Patrick et les
Gérard.»
Dans le Nord et le Pas-de-Calais, terre d'immigration ancienne,
l'immense majorité des quartiers populaires sont ethniquement
mixtes. Les fils d'ouvriers et de plus en plus, de chômeurs qui
vivent dans les quartiers en difficulté sont français dits «de
souche», ou issus de l'immigration belge, polonaise, portugaise,
espagnole, maghrébine et africaine. La présence de ces
jeunes «Blancs» dans les tribunaux correctionnels depuis deux
semaines n'étonne pas non plus Maryse Esterle-Hedibel,
sociologue. «Le contraire m'aurait surpris», dit-elle. Ancienne
éducatrice de rue en région parisienne, elle travaille sur les
quartiers de Roubaix depuis quatre ans. «Contrairement à ce que j'ai
vu dans le Val-d'Oise et le Val-de-Marne, j'ai découvert ici une
population très spécifique, sans discriminant "immigré-pas
immigré".» Il y a ici des familles «blanches» très pauvres. «Des
enfants qui ne mangent pas assez, qui vivent sans chauffage parce
qu'EDF a coupé l'électricité, des mères de famille qui ont seize
ans. Le quart monde.»
Pour elle, les émeutes urbaines de ces derniers jours ne s'analysent
pas en termes ethniques : «Cet argumentaire autour de la polygamie,
c'est de la propagande pure et simple. En revanche, ce qui est
certain, c'est que des quartiers entiers ont été dévastés par la
déshérence économique. Les anciennes solidarités ouvrières ont
disparu, remplacées par l'assistanat. Le quartier de l'Alma, à
Roubaix, c'est 40 % de chômage. Les mères de ces jeunes filles qui
quittent l'école à quinze ans en présentant un certificat de
grossesse, elles auraient été ouvrières à La Redoute, il y a trente
ans. C'est quand même autre chose qu'être au RMI.»
Autres lieux, autres profils, et autres clichés. Alors que Nicolas
Sarkozy déclarait, péremptoire, que «75 à 80 %» des jeunes
interpellés étaient «déjà connus pour de nombreux méfaits», les
magistrats de différents tribunaux de grande instance ont montré,
hier, chiffres à l'appui, que la plupart sont plutôt des gamins sans
antécédent judiciaire. Ainsi, à Bobigny, «la très grande majorité»
des mineurs ont «un profil de primo délinquant» a déclaré Denis
Fauriat, secrétaire général du parquet. Même analyse à Lyon, Nancy,
ou Marseille.