Commerce international
Dans un monde toujours plus inéquitable
C’est une véritable guerre à l’échelle planétaire, où le commerce des matières premières, livré aujourd’hui à un libéralisme débridé, est en train de ruiner des millions de paysans du Sud… Dans son livre (1), Commerce inéquitable, le roman noir des matières premières, Jean-Pierre Boris, journaliste à RFI, propose à travers enquêtes, portraits et anecdotes - de la Côte d'Ivoire au Vietnam, du Costa Rica à la Birmanie- une plongée dans les coulisses de la globalisation. Et dénonce au passage les illusions du «commerce équitable», dont la France organise (du 30 avril au 15 mai) la seconde quinzaine.
Difficile de garder la tête froide quand, sous une avalanche médiatique, le «commerce équitable» devient la dernière référence à la mode dans les pays riches. Où l’on entend de plus en plus parler de cette «alternative économique» destinée à défier «le modèle néolibéral» à partir d’une idée simple, et selon toute apparence, des plus justes: un circuit parallèle au commerce international des matières premières peut exister et se renforcer, où les petits producteurs (de café, de cacao, de coton…) ne sont plus soumis à la loi des traders et des multinationales, où ils reçoivent une rémunération décente leur permettant de pratiquer des cultures de qualité, respectueuses de l’environnement, ouvrant la voie à un autre modèle de développement, plus humain.
Fondé il y a plus de vingt ans à partir d’initiatives comme celle au Mexique du prêtre-ouvrier Francisco Van der Hoff (2), le commerce équitable s’est surtout appliqué à quelques matières premières très symboliques, à commencer par le café, avant de se diversifier quelque peu (artisanat, tourisme), et propose désormais ses produits, sous des labels de plus en plus connus du grand public, aux rayons des supermarchés occidentaux. Un rêve d’économie alternative ? Un rêve seulement… signalent quelques observateurs moins enthousiastes, peut-être plus conscients des enjeux réels.
Des solutions simplistes pour un problème complexe
Le journaliste Jean-Pierre Boris est de ceux-là. Son livre sur le «commerce inéquitable» propose une exploration très documentée et vivante du marché des matières premières dans le monde, en prenant pour exemple certains produits-clés: cacao, café, coton, poivre et riz. Il montre l’importance des enjeux économiques, détaille la guerre sans pitié que se livrent les multinationales, pointe la cruauté et l’absurdité d’un système économique qui accule aujourd’hui à la ruine producteurs et pays du Sud, évidemment guère de taille à lutter sur un marché volatile et hautement sophistiqué. Où seuls les plus puissants parviennent à tirer leur épingle du jeu et engrangent des bénéfices colossaux.
Si cette démonstration pourrait être vue comme un plaidoyer contre la mondialisation libérale, le propos est toutefois plus subtil, à la mesure de processus eux-mêmes complexes: où l’on comprend que nombre de responsabilités sont en jeu, sans oublier celles des pays producteurs dont les dirigeants savent prélever leur part de ces échanges inéquitables, et se sont maintes fois égarés dans des calculs et des stratégies des plus discutables. L’auteur signale surtout que le marché est devenu d’autant plus inique que les rapports de forces qui, en bonne logique libérale, doivent en tempérer les effets, ont été bouleversés par la mise à mal des mécanismes de régulation autrefois pertinents: c’est l’exemple, hautement symbolique, du commerce du café où les pays producteurs ont eux-mêmes contribué à démanteler des accords internationaux qui avaient prouvé leur efficacité.
Face à cette fuite en avant, les quelques réussites constatées sur le front du commerce équitable ne constituent pas une réponse suffisante. Car le livre souligne à quel point leur impact est négligeable dans le flux mondial des échanges, et aboutit à créer quelques enclaves d’économie équitable qui peuvent faire illusion, sans toutefois apporter de solution globale. En dénonçant «le discours charitable et lénifiant» des partisans du commerce équitable, l’auteur déplore qu’on parvienne de fait à occulter les vrais problèmes, et annonce que «la crise ne fait cependant que commencer»; seule une architecture internationale réinstaurant une régulation viable et protégeant les petits producteurs semble, de ce point de vue, constituer un horizon réaliste.
(1) Jean-Pierre Boris, Commerce inéquitable: le roman noir des matières premières, éditions Hachette Littératures/RFI, mai 2005.
(2) Francisco Van Hoff, Nous ferons un monde équitable, éditions Flammarion, 2005
La quinzaine du commerce équitable sur Internet : www.commercequitable.org
Le 14 mai, l'Ifat (International Fair Trade Association), organise une Journée mondiale du commerce équitable: www.ifat.org