L'
origine de l'article 4 de la loi du 23 février 2005
Une loi longuement mûrie à droite
Depuis 2003, des députés UMP, sous pression des rapatriés, menaient
campagne.
par Jean-Pierre THIBAUDAT
QUOTIDIEN : mercredi 30 novembre 2005
Ce n'est pas une bourde. L'article 4 de la loi du 23 février 2005
stipulant que l'on enseigne dans les écoles de France le «rôle
positif» de la colonisation française a été voté par une quarantaine
de députés à la va-vite. Il vient pourtant de loin. Professeur
d'histoire, poursuivant ses recherches sur la Fracture coloniale
(1), Sandrine Lemaire est remontée aux sources de sa
cristallisation. Ce qui suit s'inspire de son travail.
C'est le 5 mars 2003 que le terme «positif» apparaît dans une
proposition de loi déposée par plus de cent députés en tête desquels
Philippe Douste-Blazy et Jean Léonetti (UMP, Alpes-Maritimes), qui
propose l'article unique d'un texte de loi ainsi formulé : «L'oeuvre
positive de l'ensemble de nos citoyens qui ont vécu en Algérie
pendant la période de la présence française est publiquement
reconnue.» Il n'est pas encore question de l'enseigner dans les
écoles. Renvoyé à la Commission des affaires culturelles, familiales
et sociales de l'Assemblée, ce texte n'aboutira pas.
«Fils». Un mois auparavant, sur ce sujet, Jean-Pierre Raffarin avait
confié une mission au député du Lot-et-Garonne Michel Diefenbacher.
En septembre 2003, celui-ci remet un rapport visant à «parachever
l'effort de solidarité nationale envers les rapatriés» et
à «promouvoir l'oeuvre collective de la France d'outre-mer». Un
rapport dont le vocabulaire daté semble sorti des manuels d'histoire
du temps de la Coloniale. «La France avait demandé à ses fils les
plus intrépides d'assurer son rayonnement par-delà les mers : avec
courage, avec enthousiasme, avec ténacité, ils l'ont fait. Les
terres ont été mises en valeur, les maladies ont été combattues, une
véritable politique de développement a été promue.» (!) Dans une
partie consacrée à l'enseignement, le traitement de la fin des
empires coloniaux et des guerres les accompagnant dans les manuels
scolaires (cinq éditeurs cités) est critiqué car ils «font trop
souvent penser que la violence était d'un seul côté». Les
associations de rapatriés demandent que le ministre de l'Education
ait un «droit de regard sur le contenu des manuels mis entre les
mains des élèves et des maîtres».
Devoir. Le 10 mars 2004, à la faveur d'un projet de loi «portant
reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des
Français rapatriés», c'est au tour de Michèle Alliot-Marie, ministre
de la Défense, de faire une piqûre de rappel : après avoir vanté
les «apports de la France» en Afrique du Nord, elle souligne
que «reconnaître l'oeuvre positive de nos compatriotes sur ces
territoires est un devoir pour l'Etat français». Ce projet se perdra
lui aussi avant de resurgir le 11 juin 2004 à la faveur d'une autre
proposition de loi concernant les rapatriés et dont le rapporteur
est Christian Kert (UMP, Bouches-du-Rhône). C'est ce texte qui
aboutira. Dans la discussion, Francis Vercamer (UDF) souligne que ce
texte de loi est «très attendu par la communauté des pieds-noirs».
La messe est dite par le député Christian Vannestre (UMP) : «Le sous-
amendement 59 à l'amendement 21 et le sous-amendement de
coordination 58 tendent à mieux faire connaître aux jeunes
générations le côté positif de la présence française en Afrique et
en Asie, dans la ligne voulue par Jules Ferry», première version de
l'article 4. La loi votée en première lecture sans vraie opposition
ira au Sénat (le PS votera pour) et reviendra à l'Assemblée en
décembre 2004 sans susciter de remous pour être promulguée le 23
février 2005 et publiée au Journal officiel. C'est là que des
historiens, interloqués, feront part de leur stupeur.
(1) Coauteur avec Nicolas Bancel et Pascal Blanchard, éditions La
Découverte.
Source :
http://www.liberation.fr/page.php?Article=341437